À l’heure où la question de la laïcité et de l’enseignement du fait religieux fait débat, la sortie du film Histoire de Judas de Rabah Ameur-Zaimeche semble la bienvenue. En effet, il aborde plusieurs thèmes et pose de nombreuses questions. Certes, l’auteur n’y répond pas vraiment, mais chaque spectateur peut trouver dans cette Histoire de Judas et de Jésus des éléments de réponse, parfois opposés et correspondant à la sensibilité de chacun. Dans une dialectique parfois théâtrale, Rabah Ameur-Zaimeche nous propose une vision très personnelle de l’histoire christique non dénuée de résonances contemporaines…
Comme Pasolini, Rabah Ameur-Zaimeche a choisi de raconter quelques épisodes de la vie de Jésus. Il ne prend pas comme base un évangile, comme celui de saint Matthieu pour Pasolini mais choisit de suivre le personnage de Judas comme fil conducteur. Ce sont des scènes de la vie de Jésus qui se déroulent devant nous. Comme Pasolini, Rabah Ameur-Zaimeche a choisi de tourner dans le pays dont il est originaire, l’Italie des Pouilles pour Pasolini, l’Algérie pour Rabah Ameur-Zaimeche. Le choix est convaincant. Dès le début du film : le désert où Jésus a jeûné pendant quarante jours, un village qui pourrait être Jérusalem sans oublier les vestiges romains, théâtre du procès de Jésus. « Dans Judas, on a un désert magistral, des décors antiques somptueux, une terre dont on ressent la force tellurique » (Rabah Ameur-Zaimeche, Cahiers du cinéma avril 2015). Tout cela cadré au millimètre, ce qui rend tout à fait crédible, comme chez Pasolini d’ailleurs la reconstitution. Au fil des différentes scènes, Rabah Ameur-Zaimeche amène le spectateur à se poser des questions sur la représentation de Jésus et de ses actes.
Peut-on représenter le prophète ? Rabah Ameur-Zaimeche nomme plusieurs fois Jésus : le prophète ou le prophète de Bethléem. Le réalisateur hésite avant de nous montrer son visage. Dans la première scène dans le désert, il nous laisse patienter avant de montrer Jésus. Au début du film, Judas gravit la montagne, entre dans la cabane où Jésus est resté. Le réalisateur nous montre alors ce qu’ils voient par l’entrebâillement de l’entrée, puis juché sur le dos de Judas, Jésus n’est pas reconnaissable. Tout au long du film, son visage est souvent caché, soit parce qu’il baisse la tête, soit parce qu’il est recouvert de la capuche de son manteau, comme les jeunes de banlieue d’ailleurs. Comme Pasolini, Rabah Ameur-Zaimeche a choisi un acteur non professionnel, l’un de ses assistants Nabil Djedouani. Celui-ci a un beau visage aux cheveux longs fidèle en cela aux représentations habituelles.
Quelle image donner de Jésus ? Ce choix d’un acteur non professionnel va dans le sens d’une simplicité du personnage. Ce n’est pas une star mais un « simple mortel, qui est enfant de la Terre avant de se retrouver au Ciel » (Rabah Ameur-Zaimeche). Dès le début du film où Judas vient rechercher Jésus dans son ermitage, le prophète est montré faible physiquement. Il ne peut plus marcher et a besoin d’être porté comme un nouveau-né qui (re)nait. Plus tard, en particulier, lors de la scène avec la femme adultère, il est hésitant. À l’opposé, le personnage de Carabas, inventé par Rabah Ameur-Zaimeche, une sorte de Christ fou, joue le Christ vedette mais peu crédible, comme lorsque les enfants le mettent sur un piédestal (un vulgaire tabouret) pour se moquer de lui.
Comment représenter les scènes bibliques ? Rabah Ameur-Zaimeche semble nous donner deux réponses : l’une qui répond à l’hagiographie habituelle : la scène où Jésus chasse les marchands du temple, une autre moins traditionnelle, le pardon de la femme adultère. Dans le premier cas, la scène semble surjouée, déjà vue, presque sans intérêt. Par contre, la seconde est très belle. La jeune fille, nomme Bethsabée est victime. Jésus lui pardonne en rejetant la faute sur ces juges. La scène se termine par la purification de Bethsabée dans l’eau de la rivière. Scène de baptême qui rappelle la deuxième séquence du film lorsque Jésus se purifie après la tentation dans le désert. Cette scène de la femme adultère résonne d’ailleurs avec une scène de « Timbuctu », le très beau film d’Abderamane Sissakho. Le christ est ici plus clément que les juges musulmans qui laisseront dilapider la femme adultère.
Quels symboles religieux retenir ? Rabah Ameur-Zaimeche semble les refuser comme son père d’origine musulmane les refusait lorsqu’il était enfant. Le réalisateur se fait un malin plaisir à détruire un des symboles de la religion : la croix. Dans une scène qui semble durer, Carabas détruit à mains nues et avec rage les croix. Même chose pour la Cène que Rabah Ameur-Zaimeche réduit à une scène de repas occultant son caractère sacré. Pas de parole de Jésus pour partager le pain et le vin.
Quelles traces conserver du message du prophète ? Le film est peu bavard. Jésus s’exprime peu et souvent d’une voix à peine audible. Faut-il conserver ses paroles et les transmettre à l’humanité ou, au contraire les détruire comme le fait Judas avec le scribe ? La question reste ouverte : les paroles sont plus ou moins bien traduites et les textes sacrés parfois mal interprétés. Des esprits malveillants peuvent les utiliser à des fins néfastes. Mais, à l’inverse, la scène de destruction des parchemins évoque des scènes récentes où des intégristes, comme les nazis avant eux ont détruit des textes ou des œuvres d’art, patrimoines de l’humanité.
Quel est le rôle de l’histoire dans l’Histoire sainte ? La Judée était(est ?) un territoire occupé au temps de Jésus. Pour certains, le rôle de Jésus était celui d’un libérateur non pas des consciences mais du peuple. Sa condamnation était aussi un acte politique. On le proclamait roi des juifs alors que son royaume était ailleurs. Même si Pilate reconnait d’avance son erreur, il la juge moins périlleuse que de laisser Jésus poursuivre son œuvre. Le film résonne singulièrement avec l’époque actuelle. Les ruines semblent les seuls décors possibles au Moyen-Orient.
Comment représenter l’histoire sainte ? Rabah Ameur-Zaimeche utilise les ressources du cinéma pour donner à son film à la fois un caractère sacré mais aussi contemporain. L’image est particulièrement soignée (comme l’était celle de Timbouctu) avec des résonnances picturales. Rabah Ameur-Zaimeche cite Rembrant et le Caravage. J’ajouterai de la Tour comme dans la scène d’intérieur après le retour au village. La bande-son crée un environnement sonore à la fois vivant et permettant le recueillement. Même si les dialogues sont souvent réduits sauf dans la scène de procès qui est plutôt théâtralisée, la bande-son est enrichie par les cris de joie des habitants qui accueillent Jésus, les bruits des animaux ou encore, la musique discrète mais suggestive.
Quelle vérité ? Rabah Ameur-Zaimeche prend le parti de ne pas représenter Judas comme un traitre. Au contraire, c’est le fidèle serviteur ou l’homme de main de Jésus. Le réalisateur choisit une nouvelle interprétation à la phrase « fais ce que tu dois faire ». D’ailleurs, Judas sera absent lors de l’arrestation de Jésus blessé par le scribe. Rabah Ameur-Zaimeche a choisi pour écrire son film différentes sources, religieuses mais aussi fictionnelles comme Le Maître et la marguerite de Mickaël Boulgakov.
Reste la fin du film. Jésus est mort. Judas, absent lors de la crucifixion, va au tombeau. Celui-ci est vide, filmé à la manière du Christ au tombeau de Holbein, dans une couleur bleutée et une image horizontale. Une vision de la mort. Judas s’allonge dans le tableau comme pour retrouver l’esprit de son maître ou le remplacer son maître. Puis le dernier plan …
Titre : Histoire de Judas
Réalisation : Rabah Ameur-Zaïmeche
Scénario : Rabah Ameur-Zaïmeche
Photographie : Irina Lubtchansky
Montage : Grégoire Pontécaille et Marie Loustalot
Musique : Rodolphe Burger
Costumes : Alice Cambournac
Décors : Tony Delattre
Producteur : Rabah Ameur-Zaïmeche et Khalid Djilali
Production : Sarrazink Productions et Arte
Distribution : Potemkine Films
Pays d’origine : Drapeau de la France France
Genre : Drame historique
Durée : 99 minutes
Dates de sortie :
Drapeau de la France France : 8 avril 2015
Nabil Djedouani : Jésus
Rabah Ameur-Zaïmeche : Judas
Mohamed Aroussi : Barabbas
Marie Loustalot : Bethsabée
Patricia Malvoisin : Suzanne
Eliott Khayat : un scribe
Abel Jafri : un prêtre
Xavier Mussel : Menenius
Roland Gervet : un centurion
Nouari Nezzar : Caïphe
Régis Laroche : Ponce Pilate