Accessibilité à Rennes, repenser le handicap plus que des efforts

La gestion du handicap et de l’accessibilité à Rennes a connu une évolution le 30 avril dernier. Le conseil métropolitain a entériné l’installation de portillons d’accès dans le métro de la ville. Objectif : lutter contre la fraude (environ 11% des usagers). Mais cette décision, précédemment reportée et en marge de la polémique qu’elle suscite, a surtout été prise – comme souvent dans la gestion politique rennaise  – sans consultation des associations locales de handicapés qui sont pourtant concernés en première ligne par la fermeture de l’accès au métro. Une occasion de revenir sur l’accessibilité de la Ville de Rennes où les efforts sérieux réalisés depuis plusieurs années méritent d’être poursuivis bien plus avant.

 

rampe-accès-rennes-villejean-fauteuilsAu 1er janvier 2015, la Métropole rennaise n’était pas parvenue à tenir les engagements de la loi de 20051, qui prévoit que tous les ERP (Établissements Recevant du Public) doivent être accessibles aux personnes handicapées – que ce handicap soit physique, mental, cognitif ou psychique. Depuis des années pourtant, de nombreux acteurs se sont concertés afin d’agir localement en faveur de l’accessibilité. Nombreux aussi sont les crédits que la ville a alloués à la mise aux normes de ses espaces publics. Une politique au succès reconnu puisqu’elle arrive aujourd’hui, selon le classement APF, à la 7e place sur 96. (Le Baromètre de l’accessibilité APF classe les 96 chefs-lieux départementaux en fonction de trois grands critères – cadre de vie, équipements municipaux et politique locale _ à partir de questionnaires remplis par les délégations départementales de l’APF et les services des 96 mairies.)

En concertation avec les associations de handicapés, Rennes Métropole a pris des initiatives urbanistiques pour mettre aux normes sa voirie, ses transports et son cadre bâti public, comme actuellement sur la ligne de métro B où le chantier de rénovation du centre des Congrès Couvent des Jacobins. Sur le plan des transports, difficile de ne pas constater les progrès qui ont été faits depuis bientôt une quinzaine d’années avec le renouvellement, certes lent, mais bien entamé, du parc d’autobus ainsi que la mise en accessibilité de la majeure partie des quais du réseau. Un engagement que les sociétés STAR et Keolis poursuivent en travaillant avec le Collectif handicap 35 afin d’améliorer les services et l’accueil apportés aux personnes à mobilité réduite au sein des véhicules du réseau. À travers la logo bus handicapformation des conducteurs, mais aussi un dialogue permanent, de nouvelles solutions sont  recherchées en permanence pour correspondre aux besoins de chacun. Et les nouvelles initiatives ne manquent pas pour faciliter la mobilité. Dernière en date, la mise à jour de HandiMap, service qui propose le calcul de trajets à travers la ville pour les personnes à mobilité réduite.

C’est donc un bilan relativement positif que Michel Lozac’hmeur, responsable du groupe de travail Accessibilité au sein de Collectif Handicap 35, tire de l’application de la loi 2005 à l’agglomération rennaise. Avec son réseau de bus, son métro et l’ensemble des travaux sur les ERP communaux et intercommunaux2, la métropole jouit d’une facilité d’accès plus que correcte, malgré quelques « couacs », notamment sur certains bus dont les rampes ne sont pas toujours fonctionnelles. Mais Michel Lozac’hmeur reste pragmatique : la relation qui s’est établie entre le collectif et les élus est désormais ancrée dans une bonne pratique, de nouveaux progrès promettent ainsi d’être réalisés.

Difficile donc de blâmer la Métropole de Rennes qui a déjà pris de l’avance par rapport à certaines autres grandes villes. Une avance heureuse eu égard à la récente évolution négative du cadre légal de l’accessibilitédessin-handicap-ouvert-a-tous. En effet, le 6 juillet dernier, le Parlement a entériné en première lecture le report de 3 à 9 ans de la mise en accessibilité des ERP3 et la suspension des sanctions pénales en cas de non-respect des normes d’accessibilité4. Si cette adoption est dénoncée – sur le fond comme dans les conditions5 – par les associations de handicapés, la loi va au-delà : non seulement elle simplifie les normes d’accès, mais elle ajoute également des dérogations à l’accessibilité de nombreux équipements. Désormais, concernant les transports publics, seuls les arrêts dits prioritaires ont un devoir d’accessibilité. Quant aux copropriétés, elles peuvent être exemptées de tous travaux pour peu que l’ensemble des copropriétaires s’accorde sur un refus motivé. L’ambition d’accessibilité universelle promue par la loi de 2005  se trouve considérablement diminuée par cette loi presque entièrement détricotée.

Alors qu’il reste de nombreux chantiers ouverts à Rennes, l’application de la nouvelle loi inquiète les associations. Il était déjà difficile pour le Collectif Handicap 35 de trouver des interlocuteurs parmi les petits ERP privés du centre de Rennes (restaurateurs, boutiques et autres bars et boîtes de nuit), dont beaucoup sont inaccessibles en fauteuil, il est clair qu’avec le report de la loi la situation n’est pas prête de s’améliorer. Michel Lozac’hmeur évoque également les professions libérales : beaucoup sont logo-Handicap-soutien-autonomieinstallées dans des établissements « classés » du centre-ville ; loin d’être aux normes, elles profitent de la nouvelle loi et de l’élargissement des dérogations. Les demandes affluent et lors de la réunion de chaque commission Accessibilité de Rennes Métropole, c’est une trentaine de dossiers de dérogation qui sont examinés.

Ainsi, les avocats ont déjà obtenu une exemption d’accessibilité de leurs locaux dans la mesure où des services identiques sont proposés à la Cité judiciaire. Les dentistes, eux, ont été admis à déroger sous prétexte que les personnes à mobilité réduite pouvaient se rendre à la Faculté dentaire. C’est une Rennes à deux vitesses qui risque de se mettre ainsi en place, dans une sourde indignation et avec une fatalité résignée. En pratique, l’argument de non-faisabilité des travaux appert le plus souvent. Toutefois, il est souvent difficile de distinguer absence de faisabilité et absence de bonne volonté… En ce qui concerne, enfin, les fameux portillons du métro rennais, gageons qu’ils seront suffisamment bien pensés afin d’assurer un accès facile aux personnes à mobilité réduite.

Pour Antoine Mottier, directeur de collection aux éditions Goater et atteint d’un handicap aux membres inférieurs, ce procédé est typique de la conception française de la politique d’inclusion des personnes handicapées handistar-minibus-star-rennes-handicap: « une conception trop largement tutélaire et non autonomiste » vis-à-vis de ces dernières. Ce retard ne touche pas seulement la ville de Rennes, mais bien toute la France par rapport à d’autres pays où la notion même d’accessibilité, déjà intégrée depuis de nombreuses années, est absente du spectre des politiques publiques. Pour bien comprendre, il donne l’exemple du service Handistar. Indispensable pour remédier au manque d’accessibilité de certaines localités, il impose à ses usagers une planification particulièrement contraignante des déplacements et ne souffre aucun retard. « 10 minutes de retard et c’est un blâme, voire une amende, qui est adressé à l’usager ! On reste de ce fait bien souvent dans une dialectique infantilisante face au handicap. »

Réaliste, Antoine Mottier sait que le 100 % tout accessible ne sera jamais une réalité, mais les comportements relèvent pourtant du bon sens, davantage que de la bonne volonté. Ne serait-ce que repenser la signalétique qui fait souvent défaut dans les lieux publics afin d’indiquer un accès, un ascenseur, et éviter ainsi une démarche supplémentaire aux personnes handicapées. « C’est une question de perception des handicaps et de leurs implications, de déconstruction pour mieux les prendre en charge, et de sensibilisation pour permettre aux “valides” de se rendre compte que certains “petits” obstacles deviennent vite ingérables pour une personne à mobilité réduite. »

À Rennes où de nombreux efforts ont été réalisés, il convient donc de ne pas relâcher la pression ; d’autant plus que, depuis cet été, l’accessibilité n’est plus une priorité légale. Reste que l’accessibilité ne pourra jamais être complète tant qu’elle n’inclura pas la recherche continue d’autonomie des personnes handicapées. Peut-être aussi tant que « l’humanité dite “normale” ne le sera vraiment que quand elle dînera à la même table des “anormaux” » (Le Miroir, Andreï Tarkovski, 1975)

Handicap et accessibilité à Rennes : quelques chiffres 2014

Transports/Réseau Star

  • Métro : 100 % accessible
  • Bus : 100 % des quais accessibles en avril 2015 — 1 quai accessible dans chaque commune de la métropole
  • Service Handistar : 107 828 voyages et 1639 clients sur 43 communes
  • Handimap : 1 appli et des itinéraires adaptés aux 4 types de handicaps

Voirie

  •  750 000 €/an pour accessibilité des voiries et espaces publics
  • 1156 places de stationnement pour personnes à mobilité réduite

Bâtiments publics

  • Financement des travaux d’accessibilité des ERP : 1 million d’euros/an
  • 22 % du patrimoine de la ville est accessible
  • 5 agents municipaux dédiés à la mise en accessibilité
  • Sur les 490 ERP existants , 103 sont accessibles depuis début 2015.

Emploi

  • 10,10 % des salariés de Rennes Métropole sont handicapés
  • 7,76 % au Centre Communal d’action sociale
  • 6,45 % à la Ville de Rennes.

Logement

  • 579 logements spécifiquement adaptés au handicap moteur, dont 347 à Rennes
  • 1 commission logement spécifique à l’habitat adapté au handicap.

École

  • +50 % d’enfants porteurs de handicaps accueillis en 4 ans dans les crèches municipales
  • 3 postes d’auxiliaires de puéricultrices pour cet accompagnement spécifique.

Source : Rennes Métropole

1 Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

2 Malgré des bâtiments classés et la nécessité de conserver un important patrimoine historique.

3 Après quelques modifications, le Parlement a inscrit dans la loi l’ordonnance CAMPION du 26 septembre 2014 visant à prolonger les délais concernant les obligations de mise en accessibilité de la loi de 2005, via la mise en place d’Agenda d’Accessibilité Programmée.

4 Par les collectivités locales et autres acteurs économiques

5 Ladite ordonnance avait reçu un avis défavorable de la part du Conseil National Consultatif de personnes handicapées et a été présentée relativement tard aux Assemblées parlementaires.

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Thomas Moysan
Thomas Moysan est rédacteur en chef des Décloitrés, revue biannuelle de Sciences Po.

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