Du 12 au 30 juin 2018, rendez-vous chaque midi au Triangle de Rennes pour partager les repas de la Grenouille à Grande Bouche. Après une première expérimentation du 3 au 10 mars 2018, le trio de la Grenouille à Grande Bouche continue à expérimenter un modèle d’économie solidaire à travers son restaurant temporaire à Rennes. Aux côtés d’une équipe professionnelle, des bénévoles aident en cuisine ou au service afin de permettre à l’entreprise de reverser ses bénéfices à des associations.
Lundi 5 mars 2018, quartier du Blosne, Rennes. « On dirait une odeur de canalisation… » L’étudiante espagnole referme rapidement son pot et le repose sur la table de bois, aux côtés d’autres pots similaires. Les sept autres participants de l’atelier d’écriture n’osent pas porter leur nez plus près. Sur sa feuille, l’étudiante a décrit un décor de vieille salle de bain, que lui inspirait l’odeur. On comprend aisément pourquoi lorsqu’on respire ces fragrances de moisissure. Encore heureux qu’elle n’ait pas poussé l’exercice jusqu’à la description d’un siphon bouché.
L’ambiance est bon enfant, au rez-de-chaussée de l’immeuble Samara, quartier du Blosne. Sur les murs, des pages jaunies sont accrochées. Posés sur une table, à côté d’une théière, quelques carrés de chocolat noir attirent déjà l’œil.
« C’était une odeur de maroilles », précise finalement Fanny Armand. Spécialiste dans l’éveil au goût, elle co-anime l’atelier de cette soirée avec Louise Katz, enseignante-chercheuse en littérature néolatine. Cela fait plus d’un an qu’elles s’investissent dans le projet de la Grenouille à Grande Bouche, aux côtés de Nathanaël Simon, ancien journaliste radio local.
« Au départ, on voulait créer une maison des goûts et des écritures », se rappelle ce dernier. Une idée que les trois amis ont eue, progressivement, au fil de discussions à la fin de repas communs. « On avait envie de créer un lieu où l’on puisse bien manger et où on puisse raconter des histoires », détaille-t-il. Le nom du projet fait écho à ces ambitions. « La grenouille a grande bouche, c’est l’histoire d’une grenouille qui raconte des histoires et qui nous demande ce qu’on mange », explique Nathanaël Simon. « Et donc ça nous parlait, d’autant plus que ça interpelle ! »
Depuis, leur idée a évolué, pour se concrétiser progressivement. Du 28 février au 10 mars, le trio a ouvert un restaurant temporaire, qui propose en parallèle des ateliers d’écriture et d’ouverture au goût. Pendant ces deux semaines, ces trois passionnés du goût pourront vérifier si le modèle choisi est viable économiquement, et quels ajustements ils doivent lui apporter.
C’est qu’ils n’ont pas voulu faire les choses comme tout le monde. « On a voulu créer une entreprise avec un fonctionnement démocratique », raconte l’ancien journaliste radio. Chaque salarié aura, s’il le souhaite, un droit de vote, pour décider des orientations de l’entreprise. Sur le plan juridique, ce qui est encore une association prendra la forme d’une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC). En d’autres termes, d’autres acteurs peuvent se joindre aux salariés de la coopérative pour porter ce projet et y participer. « On aimerait fédérer des collectifs d’écrivains, de producteurs, d’usagers, qui pourraient participer à la gouvernance », explicite Nathanaël Simon.
Mais l’ambition va bien au-delà de l’entrée de mécanismes démocratiques dans l’entreprise. « On voudrait redistribuer tous les bénéfices, du restaurant comme des ateliers, à des associations qui ont du sens pour le territoire », poursuit l’ancien journaliste. Pour rendre cela possible, le trio demande une participation particulière aux clients du restaurant. « On demande à des personnes de nous aider bénévolement, soit en cuisine, soit au service », continue-t-il. Une inspiration qui leur vient du Québec. Le trio avait ainsi testé cette recette dans un restaurant, les Robins des bois, qui appliquait ces mêmes principes.
Derrière les fourneaux, c’est bien un cuisinier qui prépare les plats du jour. Mais à ses côtés, deux bénévoles l’assistent. Ce jour-là, ils ont ainsi préparé le dessert, et aidé pour les entrées. « Ils vont avoir leur propre rythme, parce qu’ils sont bénévoles, il n’y a pas d’obligations de résultat », précise Nathanaël Simon. Certains viennent pour défendre ce projet, d’autre parce qu’ils ont envie d’apprendre des techniques, des recettes, aux côtés d’un cuisinier professionnel.
En salle, trois bénévoles font le service. Quand on les voit s’empresser à une table, échanger entre eux, on sent pointer l’anxiété sous leur bonne volonté. Ils se précipitent vers l’entrée au moindre bruit de porte, viennent par deux à une table pour être sûrs de bien prendre la commande. À l’intérieur de la salle, sous les guirlandes de vieilles pages, il n’y a plus qu’une table vide. En sueur, Nathanaël Simon fait le pont entre ces bénévoles qu’il encadre et la cuisine.
« Cet engagement éphémère donne une autre énergie, et permet de belles rencontres », se félicite-t-il. La veille, il faisait le service aux côtés d’un homme de 30 ans, d’une femme de 60 ans et d’une autre de 40 ans. Des personnes qu’il n’aurait pas rencontrées autrement. « Ça crée des échanges, c’est super sympa, et en même temps, il faut tenir le rythme, et donc on s’entraide, il y a une vraie dynamique de groupe », se félicite-t-il. Face à l’anxiété de certains bénévoles, les clients du restaurant se montrent compréhensifs.
« Pour l’instant, on va au-delà de nos espoirs », constate Nathanaël Simon. Les deux premiers jours de l’ouverture, il a même fallu rajouter des couverts dans la salle. Habitants du quartier, travailleurs des bureaux voisins ou même touristes de passage viennent profiter d’un des rares lieux de restauration proche. La fermeture pendant les vacances de la boulangerie voisine donne un petit coup de pouce inattendu au trio.
« On a bon espoir de pouvoir redistribuer des bénéfices », note l’ancien journaliste. Ceux-ci iront à l’association Le P’tit Blosneur, une association qui veut créer du lien social dans le quartier du Blosne à travers notamment une conciergerie. « C’est un projet qui nous parle », précise-t-il. C’est que le P’tit Blosneur comme la Grenouille à Grande Bouche s’ancrent dans les réseaux rennais de l’économie sociale et solidaire.
Tous deux se sont lancés avec le soutien de Tag35, un propulseur local de « l’entrepreneuriat collectif ». Les personnes intéressées par l’économie sociale et solidaire y reçoivent conseils et formations pour préparer leur projet d’association ou d’entreprise. L’équipe de la Grenouille à Grande Bouche a ainsi pu se former au marketing, au financement d’entreprise, à la gouvernance, à la gestion des ressources humaines… et tisser des liens. Séparés de quelques dizaines de mètres, le restaurant temporaire de la Grenouille à Grande Bouche et la conciergerie du p’tit Blosneur sont aussi reliés par des liens d’amitié.
Le lien entre les deux équipes persistera, quel que soit le lieu final retenu pour le restaurant de la Grenouille à Grande Bouche. Après ce 10 mars, l’équipe prendra deux semaines pour faire le bilan de son expérimentation, et cherchera un autre endroit pour poser ses plats et ses ateliers. « On recherche un espace de 250 m² », précise Nathanaël Simon. Il espère ouvrir les portes de la Grenouille à Grande Bouche au mois de septembre prochain. De manière définitive, cette fois.
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