L’hypothèse de la simulation, telle qu’élaborée par Nick Bostrom en 2003, a certes des implications philosophiques profondes sur la nature de la réalité, mais elle est aussi révélatrice, en 2025, d’un état existentiel propre à l’homme contemporain : celui d’un être immergé dans un monde complexe, technologique, décentré, où Dieu n’est plus garant de l’ordre cosmique — et où la vérité elle-même semble fuyante.
En 2003, le philosophe Nick Bostrom de l’Université d’Oxford a introduit l’argument de la simulation, suggérant que notre réalité pourrait être une simulation informatique avancée. Selon Bostrom, au moins une des propositions suivantes est vraie :
- Aucune civilisation humaine n’atteindra un stade posthumain capable de créer des simulations d’ancêtres.
- Les civilisations posthumaines n’ont aucun intérêt à exécuter de telles simulations.
- Nous vivons presque certainement dans une simulation.
Cet argument repose sur l’idée que si des civilisations avancées peuvent créer de nombreuses simulations, le nombre d’êtres conscients simulés dépasserait largement celui des êtres réels, rendant probable que nous soyons nous-mêmes dans une simulation.
Plus récemment, le physicien Melvin Vopson de l’Université de Portsmouth a proposé une nouvelle loi physique, la « seconde loi de l’infodynamique », qui suggère que l’univers tend à minimiser la complexité de l’information, similaire aux algorithmes de compression numérique. Selon Vopson, cette tendance pourrait indiquer que l’univers fonctionne comme un système informatique, soutenant ainsi l’hypothèse de la simulation.
L’hypothèse de la simulation comme symptôme d’un désarroi métaphysique
Dans un monde sécularisé, l’idée d’une simulation ultra-avancée jouant le rôle de notre réalité observable remplace, sur un plan métaphorique, l’idée d’un Dieu créateur. Le simulateur devient une puissance cachée, un principe organisateur et transcendant, non pas divin mais technologique. Cela suggère que l’homme contemporain, malgré la mort de Dieu proclamée par Nietzsche, continue de chercher un principe supérieur structurant l’univers, même s’il le place désormais du côté de l’intelligence artificielle ou d’une entité post-humaine.
Ce n’est pas un hasard si cette idée prend racine dans les années 2000 et connaît un regain d’intérêt dans les années 2020 : elle reflète une inquiétude croissante face à la perte de repères ontologiques. Comme dans La Caverne de Platon, où les ombres projetées sur le mur remplacent la vérité, notre monde pourrait n’être qu’un théâtre d’illusions, mais cette fois sans Idées pures derrière, seulement des lignes de code.
Une réponse à l’opacité du monde
L’époque actuelle est marquée par une surcharge informationnelle, une complexification extrême des systèmes économiques, politiques et techniques, et une difficulté croissante à discerner le vrai du faux (théories du complot, deepfakes, réalités augmentées, bulles algorithmiques). Dans ce contexte, l’hypothèse de la simulation devient une structure narrative, un cadre interprétatif global, qui donne du sens à l’incompréhensible.
Elle fournit une réponse simple (quoique vertigineuse) à une situation devenue illisible : si tout cela est une simulation, alors c’est normal que rien n’ait de sens clair. Ce que révèle cette hypothèse, ce n’est pas seulement une spéculation sur la nature de l’univers, mais un besoin humain de retrouver une forme de lisibilité du réel — même au prix de l’imaginer artificiel.
La perte de confiance dans les institutions du savoir
L’hypothèse de la simulation prospère dans un climat de doute généralisé : doute envers la science (déformée par le sensationnalisme), doute envers les médias, doute envers les élites. Ce doute est exacerbé par une science devenue elle-même presque ésotérique pour le grand public (physique quantique, multivers, etc.) et par un monde gouverné par des algorithmes opaques.
Dans ce paysage mental, l’idée d’une simulation devient séduisante car elle rend l’absurde intelligible, et donne à l’homme une place — fût-elle celle d’un cobaye ou d’un programme.
Le paradoxe de l’hypertechnologisation
Le philosophe Günther Anders parlait déjà dans les années 1950 de « honte prométhéenne » : la honte de l’homme face à ses propres créations techniques devenues trop puissantes. L’hypothèse de la simulation, surtout en 2025, s’inscrit dans cette lignée. Elle naît dans un monde où la technologie semble tout savoir, tout prédire, tout contrôler — sauf la question essentielle : à quoi bon ?
Nous avons créé des intelligences artificielles capables d’écrire, de parler, de calculer, d’analyser mieux que nous — et cela ravive l’idée que nous-mêmes pourrions être des produits de cette logique informatique.
Une métaphysique sans transcendance
Enfin, l’hypothèse de la simulation propose une forme de spiritualité sans métaphysique religieuse. Elle permet de penser le destin, la contingence, la souffrance, le libre arbitre et même la mort — non plus comme les effets d’un dessein divin ou d’un hasard biologique, mais comme les éléments d’un programme plus vaste.
En cela, elle reflète une tension centrale du XXIe siècle : comment vivre avec le vertige de l’immanence, dans un monde sans transcendance, où tout pourrait n’être qu’un « jeu » d’un niveau supérieur ?
L’hypothèse de la simulation n’est pas seulement une idée spéculative fascinante. Elle agit comme un miroir tendu à l’homme de 2025 : elle expose sa quête de sens, son angoisse face à un monde opaque, son besoin de structure dans une réalité perçue comme illisible — et sa nostalgie d’un ordre supérieur, fût-il algorithmique. C’est, en somme, une métaphysique de l’incertitude technologique.