Alors que l’actualité se focalisait sur la vague de neige qui paralysait la France, un millier de militants bravait les intempéries et le froid pour se réunir à Gannat dans le cadre d’une manifestation européenne unitaire contre la multinationale Harlan. Le 19 janvier 2013, plus de 1000 personnes s’étaient répartis devant les 18 centres que compte cette dernière en signe de protestation.
Harlan est, avec la compagnie Covance, l’un des principaux pourvoyeurs d’animaux pour laboratoires. Chiens, lapins, souris, singes servent à tester autant les cosmétiques que les produits ménagers ou les médicaments. Le médicament est souvent cité pour montrer le cadre vertueux de cette activité, mais avec l’actualité récente des pilules contraceptives de 3e et 4e génération, il semble s’avérer que le modèle animal présenté comme le plus fiable se réduit à un sombre business.
C’est l’avis de la créatrice de l’association Pro-Anima qui a décidé d’agir après la mort prématurée de sa fille, Georgina, des suites d’une thrombose due à la pilule Diane 35. Harlan à Gannat, comme L’Elevage des Souches à Mézilles, est l’un des derniers pourvoyeurs français d’animaux, livrant annuellement 2500 chiens condamnés à mort à seulement 4 mois. Souris comme chiens ne sont plus des animaux, mais de la marchandise vendue par organes, frais, congelés ou à la pièce.
En 2013, les laboratoires en utiliseront 2 millions rien qu’en France. Une partie viendra de la société Harlan dont la brochure interne vanterait selon les opposants les « beagles à la carte […] disponibles avec anticorps prédéfinis, système immunitaire désactivé et non vacciné pour assurer une prise optimale des maladies injectées aux animaux et une progression optimale de celles-ci. » (comme le Beagle fluorescent Tegon créé en Corée en 2011). Après une phase de sociabilisation et de mise en confiance (« c’est chauffé et ils ont même des jouets »), le chien partira pour la modique somme de 2300 € dans un laboratoire du CNRS, de l’INRA, une université ou un institut de recherche. À moins que cela soit chez un des sous-traitants de L’Oréal ou Garnier.
Outrés par un tel bilan, de nombreux militants sont venus particulièrement remontés. À 13 h, il y avait déjà 2 cars d’Italiens, « vétérans » de Green Hill et autres combats du même genre. Ils furent vite rejoint par des transports de toute la France, un car de Belgique, d’autres de Toulouse, de Bordeaux et enfin de Paris. L’ensemble formait un cortège de plus de 1000 personnes de tous âges, mais surtout féminin. Contexte étrange : tous les magasins étaient fermés et les toilettes de la gare, point de départ de la manifestation, étaient indisponibles.
Dans un silence de mort, la procession mortuaire voulue par les organisateurs s’ébranla pour traverser le centre-ville, désert, puis la zone commerciale, elle aussi bouclée. Les gendarmes surveillaient les carrefours tandis que certains citadins insultaient les manifestants des canettes de bière à la main. Sous une pluie battante, par une température proche du zéro, drapeaux italiens, canadiens, anglais, belges, israeliens, bulgares battaient au vent pour accompagner de nombreuses associations (SPA, Fondation Brigitte Bardot, L214, Animaux en péril, CCE2A) unies autour d’une même cause.
Malheureusement, avec plus d’une heure de retard, une communication absente ou inaudible de la plupart, l’envie s’est transformée en rumeurs puis en tension. Des arrêts intempestifs sans raison évidente, des incidents comme un chien attaché à une corde trop courte pour certains et voilà des militants qui commencent à ressentir une haine contre toute une ville visiblement solidaire de cette entreprise. Le cortège passa devant la clinique vétérinaire qui officie pour Harlan. 4 gendarmes étaient postés devant.
C’est bien après 16 h que la manifestation arriva devant l’entrepôt d’Harlan situé loin de la route, sans panneau d’indication, quasi bunkerisé. Derrière une rangée de barrières, de gendarmes, puis d’une épaisse clôture, se tenait le patron de l’élevage. Derrière les murs en contrebas, des centaines de chiens attendaient et attendent un sort peu enviable. Dès lors, la manifestation, jusqu’ici silencieuse, s’est mis à prendre feu sous l’étincelle d’un jeune suédois ivre voulant en découdre avant d’être évacué par 5 gendarmes. Les insultes se mirent à fuser. Et en l’absence de mot d’ordre clair quant au déroulement de la manifestation, les participants commencèrent à se disputer.
Le tant attendu dépot de gerbe a alors tenté d’avoir lieu. Les organisateurs demandèrent à la foule de reculer pour « replacer la tête de cortège » et permettre une prise de parole. Incompréhension chez beaucoup de manifestants étant donné la place existante déjà bien suffisante. Personne ne bouge. Puis un grand nombre de manifestants regrettant la tournure prise par l’événement ou simplement déçues qu’aucun dialogue ne soit possible avec le maire ou Harlan se retirèrent.
Le cortège amoindri se divisa entre irréductibles, dont les enthousiastes italiens qui restèrent sur place donner pacifiquement de la voix, tandis que le reste se repliait sur le Rond-Point où les discours furent annoncés. Mais rien ne vint. C’était à n’y rien comprendre. Le temps passant et les gendarmes devant rouvrir la zone commerciale et la ville à 18 h… La menace du gaz lacrymogène a-t-elle été proférée ? Un brigadier en tenait-il une bombe en main ? Est-ce une rumeur colportée ? Personne ne le saura, car il était temps de rentrer chez soi sans rien d’autre que la promesse de meilleurs lendemains.
Les Allemands ont mis 6 années pour parvenir à fermer l’équivalent de Gannat à Eystrup. Mais ce fut en comptant sur une vraie culture du dialogue. Combien faudra-t-il de manifestations en France pour arriver à un tel résultat ? Nul ne peut le dire. Reste qu’il n’aura jamais lieu sans un encadrement et une logistique profondément revues. Sinon, les manifestants, dans leur grande diversité d’opinion et de sensibilité, risque de revenir moins nombreux. Alors que c’est dans l’union pacifique, mais convaincue qu’il convient de libérer ces milliers d’animaux maltraités.