BD. Dans Il Déserte de Xavier Coste, Antoine de Caunes raconte son père

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Xavier Coste, au sommet de son art, met en images la solitude d’un homme sur une île déserte. Antoine de Caunes raconte son père. Magnifique.

« Je suis venu ici pour respirer. De la télé j’en ai trop fait. Je présentais le JT de 20 H. Je commentais des matches de foot, de rugby, de catch, le festival de Cannes … ». Ce n’est pas Anne-Sophie Lapix ou Gilles Bouleau, victimes d’un burn-out qui s’expriment ainsi, mais un journaliste du siècle d’avant. De Caunes de son patronyme, Georges de son prénom. Il est celui qui en ce début des années soixante dit le ras le bol de son quotidien professionnel, mais aussi personnel. Il fait partie des « inventeurs » de la télé, de ceux qui se sont retrouvés devant un écran blanc à animer quand le téléviseur était un champ de création vierge. Expérience vertigineuse et épuisante pour un homme volubile en public mais taiseux en privé, soucieux de multiplier les escapades de tous genres, échappées que son fils Antoine, très jeune enfant, a du mal à comprendre. En 1962, Antoine a huit ans, son père décide une fugue plus radicale que les précédentes. Il part, « il déserte », sur une « île déserte », accompagné de son seul chien, Eder, pour vivre une expérience emplie du souvenir de Robinson Crusoé. On le dépose sur un morceau de terre de l’archipel des Marquises : Eiao. Un lieu hostile sous couvert d’un nom poétique. Cette année prévue d’isolement, uniquement ponctuée de chroniques radiophoniques, son fils ne la comprend pas. Soixante ans plus, tard, s’appuyant sur le journal intime du séjour de son père sur l’îlot, il décide de reprendre les feuillets enfouis pour rechercher les motivations intimes du journaliste. Antoine nous raconte Georges.

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La narration du quotidien révèle alors l’énormité de l’utopie qui accompagne chacune des expériences d’un retour aux origines que les beatniks notamment populariseront quelques années plus tard. Du lever du jour à son coucher, rien n’est simple en effet: le soleil accablant transforme l’après-midi en four thermique et la nuit en pause salvatrice. Moustiques, solitude, Tupapau, ces fantômes des ancêtres, transforment la vie sur l’île du « conte de fées » en « compte de faits ». Accompagné de son chien Eder, d’un Robinson imaginaire ou des deux versions de lui même, le Georges négatif des carnets intimes et le Georges positif des compte rendus quotidiens radiophoniques, le naufragé volontaire s’interroge sans cesse sur les raisons de sa décision d’isolement. Dès le premier jour tout semble perdu d’avance. On y découvre que la liberté totale devient une forme de prison à laquelle il est difficile d’échapper. A distance temporelle, la Bd entretient ainsi un dialogue entre un père de 40 ans, son fils de huit ans, et le même fils âgé de 71 ans.

Antoine de Caunes avait remis à Xavier Coste en 2022, le Prix BD FNAC France Inter pour l’adaptation graphique du roman de Orwell, 1984. Peut-être est ce à cette occasion que s’est formée l’idée d’une possible collaboration avec ce dessinateur « et sa touche poétiquement naturaliste » ? Poétique et naturaliste, deux adjectifs qui collent parfaitement à l’auteur de « Rimbaud, l’indésirable », dans ses pages faites à l’ordinateur où l’onirisme et le symbolique côtoient la réalité d’un monde souvent vu du ciel .

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Dans un format proche du carré que le dessinateur s’est approprié, Xavier Coste déploie son talent immense qui s’approche de plus en plus de celui d’illustrateur. S’affranchissant des cases, disposant d’un espace presque infini, tout en menant une narration fluide et agréable, il ponctue l’ouvrage, comme dans L’homme à la tête de lion, de dessins pleine page ou double page, magnifiques, allégeant le récit dense de respirations pleines de couleurs et de luminosité.

De ces dessins qui vivent pour eux mêmes, il nous avait dit lors d’une rencontre à Saint Malo, « ce que je trouve magique c’est que ce sont des pages qui naissent presque toutes seules (…). Des doubles pages existent parce que j’ai juste envie de les dessiner à ce moment là. Elles ne sont pas anticipées et je ne sais même pas où je vais les intégrer. Ces scènes dispensables ce sont celles que je préfère car on y trouve le cœur des choses ». Le cœur des choses c’est ici la beauté de la nature qu’expriment des couleurs flamboyantes et brûlantes mais c’est aussi la solitude que montrent le gris et la monochromie.

D’un récit familial et intimiste, Antoine de Caunes et Xavier Coste ont fait une histoire universelle: celle des liens entre un père et son fils, celle de la difficulté de communiquer entre eux, celle du mystère de l’amour familial. Une histoire qui permet d’écrire enfin que l’Homme n’est bien nulle part « même pas sur une île dans des conditions (…) rêvées ».

Il déserte : Georges ou la vie sauvage. Auteur : Antoine de Caunes. Scénario et dessin : Xavier Coste. Éditions Dargaud. 208 pages. 30€. Parution : 28 mars 2025. Lire un extrait