Hergé et le carnet oublié, Jacques Langlois raconte le père de Tintin

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Georges Remi, alias Hergé, le papa de Tintin

En ouvrant le dernier carnet d’adresses ayant appartenu à Hergé, le carnet oublié, Jacques Langlois ouvre les portes du souvenir et de la vie du créateur de Tintin. Passionnant et éclairant.

En 1978, Georges Rémi, qui se fait appeler Hergé depuis ses premières planches, a 71 ans. Il ne le sait pas, mais il lui reste cinq années à vivre. Comme un bilan, il reconstitue son agenda usagé, un long et patient travail où il recopie manuellement plus de 360 noms, adresses et numéros de téléphone, une manière indirecte de mémoriser les personnes importantes de son existence. Une forme de testament affectif. Au milieu de ce carnet, à la lettre L, figurent les coordonnées de Jacques Langlois, l’auteur de cet ouvrage, tel un signe de légitimité. Depuis l’âge de dix ans, ce dernier, admirateur de Tintin, adresse par la poste au dessinateur des croquis d’enfant. Dès lors, le créateur de Quick et Flupke et son lecteur inconditionnel vont rester en contacts épistolaires permanents, agrémentés les années passant, de quelques rencontres. Aussi quand Jacques Langlois reçoit en cadeau ce carnet de l’ancien secrétaire général de la fondation Hergé, Philippe Goddin, il le garde comme une relique avant que beaucoup plus tard lui vienne l’idée de l’exploiter pour raconter Hergé à sa manière. On se souvient que Brigitte Benkemoun avait acheté sur Internet un pareil carnet qui s’avéra être celui de Dora Maar, une des huit femmes majeures dans la vie et l’oeuvre de Picasso. Elle écrivit à partir des entrées de ce calepin un remarquable texte, « Je suis le carnet de Dora Maar » (voir chronique). De la même manière, l’un des meilleurs connaisseurs de Hergé, vice président de l’association Les Amis d’Hergé, va à son tour explorer son carnet d’adresses, tirer les fils comme un enquêteur, pour donner une image en creux du dessinateur belge.


hergé et le carnet oublié

Il ne dresse pas un abécédaire, mais organise plutôt son récit par thématiques. Des absences d’abord qui disent beaucoup telles ces cinq rares entrées concernant la famille Rémi, cette famille où Hergé s’ennuyait constatant simplement que « on s’aimait bien » mais où « on n’a pas grand chose à se dire ». Cinq entrées identiques à celles concernant la famille royale belge, une donnée arithmétique simple mais qui dit beaucoup.

Utilisant les pages manuscrites comme des décalcomanies d’enfants qui surgissent de manière aléaoire, le portrait d’Hergé apparait hors logique chronologique. Par bribes, par allusions. Les connaisseurs rempliront les cases vides, les novices se laisseront porter par un récit en touches impressionnistes reconstituant eux-mêmes un portrait global qui ne dissimule en rien les faiblesses et les forces du créateur belge. Au premier plan et en fil rouge, les idées politiques de Hergé pendant le conflit mondial, son goût pour « l’ordre nouveau » qui transparaît à travers les noms de ses amis d’époque Paul Jamin, Marcel Dehaye, et beaucoup d’autres. Les descriptions minutieuses d’amitiés nombreuses montrent que chez Hergé « quand il s’agit de quelqu’un qu’il a vraiment aimé, le passé ne passe pas ». Ce paradoxe fait reprendre à l’auteur les mots de la biographie de Pierre Assouline (1) lorsqu’il décrit les années d’occupation comme celles de « l’âge d’or » d’Hergé, une période faste intellectuellement et créativement avant les années sombres et dépressives de la Libération. Le positionnement politique à droite a son corollaire immédiat: droite ou extrême droite? Langlois s’emploie ici à donner les faits, rien que les faits avérés, sans occulter aucune donnée. Il cite par exemple l’inspiration des jurons du capitaine Haddock qui seraient possiblement issus des imprécations Céliniennes de « Bagatelles pour un massacre ». Les certitudes étant posées, il laisse ensuite le soin au lecteur de faire son opinion.

On ne saurait pourtant résumer Hergé à ses opinions politiques. L’énumération des noms recensés dans le carnet, les portraits et les existences racontés forment aussi une formidable histoire de la BD de l’après guerre. De la participation discontinue comme directeur artistique à la création du journal Tintin, aux relations avec Franquin, Goscinny et tant d’autres intervenants dans le domaine de l’édition notamment, Langlois raconte l’irruption de la Bd dans la société française, la petite et grande histoire de son explosion. Les liens entre collègues dessinateurs mais aussi les jalousies jalonnent la vie de Hergé, première véritable star du neuvième art.

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Georges Remi, alias Hergé, le papa de Tintin

Les Tintinophiles seront heureux de découvrir des clés méconnues de certains albums et surtout la transposition dans la fiction de personnages réels et d’amis d’Hergé, tel Philippulus le Prophète, « personnage dérangé » du très controversé album L’Étoile Mystérieuse. Il est le portrait psychologique de Philippe Gérard, ami d’enfance de Hergé au moment où tous deux sont en train de se séparer en ce début de seconde guerre mondiale pour des raisons politiques. Noms, prénoms, lieux, professions, nombreux sont ainsi les révélations qui racontent les emprunts d’Hergé à sa vie personnelle.

Le goût de Hergé pour l’art contemporain, ses relations avec la gloire, racontés dans les derniers chapitres donnent une image plus large du créateur qui reste néanmoins un homme difficile à cerner et une personnalité sujette à tous les jugements.

Servi par une érudition fine, qui ne s’étale pas mais s’apprécie comme un bon vin, le livre de Jacques Langlois constitue un véritable plaisir de lecture, susceptible de plaire aux inconditionnels de Hergé comme aux novices qui trouveront matière à plonger dans les albums mythiques. Comme un dictionnaire on peut y choisir ses portes d’entrée, à toute heure du jour (et de la nuit). Une oeuvre, un homme, une époque, beaucoup est dit en quatre cents pages. Avec honnêteté et transparence.

Hergé et le carnet oublié de Jacques Langlois. Préface de Michel Porret. Éditions Georg. 440 pages. 21€. Parution : 13 juin 2024

(1) Hergé de Pierre Assouline. Editions Folio.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

1 COMMENTAIRE

  1. Merci Eric Rubert pour cette critique sensible de mon livre… et sur un site culturel breton, ce qui réjouit d’autant plus l’estimant camarétois que je suis !
    Cordialement

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