Le Groupe Obscur ? Cinq Rennais qui envoûtent par leur musique pop psychédélique dans un imaginaire qui fait écho à l’écriture visuelle d’Erik Satie (c’est lors de la représentation d’un de ces ballets que le mot surréalisme fut créé), Stravinsky, bien sûr, Mayakovsky, et, plus proche de nous, Cocteau Twins ou Einstürzende Neubauten. Le Groupe Obscur, un voyage pagano-hypnotique, une immersion poétique au profit d’un art magique. Rencontre avec la chanteuse Delamore, une séduisante oiseau de feu qui nous emporte vers des cieux clairs-obscurs à la manière symbolique d’Alkonost, Sirin et Gamaïoun…
Le Groupe Obscur définit sa création comme de la pop-rêveuse. Comment décririez-vous le songe dans lequel vous emmenez votre public depuis 2012 ?
Le Groupe Obscur – C’est vrai que, musicalement, on se sent proches du courant dream pop anglais des années 80, étymologiquement moins, dans le sens où l’on ne prône pas une invitation à la rêverie et à la déconnexion. Bien sûr l’onirisme existe chez LGO, mais on considère le rêve non pas comme une rupture, mais comme une prolongation de notre perception. L’inspiration, c’est le réel ; le réel, c’est le rêve. Et notre traduction du réel se fait à l’aide du mystique. La musique a ce pouvoir d’immersion indicible et précieux, et tout le monde est à la recherche d’un phénomène qui le dépasse. Aussi avec Le Groupe Obscur, on partage notre quête d’immersion à l’aide de tous les moyens possibles ; et ça peut durer toute une vie.
Votre voix est pure, claire, ce qui contraste avec le nom du groupe. Pourquoi avez-vous choisi ce nom de scène et qu’évoque-t-il pour vous ?
Le Groupe Obscur – Le nom du Groupe Obscur est tombé si spontanément qu’on l’a tout de suite adopté. Par la suite, comme un message que l’on ne saisit pas immédiatement, il a libéré des secrets qui allaient se marier parfaitement avec notre formation. Nous sommes vraiment un groupe, une alliance homogène constituée de personnages spéciaux. Et l’obscurité on s’y reconnaît totalement pour ce qu’elle évoque : le mystère, la noirceur, la mélancolie aussi. Mais nous avons une philosophie qui consiste à toujours faire appel à la totalité des choses, et à trouver son équilibre dans un tout. Aussin qui dit obscurité dit lumière, et utiliser l’une comme l’autre dans notre univers est à notre sens indispensable pour parvenir à exprimer des sensations entières et profondes.
Vous vous mettez en avant votre puissance impulsive et d’impulsion. Comment se réalise le processus de création ?
Le Groupe Obscur – Il y a dans notre processus de création une essence empirique très prégnante dont on tire liberté et spontanéité. Cela nous permet d’avoir une large palette de possibilités dont on redéfinit les contours ensemble, selon les goûts et aspirations de chacun. Les impulsions premières sont souvent individuelles, mais elles sont immédiatement relayées et remodelées par le reste du groupe, que ce soit la musique, les costumes ou autres trucs que je fabrique : il est essentiel pour nous que chacun s’empare pleinement de la musique comme du reste même s’il n’en est pas à l’origine. Je fais beaucoup dans LGO, mais on ne peut pas transmettre un univers si on ne s’en sent pas part intégrante, de fait chacun est donc indispensable pour ce qu’il est et ce qu’il propose. À la base on est quand même tous de bons gros bricoleurs, alors avec le temps chacun entrevoit davantage de façons de s’investir et de greffer ses idées au projet.
Votre création n’est pas uniquement instrumentale et vocale ; vous créez aussi vos propres costumes et un langage « obscurien ». D’où est partie cette initiative ? Que représente pour vous cet univers singulier ? Pouvez-vous nous donner un exemple de principes structurant cette langue ?
Le Groupe Obscur – Si la musique est la fondamentale du Groupe Obscur, elle n’est pas un carcan qui nous cantonnerait à une expression sonore. Elle est un moteur qui naturellement nous fait passer par de nombreux médiums. Ce recours à la diversité n’affaiblit pas notre création : nous ne nous dispersons pas, nous convergeons. Nous tenons à cette multiplicité, car elle est le témoin d’envie et d’ouverture. La musique est une force invisible, et tout ce que l’on crée autour est comme un ensemble de totems, générant un champ énergétique propice à son émission comme à sa réception.
Les costumes sont la démonstration la plus évidente de cette invocation musicale. Ils nous installent dans un univers commun dont on devient les messagers.
L’Obscurien est d’abord un langage pour une musique : la nôtre ! Elle rassemble des sonorités qui conviennent à notre façon de chanter, à l’énergie que l’on transmet et à nos goûts personnels : beaucoup de voyelles antérieures et ouvertes, beaucoup « l », de « x » de « t » de « ȼ », permettant des combos de syllabes propices aux mélismes comme à la prononciation précise et incisive d’un texte. À une époque où tous les codes de la pop ou du rock ont été largement explorés, les essais de langage ne sont finalement pas si courants, cela sûrement dû au fait qu’une musique populaire doit être reçue, entendue. L’Obscurien est une langue voulue construite, ayant un sens. Elle se dessine progressivement avec les chansons et les présages que j’écris, et c’est un grand projet, car définir une langue c’est se questionner sur toute une manière de penser – tout évolue donc beaucoup et constamment. Les principes de l’Obscurien doivent être en accord avec notre philosophie : souples, propices à l’interprétation et à la métaphore. Un de nos prochains objectifs est de le rendre accessible grâce à des ressources en ligne ou des publications papier par exemple. Et puis enfin, façonner l’Obscurien est encore une autre manière de se stimuler et de créer des ponts, de multiplier les entrées, et surtout de rappeler que si on a envie de faire quelque chose et bien on le fait.
Selesȼa nexȼlata, phonemen olemeliam. Selesȼa phonem, pardemen polinaris.
Salutations aux ténèbres, continuités de la nuit. Salutations à la nuit, prémices de la mort.
Que désirez-vous transmettre à votre public à travers vos représentations mystérieuses, planantes et « hypnotiques » ?
Le Groupe Obscur – Ce que l’on cherche à transmettre, c’est notre vision du monde et notre façon de l’appréhender : un engagement continu contre la peur, les évidences et les limites. Nous prônons le bizarre, le doute et la possibilité qui sont omniprésents dans notre univers en perpétuel renouvellement. Mais surtout on s’amuse, on aime faire ce qu’on fait et on le donne aussi naturellement que possible. Si on n’attend pas de réaction en particulier de notre public, on constate généralement une grande attention de sa part, une hypnose presque intimidante. Ça donne envie de repousser encore nos capacités pour émaner et partager de la sensation brute, c’est-à-dire dépasser l’attention pour toucher à cette sensation.
Pouvez-vous nous expliquer l’univers musical et artistique dans lequel le groupe évolue et quelles sont vos influences ?
Le Groupe Obscur – Nos influences sont multiples, et c’est la manière que l’on a de les réunir qui fait-office de liant : le lien, c’est le prisme LGO ! Le fait-maison que nous revendiquons est très visible chez LGO, nous pensons que les défauts, les failles qu’il génère sont un apport sensible puissant et communicatif.
L’univers général du Groupe Obscur est un agglomérat de vocabulaires intemporels : astral, occulte, divinatoire, gothique ; d’esthétiques relatives à la sorcellerie ou encore à la biologie. Nous avons convenu d’un code de non-couleurs qui nous permet d’unifier cet univers (or/noir/argent/blanc) lui-même symptomatique de notre volonté de mettre de la lumière dans la nuit, et de complémentariser les forces. Personnellement, je suis très intéressée par les traditions de costumes et de masques, les figurines également. C’est prenant de se risquer soi-même à la reprise de supports universels appropriés par chaque culture.
On aime la musique, alors on écoute vraiment de tout ! Nous faisons souvent référence à la Dream Pop et au label 4AD lorsqu’on se présente (Dead Can Dance, Cocteau Twins, Spoonfed Hybrid), où à d’autres groupes de New Wave / Alternative qui ont su faire vivre un clair-obscur extraordinaire, comme The Cure, Talk Talk, Siouxsie And The Banshees, Depeche Mode ou Smashing Pumpkins, mais la part rock est aussi très présente dans LGO, qui compte ses adeptes de grunge, de neo metal comme de rock californien. La playlist de tournée peut donc sans problème faire enchaîner Elton John, Kyuss, Planxty, Blink 182 et Type O Negative. Et Kyary Pamyu Pamyu en ghost track.
Avez-vous des productions musicales en cours et des concerts à venir ?
Le Groupe Obscur – Nous serons le 2 février prochain au Supersonic à Paris, et sommes à la recherche d’un label intéressé pour travailler avec nous. Nous composons, et fabriquons des trucs en continu, ce qui laisse présager encore plein d’aventures pour 2018 !
Photos : Lise Dua