Pour la quatrième et dernière conférence de Guillaume Kazerouni autour de la peinture espagnole du XVIIe siècle, l’amphi du musée des Beaux-Arts de Rennes a encore fait le plein. À l’écran se succèdent les images des tableaux de Murillo. Au micro, Guillaume Kazerouni partage son savoir. Qui est immense. Comment un enfant de Perse est-il devenu aussi pointu en histoire de l’art occidental ? Réponses.
Unidivers : Que gardez-vous comme souvenir culturel de votre enfance à Téhéran ?
Guillaume Kazerouni – J’ai littéralement mangé les trois seuls livres sur l’art occidental de la bibliothèque familiale : une encyclopédie, un ouvrage sur Dali et un guide sur La Rome des Césars. Mon appétit étant insatiable, ma mère me rapportait des magazines où je découpais les articles relatifs à l’art. Je me promenais ainsi dans les paysages italiens de la Renaissance, dans les parcs des châteaux français, par les chemins de Flandres…
: Vous les mangiez avec les yeux seulement ?
Guillaume Kazerouni – Non, car je les classais et me suis ainsi constitué une documentation personnelle de plus de 5000 sujets ordonnés et triés comme dans les archives de musées (avant l’informatique) !
: Quel a été votre premier contact réel avec les œuvres ?
Guillaume Kazerouni – À mes premières vacances en France en 1985, je me suis précipité au Louvre voir ce qui me fascinait.
: Votre gourmandise y a-t-elle trouvé son compte ?
Guillaume Kazerouni – Oui et non, car elle est inextinguible. Le hasard a bien fait les choses, car en 1986, quand ma mère a quitté l’Iran, la famille s’est installée dans le quartier du Louvre. Au début, c’était horrible ; je ne parlais pas français. Je me consolais en trouvant refuge au musée. À l’heure du déjeuner quand j’étais collégien puis lycéen, pendant les week-ends, les vacances, etc. J’ai dû pousser les portes de ce musée cinq ou six mille fois !
: Vous y avez travaillé ?
Guillaume Kazerouni – Oui. À l’issue de mon parcours universitaire à Paris IV Sorbonne, j’ai choisi la peinture française du XVIIe s. comme thème de recherche et ai obtenu un poste de stagiaire au Louvre. Cela m’a permis d’écrire un livre très sympa (Le Petit ami du Louvre, 10 chefs-d’œuvre expliqués aux enfants) et m’a amené à donner des conférences du « Louvre décentralisé » à travers la France. Parallèlement, j’ai commencé à donner des cours sur l’histoire de l’art – de la préhistoire aux années 50 – à des apprentis artisans lissiers de la Manufacture des Gobelins. J’ai adoré faire çà parce qu’il y avait peu d’élèves – des filles surtout – et que je les ai suivies pendant quatre ans.
: On voit que vous avez un don pour la transmission de vos connaissances. Cela vous plait de sortir du cadre strict du rôle de conservateur ?
Guillaume Kazerouni – Précision : je n’ai pas le titre de conservateur, mais celui de responsable des collections d’art ancien, peintures et dessins. J’ai proposé ces conférences à ma directrice Anne Dary, parce qu’il y a une vraie demande. Je tenais à ce qu’elles soient gratuites pour toucher un public varié. Je le fais bénévolement en dehors de mes heures de travail.
: Avant d’arriver à Rennes, quelles sont les missions dont vous gardez le meilleur souvenir ?
Guillaume Kazerouni – Une étude des dessins français anciens pour le musée de Grenoble, une exposition sur la Renaissance à Nancy et par-dessus tout un travail sur les tableaux du XVIIe s. dans les églises de Paris. Il a abouti à une exposition au Musée Carnavalet dont j’ai assuré le catalogue et participé à la scéno et aux relations presse… Les Couleurs du ciel reste mon plus beau projet à ce jour. Anecdote : c’est le dernier jour de l’accrochage que j’ai eu mon entretien pour ce poste au musée de Rennes.
: Bingo ! Vous voilà en Bretagne, entouré de saints, de Vierges, de noces de Cana et autres Nouveau-Né, beaucoup d’œuvres marquantes de l’art sacré du XVIIe s.
Guillaume Kazerouni – Il y manquait juste une œuvre d’art espagnol. C’est chose faite désormais avec l’acquisition (NDLR : grâce à une souscription publique) du Saint Jude Thaddée de Ribera, artiste majeur ibérique caractéristique du mouvement caravagesque par sa technique du clair-obscur. Tout comme Georges de La Tour. Saint-Jude se trouve désormais en compagnie du Nouveau-Né, la plus célèbre pièce du musée de Rennes. Votre conférence met l’accent sur le côté caravagesque de Murillo.
Guillaume Kazerouni – Elle permet aussi de mettre en avant son évolution, du trait net de ses débuts aux œuvres plus floues, plus aimables, de la maturité. On l’observe dans ses Immaculée Conception (Murillo faisait son beurre avec çà !) mais aussi dans ses portraits et son « invention » : les enfants pauvres – genre qui a fasciné les peintres français du XIXe s. On lui doit aussi une œuvre très originale pour son époque, La Jeune fille et sa duègne, frappant par l’interaction entre le sujet et le spectateur.
: Vous révélez des anecdotes à caractère politique sur la circulation des œuvres d’art.
Guillaume Kazerouni – Effectivement. Entre les 999 œuvres impeccablement choisies par le maréchal Soult à Séville lors de la guerre d’Espagne en 1808 et l’« échange » proposé par Pétain à Franco (qu’il admirait) en 1941, on comprend les enjeux que représente l’appropriation des objets d’art.
: Vous même, si vous deviez en posséder, lesquelles choisiriez-vous ?
Guillaume Kazerouni – Je n’en ai pas besoin chez moi ! Le fort sentiment de possession avec ce qui est dans les musées me comble.