La violoncelliste Héloïse Luzzati, nommée Chevalière de l’ordre des arts et des lettres, présente ce mardi 26 septembre 2023 une conférence où elle dressera un panorama de la création musicale féminine du XIXe au XXe siècle, au Tambour de l’Université de Rennes 2. L’occasion de découvrir des Histoires de compositrices et de réhabiliter des œuvres reconnues en leur temps, mais systématiquement effacées de l’histoire musicale. Portrait de la musicienne classique et de son projet.
« Pouvez-vous citer cinq noms de compositeurs ? À priori, oui : Bach, Mozart, Beethoven, Schubert, Brahms… Pouvez-vous citer cinq noms de compositrices ? », c’est la question que pose La Boite à Pépites. La chaîne YouTube, créée par la violoncelliste Héloïse Luzzati en 2020, a pour ambition de mettre en lumière des œuvres de compositrices qui ne bénéficient presque pas, voire pas du tout, d’enregistrements en studio. La curiosité de l’interprète de musique classique l’a amenée par le passé à rechercher des partitions de compositrices dans les coulisses du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, mais les résultats furent décevants. Elle évoque en même temps l’absence totale de celles-ci des manuels d’histoire musicale à laquelle elle a fait face lors de ses études.
La curiosité, maître-mot pour représenter la musicienne. Celle-ci remarque dans sa jeune vie professionnelle que les mêmes œuvres sont souvent jouées dans le milieu classique, soit parce qu’elles sont des chefs-d’œuvres soit simplement par habitude. À l’origine de son projet donc, une appétence personnelle pour le déchiffrage de partitions et une envie de partager ce travail avec collègues et amis musiciens. « C’est un enthousiasme constant et renouvelé chaque jour de découvrir de la musique » se ravit l’artiste. « Et c’est jamais fini, on sait qu’il y aura toujours de la musique à découvrir ! On déniche toujours des compositrices dont on n’a jamais entendu parler, alors on poursuit les recherches. » Autre point positif : elle est heureuse de pouvoir interpréter des œuvres plus librement, sans le fardeau du « poids du répertoire » [des œuvres déjà interprétées par beaucoup et que les grands maîtres classiques ont pu jouer, ndlr] qui enferme une interprétation dans une manière de jouer.
Animée par sa curiosité pour des œuvres encore inconnues et par la question de l’absence de compositrices dans l’histoire musicale, Héloïse Luzzati prépare en 2020 des vidéos sur cette thématique. « Mon temps libre était assez restreint jusqu’en 2020. Puis avec la période COVID, un temps incroyable s’est offert à moi et j’ai voulu le transformer en quelque chose de positif, mais qui était au départ tout à fait amateur », raconte la musicienne qui fonde la même année l’association Elles women composers autour de ce projet de recherche. « Suite à ça, j’ai été soutenue, il y a eu de la diffusion. J’ai eu de la chance d’intéresser des gens ! Je ne pensais pas du tout que ça allait devenir un grand centre dédié aux compositrices avec un festival [le festival Un Temps pour Elles, ndlr], un label de disques, une maison d’éditions et des tonnes de concerts. Par contre, j’ai beaucoup travaillé pour que ça existe ». L’association est aujourd’hui soutenue par le ministère de la culture et les collectivités entre autres et songe à développer le mécénat pour étendre ses activités.
La violoncelliste s’interroge sur les mécanismes de l’effacement systématique des compositrices de l’histoire musicale. Un exemple frappant : celui de Louise Farrenc. La compositrice a connu le succès au XIXe siècle, ses symphonies étaient jouées et des pairs la reconnaissaient ; le célèbre Schumann fait l’éloge de son Air russe varié op. 17 pour piano. « On pense souvent que la place de la femme était moins importante ou moins valorisée, mais je n’en suis pas complètement convaincue parce qu’il y avait plein de compositrices à la fin du XIXe et au début du XXe siècle », explique Héloïse Luzzati. « Pour autant, on ne se souvient pas d’elles. Le problème n’est pas tant qu’elles aient pu avoir une vie professionnelle en leur temps, mais que l’histoire de la musique a été écrite à sens unique ». C’est dans ce contexte que le travail de la présidente de l’association trouve son sens. Elle précise qu’il ne s’agit pas de réécrire l’histoire de la musique, mais de lui ajouter le bout qui lui manque, tout en continuant de jouer les chefs-d’œuvres écrits par des hommes. « Les choses bougent, il y a plein d’enregistrements qui arrivent. C’est plutôt réjouissant la période dans laquelle on est » ajoute t-elle.
Les projets de la présidente d’Elles women composers prennent souvent une forme narrative. Elle ne cherche pas seulement à faire écouter la musique de ces compositrices oubliées, mais elle raconte leurs histoires. Cette démarche met le partage au cœur du projet, élément primordial pour la musicienne qui aime échanger avec ses publics et replace ces artistes dans un patrimoine commun. « Souvent, on considère que si quelque chose n’est pas connu, c’est que ça n’a pas de valeur, et la qualité médiocre [qu’on lui prête] justifie la méconnaissance d’une vie, d’une œuvre, voire d’œuvres » analyse la violoncelliste. « J’ai la conviction qu’en replaçant ces compositrices dans leur contexte, on les inscrit dans une période, un courant artistique et dans l’éducation qu’elles ont pu avoir avec des hommes qu’on connaît. L’art a besoin de contexte pour être compris ».
Elle ne se limite pas à raconter ces histoires dans la centaine de vidéos qui existent aujourd’hui sur la chaîne YouTube La Boite à Pépites, c’est également un format qu’elle privilégie dans les concerts du festival Un Temps pour Elles porté par l’association.
Mais l’association se heurte à la problématique d’attirer un public qui veut surtout écouter les grands maîtres du classique. « C’est plus facile de remplir une salle en jouant du Schubert, du Brahms, du Beethoven et du Mozart qu’en jouant du Jeanne Leleu », rapporte Héloïse Luzzati. « Il faudrait que tout le monde joue le jeu et accepte de prendre des risques ». Des partenaires artistiques emblématiques lui permettent toutefois de programmer des concerts de compositrices (La Philharmonie de Paris, la Bibliothèque Nationale de France, etc.) et des événements plus ponctuels comme la conférence Histoires de compositrices à l’Université de Rennes 2 qui a lieu pour la deuxième année d’affilée. Ces programmations diffusent d’importantes œuvres de compositrices.
La violoncelliste s’enthousiasme en même temps de voir les musiciens qui jouent dans son festival interpréter ces musiques ailleurs. « Renaud Capuçon [violoniste et chef d’orchestre français, ndlr] est venu au festival il y a 2 ans, et depuis il joue partout le magnifique Thème varié pour violon et piano ou violon et orchestre de Charlotte Sohy. Il l’a joué avec un pianiste qui l’a lui-même proposé à un autre pianiste ». Les artistes-musiciens participent ainsi à la diffusion et à la réhabilitation de créations musicales féminines. C’est dans ce partage que s’incarne le cœur du projet d’Héloïse Luzzati. La parole est aux artistes.
Héloïse Luzzati sera présente ce mardi 26 septembre à l’université de Rennes 2 pour présenter un panorama de la création musicale féminine entre le XIXe et le XXe siècle à 18h.
Conférence gratuite, sur réservation
Mardi 26 Septembre 2023, 18h (durée 1h30) / Campus de Villejean (Rennes), Le Tambour (bât. O)
Réservation avec le Service Culturel de l’Université Rennes 2
02 99 14 11 47 / s-culturel@univ-rennes2.fr