Guillaume de Harcigny, médecin et précurseur de la psychiatrie d’empathie et de participation

Riche existence, et même au-delà de son trépas, que celle de Guillaume de Harcigny (1310-1393), surtout connu pour avoir été le médecin de Charles VI dit Le Fol (ou le Bien-aimé selon ses contemporains) et cela, même si les soins qu’il prodigua pour traiter les troubles mentaux du roi de France ne durèrent que six semaines.

 

guillaume de harcignyIl naît vers 1310 dans le bourg d’Harcigny près de Laon, soit 100 ans après les dernières tentatives de Croisade en Palestine. Le procès des Templiers fait rage (et le détail a peut-être son importance) ; quant à la Guerre de 100 ans, elle débutera vers 1337.

Laon est une ville ancienne qui comme Lyon fait référence au Dieu Lug des Celtes (Lugdunum – la citadelle, le mont de Lug). À l’époque carolingienne, la ville, lieu de résidence royale connut une certaine importance politique : elle sera une des principales villes de France sous Saint-Louis. La cité poursuivra son développement économique jusqu’au 12e siècle, une cathédrale y sera bâtie et un nombre non négligeable de chanoines deviendront papes et ceci n’est pas sans importance dans cette histoire.

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Cathédrale de Laon

Guillaume de Harcigny, également appelé Guillaume de Harselli, débuta sa formation médicale à Laon auprès d’un de ces chanoines avant d’aller à Paris, qui était doté d’une Université depuis 1150, pour y acquérir un Magister de Médecine. Vers 1314, l’Université de Paris sera dotée d’un collège dit de Laon qui s’occupe essentiellement de loger les étudiants originaires de cette région ce qui a vraisemblablement facilité son séjour à Paris et l’accès à ce cursus plaide pour un environnement familial aisé avec un bon réseau social. Sans doute insatisfait d’une formation toute théorique, sans aucune pratique ou dissection, il partira d’abord vers l’Italie et c’est sans doute là que les réseaux religieux reliant Laon à la papauté le guideront, puis il passera en Palestine, Syrie et enfin l’Égypte ou il séjournera à Alexandrie après avoir visité le mont Sinaï. On remarquera qu’à cette époque toute cette région est redevenue une terre à dominante musulmane gouvernée par les Mamelouks d’Égypte qui, un peu comme les Janissaires plus tard dans l’Empire ottoman, sont souvent d’anciens esclaves d’origine chrétienne.

Avicenne
le Canon du savant persan Avicenne*** (980-1037) traduit en latin (1527)

Un manuscrit relatant ses voyages a été conservé à la bibliothèque de Laon au moins jusqu’au XVIIIe siècle où l’on perd sa trace et l’on imagine toute la richesse d’un tel témoignage s’il était retrouvé un jour. Une autre hypothèse, totalement personnelle, pour expliquer cette relative aisance à ce déplacer vers cette région du Monde est l’existence attestée, lors du célèbre conflit avec Philippe le Bel, d’un templier nommé Henry de Hercigny : la quasi-homonymie est intéressante et s’il y eut bien un Procès des Templiers et quelques-uns furent brûlés, car relaps (reniement de leurs aveux) avec Jacques de Molay, la plupart en réchappèrent et se reconvertirent sans aucune difficulté dans d’autres ordres chevaleresques et/ou religieux dont celui des Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem, futur Ordre de Malte, qui possédait alors des établissements conventuels et hospitaliers à Chypre où s’étaient réfugiés nombre de chrétiens de Palestine après la chute des royaumes chrétiens. De petites communautés cependant perdurèrent en Terre sainte payant l’impôt religieux aux autorités musulmanes, le dhimmi, garant de leur protection.

medecine-moyen-age C’est sans doute par ces réseaux que Guillaume de Harcigny chemina au Moyen-Orient ce qui lui permit de se confronter à une médecine beaucoup plus avancée qu’en Occident. Cette médecine reposait sur tout un savoir grâce à des médecins chrétiens réputés assurant la compilation et la traduction sans cesse renouvelée à partir du grec ou du latin vers l’arabe ou l’araméen des œuvres de Galien, Dioscoride, etc. Nul ne peut dire exactement combien d’années il a séjourné sur cette terre : on sait qu’il est passé par le Mont Sinaï et son monastère doté d’une riche bibliothèque et d’un jardin permettant comme dans tous ces établissements la production de plantes médicinales. Il a terminé son périple par Alexandrie avant de rejoindre l’Italie.

Materia-MedicaÀ l’époque, les facultés de médecine de la péninsule étaient les plus réputées du Monde occidental, celle de Salerne en particulier, mais le célèbre monastère du Mont Cassin où avait travaillé Constantin l’Africain (1015 ?-1087 ?) contribua à la diffusion des connaissances. L’école de Salerne (Sud de l’Italie) organise l’enseignement et le diffuse par ses écrits sur tout le continent. Un recueil de préceptes d’hygiène et d’alimentation, rédigé en vers et collectivement, le Regimen Sanitatis Salernitanum, maintes fois édité, vulgarise et expose ses vues sur la diététique avec pragmatisme. C’est un recueil de règles d’hygiène pour un mode de vie proche de la nature et une dédramatisation de la maladie. A la demande du fils du roi d’Angleterre, Guillaume le Roux, elle édicte, en vers latins, des préceptes d’hygiène restés célèbres (XIIe siècle) :

Si tu venais à manquer de médecins en voici trois excellents : la gaieté, la tranquillité et des repas modérés.

De la Sauge : un homme peut-il mourir alors que la sauge fleurit dans son jardin ?

L’aneth chasse les vents, expulse les humeurs / Et d’un ventre gonflé corrige les grosseurs.

dissection moyen-âgeLa dissection des cadavres était pratiquée en Italie dès cette époque à des fins surtout de médecine légale et il y acquit sans nul doute de nombreuses connaissances. Un manuscrit de Guillaume de Harcigny portant peut-être sur des éléments d’anatomie était répertorié à la bibliothèque de Turin, mais il semble avoir disparu lors d’un incendie au milieu du XIXe siècle. On lui connaît même un traité des pierres précieuses dans un but thérapeutique : s’est-il intéressé à l’alchimie ? Un peu plus tard, Giordano Bruno et les héritiers philosophiques de Marsile, Ficin le traducteur du Corpus Hermeticum attribué à Hermès Trimégiste s’intéresseront aux mêmes attributs protecteurs de ces pierres.

charles VI
Charles VI dans un accès de démence dans la forêt du Mans

Il revint s’établir à Laon et ouvre son cabinet à Noyon. Il opère, tout au long de son exercice des cures si remarquables qu’on vient le consulter de tous les coins du diocèse, notamment pour les maladies mentales. Guillaume d’Harcigny a, en effet, beaucoup appris au contact des médecins arabes et de leur pharmacopée riche de potions sédatives. Sa réputation ne cesse de grandir et l’écho de son nom se fait entendre jusqu’à la Cour. On considère qu’il est non seulement savant, mais aussi, au vu de son âge étonnamment avancé à une époque où être trentenaire relevait déjà de l’exploit, un sage. Il devient l’ami d’Enguerrand VII de Coucy, descendant de croisés, fameux batailleur et très influent à la cour. C’est ainsi que lorsque le roi Charles VI, en proie à une de ses plus plus célèbres crises de démence qui le frappa dans la forêt du Mans en 1392****, où il tua quatre personnes de sa suite, le docteur Guillaume de Harcigny fut consulté, La rencontre aurait eu lieu dans la ville de Creil, mais pour certains auteurs comme Bernard Guenée (B. Guenée, La folie de Charles VI roi bien-aimé, édition Perrin, 2004), le roi aurait fait le voyage de Creil à Coucy dans le fief d’Enguerrand VI et peut-être de Coucy à Laon pour rencontrer le médecin. La rencontre fut organisée alors même que, naturellement, le Roi avait des médecins à sa disposition à la cour dont Régnault Fréron. Guillaume de Harcigny établit alors son diagnostic :

Cette maladie est survenue au prince par coulpe [excès]. Il tient cela de tempérament moite de sa mère [Jeanne de Bourbon devenue folle à 35 ans], d’un grand affaiblissement du cerveau et d’excès commis à diverses époques [allusion au penchant connu du roi pour la dive bouteille].

Charles VI le fou fol
Charles VI le Fol

Le médecin conclut qu’il faut employer des médicaments appropriés au tempérament de son patient, acquiéscer à ses requêtes sans le contrarier et supprimer l’usage de la cage de fer. Il limite les visites également et se dévoue au chevet du Roi pendant des semaines, du 15 août au 30 septembre 1392. Outre les décoctions curatives, le traitement alternera douceur, bains et nourriture saine. Personne à la cour ne réussira à faire venir le médecin à la cour une fois que le Roi eut retrouvé quelque peu ses esprits, mais cette brève rencontre contribuera à sa notoriété.

Je ne serai désormais qu’un vieil homme faible et impotent ; je ne pourrais, en conséquence, supporter l’ordonnance de la Cour. Bref, je veux retourner à ma maison nourricière à Laon.

malheureusement l’épisode du « Bal des Ardents » l’année suivante où il faillit périr brûlé vif lors d’un bal de la cour ne contribua pas à améliorer ses troubles, bien au contraire.

le bal des ardents 1393
Le bal des Ardents, Chroniques de Jean Froissart

Deux éléments postérieurs sont intéressants : d’abord son testament qui est un des rares documents conservés le concernant directement par lequel il fit un important don à sa ville de Laon afin de restaurer et renforcer les murailles qui la protégeait : on est alors en pleine guerre de Cent Ans. Sa postérité la plus célèbre vient de son transi ( du latin transire c’est-à-dire passer, partir, trépasser ). Le Transi est une représentation funéraire succédant aux gisants, mais beaucoup moins serein. Il apparaît avec les troubles de la guerre de Cent Ans et représente la mort dans l’aspect terrible de la nudité ou de la décomposition des chairs. Le sien est célèbre pour avoir été réalisé, à sa demande, un an après sa mort ce qui supposerait une exhumation au moins transitoire. L’aspect de décomposition cadavérique est saisissant. On ne peut s’empêcher de penser à certains passages de la Ballade des Pendus de Villon

Frères humains qui après nous vivez …Quant à la chair, que trop avons nourrie, Elle est piéça dévorée et pourrie

Qu’a-t-il voulu signifier par cette réalisation posthume ? D’aucuns disent que médecin jusqu’au bout de sa vie il a voulu faire en quelque sorte œuvre de science annonçant en quelque sorte la médecine légale, mais on sait déjà que la dissection en Italie à l’époque où il y passa s’intéressait à de telles questions. Son tombeau et son transi subirent les avanies de la Révolution. Sa renommée de bienfaiteur de sa ville de Laon, protégea ce dernier quelque peu. Si ses restes furent perdus au milieu du XIXe siècle, son transi fut restauré et se trouve aujourd’hui dans la Chapelle Templière de la ville où il n’avait pas forcément raison d’être, bien que le Temple ait pu jouer quelque rôle dans son parcours au Moyen-Orient.

Ainsi passa le très savant et très mystérieux Guillaume de Harcigny.

 

* http://www.europe1.fr/mediacenter/emissions/au-coeur-de-l-histoire/sons/le-recit-charles-vi-le-roi-fou-1093979

** Le gisant représente les défunts reposant vêtus du costume qui les caractérise : abbés, chevaliers, dames… Le transi est une sculpture funéraire qui montre le défunt à l’état de cadavre. Le choix de ce type de sculpture peut s’expliquer en raison de la personnalité du défunt, un médecin, qui a pu souhaiter léguer à ses confrères une occasion d’étudier un cadavre. C’est aussi toute la société qui est durement confrontée à la mort dans ses aspects les plus rudes avec les épidémies de peste, les famines et la guerre pendant tout le XIVe siècle.

*** Avicenne, Ibn Sînâ, fin lettré, fut le traducteur des œuvres d’Hippocrate et de Galien, et porta un soin particulier à l’étude d’Aristote. Il s’inscrit dans un mouvement général qui vit les philosophes de culture islamique découvrir la culture grecque et la faire redécouvrir ultérieurement à l’occident. Le succès que rencontra son Canon fut tel que les travaux faits avant lui par Rhazès (850 – 926), Haly-Abbas (930 – 994) et Abu Al-Qasim (936 – 1013) ou même après, par Ibn-Al-Nafis (1210 – 1288), furent éclipsés. Les croisés, d’ailleurs, ne s’y trompèrent pas : du XIIe au XVIIe siècle, Le Canon de la Médecine, qu’il ramenèrent du Moyen-Orient, servit de fondement à la médecine pour les praticiens et à l’enseignement de celle-ci.
Tour à tour traduit, en latin par Gérard de Crémone entre 1150 et 1187, imprimé, en hébreu à Milan en 1473, puis à Venise en 1527 et à Rome en 1593, le Canon n’est contesté que tard, à la Renaissance : Léonard de Vinci en rejette l’anatomie et Paracelse le brûle. Mais au-delà, c’est le réveil de la science européenne qui sonne son obsolescence (par exemple la description de la circulation sanguine par William Harvey en 1628).
Jusqu’en 1909 un cours de la médecine d’Avicenne fut donné à Bruxelles.
Avicenne brille dans les domaines de l’ophtalmologie, de la gynéco-obstétrique et de la psychologie. Il excelle dans la description des symptômes, décrivant toutes les maladies répertoriées à l’époque, y compris celles relevant de la psychiatrie.

***La folie de Charles VI, roi Bien-aimé un livre de Bernard Guenée, de l’Académie des inscriptions et belles-le ttres Un souverain fragile pourtant fort aimé de son peuple

***** Aujourd’hui encore, la définition de la maladie du roi divise les spécialistes. Un examen paléopathologique suggère un diagnostic rétrospectif d’un genre de schizophrénie atypique. Les études les plus récentes considèrent qu’il était atteint d’un trouble bipolaire, celui-ci expliquant la succession d’épisodes d’excitation et de périodes de mélancolie, ainsi que les moments de lucidité et la « détérioration mentale » des dernières années 62,63,64.

****** Les chroniques de Jean Froissart (1337-1410)

Le musée du Pays de Laon
Musée d’art et d’archéologie de Laon
32, rue Georges Ermant – 02000 LAON
Téléphone : 03 23 22 87 00
http://www.ca-paysdelaon.fr/musee.html

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Marc Gentili
Marc Gentili vit à Rennes où il exerce sa mission de médecin anesthésiste. Il est passionné par les sciences humaines et le cinéma.

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