GUSTAVE FLAUBERT EN PHOQUE, UN PORTRAIT PAR GEORGES GUITTON

Du voyage en Bretagne de Gustave Flaubert et son compagnon de route Maxime Du Champ, en 1847, naîtra Par les champs et par les grèves. L’auteur, Georges Guitton, extrait une anecdote de ce récit et construit un livre, Le Phoque de Flaubert aux éditions Les PUR, dont le point de départ se trouve être la rencontre du jeune écrivain avec… un phoque. Un portrait plein de vivacité, de curiosité et d’admiration.

Je n’ai jamais visité Croisset n’étant guère attiré par des visites auxquelles il manque l’hôte familier des lieux. De cette maison de campagne, je crois qu’il ne reste qu’un pavillon d’où regarder les navires ou les péniches sur la Seine et plus sûrement se retirer du monde pour mieux l’écrire. Voilà quelques années, contrairement à mes habitudes, le hasard a voulu que je m’arrête à Nohant. Aucune désolation chez George Sand, tout est en état. Au point qu’en entrant dans son théâtre miniature un peu rococo et beaucoup dépareillé, je croyais entendre les effets de voix de Delacroix, les notes de Chopin, les rires de George et de Gustave. J’ai recroisé l’ami Flaubert il n’y a pas si longtemps sous la plume d’Alejo Carpentier. Un maître disait-il et il le pensait depuis sa toute jeunesse. Il est vrai que l’œuvre est considérable. Qui n’a pas feuilleté et peut-être même lu en classe ou en privé Madame Bovary, Salammbô, L’Éducation sentimentale, Bouvard et Pécuchet ?

FLAUBERT PHOQUE

Mais revenons à ce qui nous occupe aujourd’hui. Le Flaubert des voyages. Je n’avais pas réalisé avant d’écrire cet article et de remonter à sa biographie combien il avait exploré le monde à une époque où les voyages sont vraiment longs. Peu de gens aujourd’hui peuvent prétendre en avoir fait autant. Écartons d’entrée les Pyrénées et autres babioles quoique George Guitton, marcheur impénitent lui aussi, aurait j’en suis certain bien aimé le guider sur ces chemins, quitte à le pousser un peu dans ses efforts, certes méritoires mais qui restaient un brin paresseux. Son accompagnateur fut souvent Maxime Du Camp, plus qu’un ami si j’en crois le livre (à lire lui aussi) de Régis Jauffret, Le Dernier Bain de Gustave Flaubert (1). Photographe et écrivain prolifique perdu pour la postérité, Maxime Du Camp sera de toutes les aventures parfois cocasses en Grèce, en Palestine et jusqu’à l’Egypte profonde et son désert arabique. Un vrai tour de Méditerranée car s’ajouteront presqu’aussitôt l’Italie puis quelques années plus tard la Tunisie et l’Algérie.

Auparavant, les deux complices avaient glissé dans leur feuille de route en 1847, une marche plus modeste en Bretagne (poussée cette fois jusqu’à l’Anjou), un périple qui s’entreprend par certains aujourd’hui encore avec bonheur (2). Un apprentissage aux récits ou aux reportages de voyage pour l’un comme pour l’autre ? Il en sortira un livre Par les champs et par les grèves qui se lit toujours chez nous, notre manie sans doute d’ajouter des grands noms de littérature à notre bibliothèque même lorsque ceux-ci ne sont que de passage comme Marcel Proust à Beg Meil. Nous sommes arrivés à pied d’œuvre car de ce voyage, Georges Guitton va en extraire une anecdote racontée en deux pages et en faire un volume de 36 chapitres et 260 pages. Avouez que cette multiplication, connue dans bien d’autres histoires, est déjà un exploit ! Quelle mouche l’a donc piqué ? Un mouvement d’humeur de voir Rennes si maltraitée ? De l’amusement à découvrir un phoque dans notre capitale ? Le bonheur de trouver un point d’entrée original dans la maison Flaubert ? Car, et vous l’aurez deviné, le phoque n’est qu’un subterfuge pour notre essayiste.

FLAUBERT PHOQUE

C’est en vérité à une promenade en bonne compagnie qu’il nous convie car ce phoque, cet étrange animal de mer plutôt sympathique, ce ventriloque parlant soi-disant notre langue en plus de la sienne qui nous ferait presque douter de nos ancêtres, cet artiste de rue et de foire à l’appétit féroce mais au regard attendrissant, ce phoque de Flaubert donc n’est pas une mince affaire même si l’histoire est mince. Georges Guitton en tire un jus jusqu’à la dernière goutte et ce jus se boit bien. Il nous fait là cadeau de multiples voyages. Dans les pas de nos deux complices, avec les saltimbanques, vrais ou faux, d’ici et d’ailleurs, dans l’image du phoque à travers les siècles, et surtout en compagnie des écrivains de son temps et des temps d’avant. De quoi nourrir en chemin notre imagination et réviser nos cours de littérature. Découvrir Balzac en phoque, qui l’eût cru ? Croiser Chateaubriand à l’âge gamin dans Combourg, Paul Féval déjà gâteux à Rennes, ce n’est pas donné à tout le monde. D’autres encore ont succombé aux charmes de la bête. Gérard de Nerval en est. Jules Michelet en versera une larme. Eugène Sue, Jules Valles lui donneront eux aussi la parole. De la géographie littéraire comme de la géographie animalière faisant feuilletons et manchettes dans les journaux à petits et grands tirages, le 19e siècle n’en sera pas avare.

PHOQUE

L’essai de Georges Guitton est comme son précédent ouvrage solidement documenté (3). Dix pages de références dont certaines remontent à très loin (l’exemple hors toute catégorie étant l’ouvrage de Pierre Belon de 1551 sur l’histoire naturelle des poissons marins). Il a fouillé certes les archives mais pour en rendre un livre plein de vivacité, de curiosité, d’admiration pour un Flaubert qu’il ne ménage pas pour autant dans son quotidien. Anecdotes, bifurcations, allers et retours, impromptus se succèdent au fil des pages. Après lecture, et en toute confidence, je m’interroge de nouveau sur la volonté de Flaubert d’être phoque. Moquerie, provocation, plaisanterie, rêve ou simple constat illustré en couverture. Le cheveu plutôt rare, le sourire contenu, la moustache tombante, l’humeur des yeux. Lequel ressemble le plus à l’autre ?

FLAUBERT PHOQUE

Le phoque de Flaubert, Georges Guitton, éditions Les Presses universitaires de Rennes (PUR), octobre 2021, 296 pages. 25 €

Notes

  1. Seuil, 2021
  2. Thierry Dussard, Fantaisie vagabonde, en Bretagne avec Flaubert, Ed. Paulsen, 2021
  3. Rennes, de Céline à Kundera, Presses Universitaires de Rennes, 2016
Georges Guitton
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Jean-Louis Coatrieux
Jean-Louis Coatrieux est spécialiste de l’imagerie numérique médicale, écrivain et essayiste. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment aux éditions La Part Commune et Riveneuve éditions.

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