L’artiste composite rennaise Anouk Alliot a fait de son oeuvre un laboratoire expérimental. De la gravure à l’illustration, en passant par le film d’animation, elle assemble des éléments disparates qui participent à construire son identité artistique. Pour se dire et dire l’autre, l’art devient un médium essentiel, là où s’entrechoquent souvenirs et obsessions.
Diplômée de l’École Supérieure d’Art de Lorraine, la Rennaise de 28 ans revient sur son parcours. Le temps d’une conversation, elle nous
ouvre les portes de son musée intérieur, entre art brut et poésie du souvenir.
Après un bac pro esthétique, une terminale avortée à cause de difficultés familiales et des déceptions dans ses choix d’études, Anouk Alliot bifurque et décide de se tourner vers une formation artistique : « J’ai appris qu’il était possible d’intégrer les Beaux-Arts sans le bac… chose que personne ne sait véritablement », introduit-elle. « Je ne me sentais pas légitime au départ. J’ai donc été en prépa à Paris, nous étions seulement deux à ne pas avoir de diplôme. Ce fut une année très enrichissante, car c’était la première fois que j’étais valorisée pour le travail que je fournissais, je faisais une activité qui me plaisait avec l’impression d’avoir enfin trouvé ma voie. J’ai ensuite passé le concours pour entrer aux Beaux-Arts. Mais sans le bac, il fallait absolument prouver que j’étais déterminée. Je n’avais pas le droit de me reposer sur mes acquis contrairement à d’autres. ». La jeune fille intègre finalement l’ESAL à Epinal. Pendant trois ans, elle développe son goût pour l’expérimentation et affirme sa liberté artistique, refusant de s’enfermer dans une discipline en particulier.
Mêlant art contemporain, gravure, illustration et film d’animation, ses premières créations interpellent ses professeurs qui la poussent à continuer dans cette voie malgré sa difficulté à se dire et à se projeter comme artiste professionnelle.
Construire son identité artistique
Le projet « Confinés » germe durant le confinement. De la contrainte liée à la fermeture des magasins d’art lui est venue l’idée d’utiliser un nouveau support : le Tetra Pak des briques de lait. « J’ai décidé de faire une maison en gravure sur tissus représentant l’endroit où nous étions confinés. Le voile de coton poreux et fragile de la maison permet, selon l’éclairage, de devenir transparent. Les personnages imprimés sur le toit sont tordus pour essayer de rentrer dans des morceaux de tissu, on ressent alors l’oppression, l’enfermement, la sensation de ne plus pouvoir sortir. Sur les murs de la maison, les personnages dépassent des cadres en tissus, leur taille permet de créer une confrontation avec le spectateur. »
Après un service civique destiné à favoriser la culture en détention au sein d’une maison d’arrêt à Lyon, la jeune femme décide de reprendre son activité artistique dans la capitale bretonne. « J’ai débuté avec le projet « Le Passage », autour de la gravure. » Dans des cadres anciens, elle façonne des portraits singuliers, parfois inquiétants. Des personnages en Tetra Pak gravés et encrés fixent l’observateur, à la fois fasciné et oppressé par le regard en coin des figures cartonnées.
La plume fantastique de Théophile Gautier fait étrangement écho aux portraits encadrés de l’artiste…. L’auteur écrira dans sa nouvelle La Cafetière, publiée en 1831 : « Un des portraits, le plus ancien de tous, celui d’un gros joufflu à barbe grise, ressemblant, à s’y méprendre, à l’idée que je me suis faite du vieux sir John Falstaff, sortit, en grimaçant, la tête de son cadre […]. Et tous les cadres s’élargirent de façon à laisser passer aisément les figures qu’ils renfermaient. »
« Les défauts du support, tous les traits ratés qui se voient et se superposent… c’est cela qui me plait avec cette technique. La gravure me permet d’être complètement libre, car c’est justement le côté « art brut » qui m’intéresse. »
La jeune femme postule en parallèle à de nombreuses résidences artistiques qui rythment depuis quelques années ses projets. « Les résidences apportent une certaine notoriété aux artistes, cela leur permet d’être exposés, et en principe payés. C’est également essentiel pour tisser un réseau », déclare-t-elle. « Au début, je tentais tout car ce sont des appels à projets avec de longs délais de réponse : j’ai postulé pendant un an avant d’être prise à trois résidences. »
La première résidence se déroule dans les Vosges. L’occasion pour Anouk de réaliser un projet vidéo autour de la thématique « art et territoire », visant à mettre en lumière les habitants et la vie en milieu rural. « L’idée initiale était de comprendre la nature du lien qu’ils entretenaient avec leur territoire, en association avec leurs souvenirs. »
« Le prétexte artistique m’a permis de créer du lien avec des personnes de toutes les générations, très diverses. Elles étaient très ouvertes à l’idée de me livrer des fragments de leur vie, de raconter leur vécu aussi différent soit-il. »
Puis, elle pose ses encres, ses tissus et son inspiration à Bécherel, avant de se projeter à Amilly dans le Loiret le temps d’un été. Elle prévoit de développer une technique bien à elle afin d’investir plus avant un thème central dans son travail : le souvenir. « Je travaille autour d’une autre technique avec du tissu et du moulage : à l’aide d’un mélange de colle à bois et d’eau (qui durcit le tissu), je suis en train de mouler la cuisine de ma grand mère, des casseroles, des ustensiles … autant d’éléments qui me permettent de parler des instants que l’on passe ensemble autour du repas et de la table… »
La douleur du temps qui passe laisse ici place à une douce nostalgie, comme une ode à l’éphémère et au partage. « Maintenant mes sujets tournent davantage autour du souvenir, car je veux parler de ces moments d’échange et faire participer les gens au processus de création. »
Du noir et blanc à la couleur, une transition chromatique et personnelle
Avant de produire des illustrations colorées, la jeune femme rappelle son attachement au noir et blanc. Cette palette restreinte lui a permis de s’exprimer pleinement autour de sujets plus sombres et délicats : « Ma mère est décédée lorsque j’avais 18 ans », confie-t-elle. « Trois ans après, j’ai mis le pied en prépa, où je parlais très peu de ce sujet et vivais très mal la perte de ma mère. Lorsque j’ai débuté mon école d’art, j’ai enfin trouvé un moyen de m’exprimer : les thématiques du deuil puis de la maladie sont dès lors devenues centrales dans mes créations. À travers un projet artistique, on peut aborder de manière détournée ces sujets, tout en extériorisant. En parallèle, j’ai découvert que j’avais la maladie de Crohn, que j’ai développée à la suite du décès de ma mère, comme la conséquence d’un choc psychologique. C’est en entrant en école d’art que mes crises se sont arrêtées ; j’ai véritablement perçu les vertus thérapeutiques de l’art comme un moyen d’extérioriser ma souffrance et ce passage du deuil. »
D’où la place centrale du noir et blanc :
« La couleur ne fonctionnait pas dans ce cadre là… Pour représenter quelque chose de trash et violent, le noir et blanc était plus adapté. La couleur est aussi particulièrement complexe, surtout dans l’assemblage. Cela requiert davantage de réflexion, chose que je réserve à des créations moins personnelles et spontanées, plus consensuelles comme mes illustrations. Avec le noir et blanc, on peut facilement aller à l’essentiel, avec des créations plus « cathartiques ».
Impossible pour elle de ne pas évoquer son attachement à l’art brut, qui influence encore aujourd’hui ses projets. « Ce sont des créations très spontanées et sincères… C’est pour cela que l’art brut me touche particulièrement. Ce sont souvent des artistes avec des vies complexes et je me retrouve totalement dans leur démarche. Cela fait en réalité profondément écho à mon parcours personnel. » Entre art brut et surréalisme, le photographe Roger Ballen fait partie de ses sources d’inspiration. Des clichés et des mises en scène qui dérangent, bousculent et interrogent. L’univers de cet artiste inclassable fait la part belle à l’étrange et au difforme, à la folie et au malaise, autant de sentiments qui lui permettent d’explorer la condition humaine au prisme de la monstruosité.
« L’art en général c’est une sorte de liberté, et pour moi cette créativité doit être cultivée. C’est une affaire de spontanéité … l’art est vital pour moi. »
« Je pense que j’ai décidé de m’intéresser à l’art car ma situation était un peu compliquée. Aujourd’hui j’ai avancé, il y a encore des sujets dont j’ai besoin de parler mais d’une façon moins intense et personnelle. Car il y a finalement quelque chose de profondément égocentrique : je parle beaucoup de moi et ça a fini par me lasser ! J’ai eu besoin de trouver une certaine légèreté, d’où la diversification de mes créations en me tournant vers l’illustration et la couleur. » Après une heure d’entretien, Anouk Alliot est parvenue à nous plonger dans son cabinet de curiosités. Le vent se lève. Les fragments de vie et d’histoires partagées se dispersent ; son talent et sa sensibilité, eux, restent.
Retrouvez les prints d’Anouk Alliot à la friperie Vacarme, à la boutique Maison Images et à la friperie Soleil Noir à Rennes. Elle sera également présente au marché des créateurs des Détonantes vendredi 12 juillet à Rennes, quartier de le Courrouze.