Le terme d’écoblanchiment (greenswashing) désigne les procédés utilisés par des publicitaires pour blanchir d’un point de vue écologique un produit qui ne l’est pas. L’écoblanchiment est avéré dès lors qu’est prouvé un recours abusif à l’argument écologique pour faire la promotion de produits où d’initiatives qui ne se traduisent pas dans les faits par de réels apports en matière environnementale. Selon la cinquième édition de l’étude Publicité et environnement publiée le 18 mars 2012 par l’Ademe et l’ARPP), 89% des 707 visuels liés à l’environnement, étudiés en 2011 (presse et Internet) sont conformes aux recommandations déontologiques en matière de développement durable. Un résultat qui reste « constant » par rapport à 2010 (88%).
Toutefois, ce pourcentage dépend étroitement des méthodes d’analyse. On peut retenir des critères techniques d’ordre matériel (notamment les ingrédients qui entrent dans la composition de produits ou de marque). Les exemples sont nombreux. Dernière en date, le label pêche responsable des Mousquetaires qui vient de se faire épingler. Mais on peut aussi retenir des critères d’ordre perceptif, psychologique, cognitif, phénoménologique. Dès lors, de nombreuses publicités se révèlent être au service de véritables manipulations du consommateur, plus ou moins violentes.
C’est à un niveau plus subtil que s’analyse la campagne de communication qui annonce le rapprochement des agences bretonnes de BNP Paribas et de sa filiale Banque de Bretagne. Elle s’emploie à laisser penser que ces banques sont de grands acteurs locaux en culpabilisant le passant à l’idée de ne l’être pas.
En effet, on y voit une jeune dame un peu stricte (mi-magistrate mi-banquière) alpaguer le passant par une question intrusive, voire un tantinet inquisitrice : « Parlons vrai : Vous allez faire quoi pour l’économie bretonne ? ». Une fois passée l’envie de lui répondre “en quoi ça vous regarde, madame l’inconnue ?!”, on s’étonne de cette soudaine prise en compte de la dimension locale de la part de la BNP qui, comme son homologue le Crédit Agricole, sont connus pour leurs frais bancaires astronomiques et pour être passés maîtres dans l’évasion fiscale en direction des paradis fiscaux. Etrange façon de concevoir la défense de l’intérêt national et local !
Bref, une publicité marquée par la brutalité et la manipulation psychologiques et une tentative ratée d’ethicalwashing. De quoi creuser encore plus le divorce entre Français et opérateurs bancaires. (Cela étant dit, il est bon de rappeler qu’il existe plusieurs banques en France qui ne s’adonnent pas à ces pratiques coupables ; nos lecteurs trouveront sur le web tous les renseignements nécessaires pour changer de banque, notamment auprès de notre confrère UFC Que choisir.)
Pour en revenir à l’écoblanchiment, voilà un exemple qui recourt à des méthodes de manipulation psychologique. Il est illustré par un article suivant que nous avions rédigé pour faire suite à la publicité conjointe de SFR et Alter eco parue dans Courrier International en mars 2010. Nous le reproduisons ci-après.
Toutes ces considérations renforcent Unidivers dans l’intérêt de mettre en place dès le lycée des cours de sémiotique visuelle, d’analyse critique des images et des environnements perceptifs dans lesquels les élèves sont inscrits. L’objectif de l’éducation nationale n’est-il pas de faire des citoyens critiques et non des consommateurs manipulables à l’envi ?
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Entre le monde de la téléphonie et le commerce équitable, personne ne verrait de lien a priori. Si ce n’est deux conceptions de l’économie divergentes. En effet, la téléphonie mobile génère des marges considérables engrangées par l’opérateur sur l’oreille du consommateur. L’écoresponsabilité y reste balbutiante. Pas une semaine ne passe sans qu’un opérateur ne soit condamné par un tribunal. Notamment, les conditions de fonctionnement insatisfaisantes et le prélèvement de frais non contractuels sont à l’origine d’une relation tendue entre le consommateur et les trois acteurs de la téléphonie mobile. Ces acteurs d’un cartel monopolistique ont été condamnés fin 2005 à une amende record de 534 M€ pour ententes illégales.
Impossible donc de relier le monde sans états d’âme de la rentabilité avec celui du commerce équitable. Le commerce équitable fonctionne quasiment à l’inverse, précisément avec des états d’âme. Son objectif : un codéveloppement de la production et des besoins par une rentabilité raisonnable avec des marges justes et justifiées. Du moins est-ce ce que beaucoup d’entre nous pensent. Pourtant, la campagne de publicité SFR [février 2010] dont le Courrier international se fait l’écho réussit le grand écart. Le lecteur y voit une page entière dédiée à la rencontre de cet opérateur et de Tristan Lecomte, le PDG d’Alter Eco.
À terre, un cercle de plaquettes de chocolat de la marque. Une disposition circulaire comme le monde. Un monde qui rayonne comme le soleil. Au milieu de cet univers domine un géant de noir vêtu : Tristan Lecomte. Le PDG expose le profil cintré d’un fin athlète à la coupe de cheveux dynamique. La puissance dégagée par les habits noirs (le côté obscur de la force, penseront certains esprits forts…) est compensée par un relâchement calculé de la tension musculaire et un sourire avenant.
Après avoir rencontré la photographie, le lecteur s’approche du texte. En haut, à droite, une bulle de trois lignes. L’écriture à la main fait le lien d’une manière douce entre l’illustration et le texte qui traduit la pensée de Tristan Lecomte. « Le commerce équitable ne s’arrête jamais, mon opérateur l’a compris ». Ça y est : de la même manière que la bulle fait le lien entre Tristan Lecomte et SFR, la relation entre le commerce équitable et la téléphonie mobile est nouée ! Mieux : il y a une dépendance entre les deux. Une dépendance efficace, réussie. Car l’attente de l’un a rencontré la capacité de l’autre.
L’autre, c’est SFR. Il est rouge comme la puissance pleine d’audace qui s’affiche. Qui affiche un nouveau forfait, de nouveaux services, une nouvelle relation contractuelle. Conclusion : vous devez faire équipe avec SFR ! Dès lors, vous serez promu au statut tant envié de Pro. Plus : en vous abonnant au forfait proposé, SFR vous offre une respectabilité économique. Une occasion à ne pas manquer pour le Pro que vous êtes ou que vous allez devenir. Oui, SFR fait équipe avec vous, avec toi, avec moi, pour un partenariat gagnant-gagnant…
Ce processus est conforté par l’emploi du noir et du rouge sur fond blanc. Ce sont des couleurs de puissance, de victoire. Celles du stade de Toulouse. Celles de la transmutation du grand-œuvre alchimique. On pense aussi à Stendhal. Dans Le Rouge et le Noir, l’écrivain décrit l’ascension et la chute de Julien Sorel, un jeune homme dévoré d’ambition. La couleur du sang symbolise l’armée, elle est fermée au héros en raison de ses origines modestes. Le noir représente le clergé, le seul statut qui lui permette d’obtenir une position dominante. Dans cette publicité, par la magie des rencontres improbables, le prêtre d’une économie à visage humain et un puissant réseau de téléphonie conjuguent leurs talents. Une alliance réussie. C’est du moins ce qu’espèrent Tristan Lecomte et SFR.
Par un marketing à base de greenwashing, de blanchiment vert, SFR espère se refaire une virginité dans la tête des consommateurs. Quant à Lecomte, il fait gagner à sa société ou une bonne somme d’argent, au moins 30 deniers, ou une publicité gratuite, voire les deux. En outre, il suggère que le commerce équitable d’Alter Eco fonctionne aussi bien qu’un réseau de production et de distribution classique. À la clé, de nouveaux clients. Mais le prix en vaut-il la chandelle (biodégradable) ?
Personnellement, attaché à la défense d’une relation harmonieuse entre l’homme et la nature, l’achat de plaquettes de chocolat Alter Eco m’a toujours paru évident. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que je n’ai pas envie de souscrire à un mélange des genres. À une confusion. Parce que je trouve navrant qu’un projet louable soit récupéré et instrumentalisé. Le commerce équitable et l’écologie reposent sur le respect et la préservation d’un lieu de vie partagé par des hommes. Or, un lieu de vie se dégrade à mesure que se ternit la clarté de ses règles de fonctionnement. Cette campagne de publicité contribue un peu plus à les fausser.
Nicolas Roberti