La fresque oubliée de M.F. Husain retrouve l’Inde après un demi-siècle en Norvège

Husain painter

Accrochée pendant près de cinquante ans dans un couloir discret d’un hôpital à Oslo, une œuvre monumentale de M.F. Husain, figure majeure de l’art moderne indien, vient d’être vendue pour 13,8 millions de dollars. Ce record marque le retour en Inde d’un tableau à la trajectoire improbable, entre oubli, redécouverte et réhabilitation symbolique.

Il y a des œuvres qui semblent disparaître pour mieux réapparaître. En 1954, Maqbool Fida Husain peint Untitled (Gram Yatra), un vaste hommage à la vie rurale indienne. Sur cette toile de plus de 4 mètres de long, le peintre célèbre le quotidien des villages, les paysans, les bêtes de somme, les femmes au travail, avec une ferveur qui mêle modernisme pictural et enracinement populaire. L’œuvre, d’une force visuelle saisissante, s’inscrit dans la période la plus féconde de Husain, alors membre du Progressive Artists’ Group qui cherche à donner un langage plastique à l’Inde post-indépendance.

Un destin inattendu l’attend. Le tableau est acquis peu après sa création par le Dr Jørgen Volodarsky, un médecin norvégien ayant travaillé en Inde. En 1964, il le lègue à l’hôpital universitaire d’Oslo. Faute de reconnaissance muséale, l’œuvre est installée dans un couloir privé de l’établissement. Elle y restera près d’un demi-siècle, à l’écart du monde de l’art, visible seulement du personnel hospitalier. Aucun cartel, aucune notice : la toile traverse les années comme une présence silencieuse.

Husain Gram Yatra
M.F. Husain, Gram Yatra

Il faudra attendre les années 2020 pour que l’hôpital, dans le cadre d’un inventaire de ses collections, redécouvre le tableau et en mesure l’importance. Authentifié et valorisé, Gram Yatra est confié à la maison Christie’s. Le 18 mars 2025, il est mis en vente à New York. La toile atteint 13,8 millions de dollars : un record absolu pour M.F. Husain, et plus largement pour toute œuvre de l’art moderne indien.

Derrière ce chiffre spectaculaire, c’est toute une trajectoire artistique et géopolitique qui se rejoue. Longtemps controversé en Inde pour ses représentations iconoclastes, Husain avait quitté son pays en 2006 pour vivre en exil volontaire au Qatar. Treize ans après sa mort, cette reconnaissance mondiale et le retour symbolique de l’œuvre en Inde — puisque l’acquéreur, selon la presse indienne, est un mécène souhaitant en faire don à une institution publique — donnent à cette vente une résonance toute particulière.

« Gram Yatra n’est pas simplement un tableau exceptionnel, c’est un miroir tendu à l’Inde d’hier et d’aujourd’hui », commente la critique d’art Geeta Kapur. « Que cette œuvre retrouve sa terre d’origine, après un si long détour, c’est une forme de justice poétique. »

L’argent récolté lors de la vente sera utilisé par l’hôpital d’Oslo pour financer la formation de jeunes médecins — donnant à ce geste artistique une portée philanthropique. Le legs de Volodarsky, geste discret d’amitié entre deux mondes, trouve ainsi un prolongement dans un nouvel échange entre l’Europe et l’Inde, entre mémoire et transmission.

Le retour de la toile en Inde, enfin, confirme un mouvement plus large : celui d’un Sud global qui, après avoir vu une partie de son patrimoine quitter ses frontières, en reprend aujourd’hui possession, non pas dans la revendication, mais dans la réappropriation par la reconnaissance, le marché, la diplomatie de la culture.