Les Essentiels #12 : Images d’Orient. Bien des années après que se soit apaisée cette vague puissante de la mode orientaliste, l’Orchestre symphonique de Bretagne nous a proposé d’effectuer un voyage rétrospectif sur ce que cette tendance a produit de mieux. Pour cela deux grandes œuvres sont venues illustrer son propos : le concerto pour piano et orchestre n°5 en fa majeur de Camille Saint-Saëns, puis la suite symphonique op. 35 « Shéhérazade » de Nikolaï Rimski-Korsakov, inspirée des contes des mille et une nuits.
Mais avant de se consacrer à cet orientalisme mâtiné d’esthétique occidentale, il était bon de retourner aux sources de cette musique et le concertino pour Oud, piano et cordes de Menachem Wiesenberg semblait être le chemin idéal. Trois protagonistes se sont partagé la vedette. D’abord Taiseer Elias, très fameux joueur de Oud et musicien réputé au proche Orient, ensuite Cédric Tiberghien, l’excellent pianiste français que nous retrouvions avec un plaisir non dissimulé et enfin, l’orchestre symphonique de Bretagne toujours solide et qui, sous la baguette de Anthony Hermus, a fait preuve d’une énergie vraiment impressionnante.
Les premières notes, produites par un pincement direct des cordes du piano par la main de Cédric Tiberghien, donnent faussement à penser que le Stenway connaît quelque problème. Il n’en est rien et rapidement le oud répond à ces sons déroutants par une mélodie rapide et sinueuse, laquelle nous plonge directement dans l’ambiance particulière de la musique arabe. Aucun orientalisme de pacotille, juste des sonorités qui évoquent les mystères et les complexités de l’orient, il ne reste au public du TNB qu’a se laisser entraîner dans les méandres d’une troublante rêverie. Respectant certains fonctionnements, typiques de la musique arabe, Taiseer Elias, entame sa partie sous la forme d’un taqsim, longue improvisation ouvrant le dialogue avec les autres instruments. Bien sûr, ce mélange de sonorités contemporaines et de mélodies orientales sème un peu de trouble dans le public, un brin désarçonné. Mais attentif jusqu’à la dernière note il accueillera d’applaudissements nourris l’arrivée sur scène de l’auteur, Menachem Wiesenberg.
C’est sur une mélodie calme que s’ouvre le concerto de Camille Saint-Saëns, rapidement le piano entre en lice et nous invite à des impressions aquatiques, sans beaucoup attendre l’orchestre donne de la voix et apporte une sorte de densité. Le piano se détache et prend à son tour une belle intensité, Cédric Tiberghien, par la virtuosité de son jeu, comme par l’intériorité de son interprétation nous conduit sur les rives du Nil pour une déambulation égyptienne. C’est pourtant dans le second mouvement qu’apparaîtront vraiment les allusions à la musique orientale. Les premières mesures, presque pharaoniques du piano clouent sur place l’assistance, toute la suite ne sera qu’émerveillement et exotisme, il y a dans ce mouvement une véritable tension. On entend parfois comme le chant d’un batelier numide qui aurait conté au musicien son histoire d’amour . Le troisième mouvement, molto allegro, commence avec la même impétuosité, mettant en place un dialogue piano-orchestre plein d’énergie qui ne nous laissera aucun repos, nous entraînant inexorablement vers un final sur un triple accord barrant rageusement la partition.
Si nous avions trouvé cela passablement vigoureux, la suite ne nous laisserait pas nous endormir, avec Rimski-Korsakov et son Shéhérazade. Le premier mouvement intitulé « La mer et le vaisseau de Simbad » sonne comme un appel à l’aventure, immédiatement tempéré par la délicate mélodie du violon, occasion pour nous de saluer la belle prestation de la soliste invitée, comme Shéhérazade, à peine âgée de 20 ans.
Cette pièce sera également l’occasion de mettre en valeur plusieurs solistes de l’orchestre symphonique de Bretagne, Marc Mouginot et son basson, Éric Bescond à la flûte traversière, Sonia Borhani, véritable découverte à la clarinette, sans oublier Fabien Bollich à la trompette. Il est judicieux d’applaudir dans leur ensemble les prestations des cuivres et des bois, puissamment présents dans cette œuvre, comme des percussions, représentées ce soir-là par six exécutants. Cette musique qui dissimule mal un courant « national » comme on le connaissait à la fin du dix-neuvième siècle, se teinte de fantaisie orientale, mais sans faute de goût et avec une vigueur étonnante. Après ce second mouvement, lento, « Le récit du prince Calender », nous assisterons à des scènes plus intimistes avec « le jeune prince et la princesse », troisième mouvement plus apaisé, au cours duquel sont évoqués les doux émois de jeunes amoureux. « Festival à Bagdad, – la mer – le naufrage du bateau sur les rochers », toutes les séquences du quatrième mouvement n’indiquent guère, elles, l’apaisement, bien au contraire, et nous ne serons pas déçus. Nous serons emportés par de véritables vagues musicales qui nous balaieront comme des fétus de paille, nous laissant presque harassés d’émotions et de plaisir jusqu’à ce que l’ultime complainte du violon nous autorise enfin à manifester notre plaisir.
Belle soirée au TNB, puisque tous les ingrédients du succès étaient réunis. Satisfaction d’autant plus grande qu’il nous a été possible d’écouter Cédric Tiberghien dans des conditions optimales, ce qui n’avait pas été le cas lors du concert d’ouverture au triangle. Nous avons eu le plaisir de bavarder avec lui à l’issue du concert et il s’avère aussi sympathique que talentueux. Encore un joli coup que cette résidence, de la part de Marc Feldmann, le toujours facétieux administrateur général de l’OSB.
Les essentiels #12 de l’OSB, retour sur les trois dates (les 9, 10 et 11 mai 2017) à Rennes et Lorient
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Orchestre Symphonique de Bretagne
Direction : Antony Hermus
Piano : Cédric Tiberghien
Oud : Taiseer Elias
Camille Saint-Saëns
Concerto pour piano n°5 en fa majeur, « L’Egyptien »
Menachem Wiesenberg
Concertino pour oud, piano et cordes
Nicolaï Rimski-Korsakov
Shéhérazade, suite symphonique, op. 35