Un implant cérébral redonne la parole à une patiente muette

implant parole

Une équipe de recherche des universités de Californie à San Francisco (UCSF) et Berkeley (UC Berkeley) a mis au point une interface cerveau-ordinateur (BCI) capable de convertir en temps réel l’activité cérébrale liée à l’intention de parler en phrases prononcées de manière fluide. Testée sur une patiente atteinte de paralysie totale et privée de parole depuis 18 ans à la suite d’un accident vasculaire cérébral, cette technologie représente une avancée majeure dans le champ des neuroprothèses vocales. L’étude, publiée dans Nature Neuroscience, démontre pour la première fois la possibilité de restituer une voix personnalisée et intelligible, en continu, à partir d’un implant cérébral. Bientôt une neuro-prothèse vocale fluide et personnalisée ?

Depuis deux décennies, la recherche sur les interfaces cerveau-ordinateur a permis des avancées significatives dans la restauration des fonctions perdues chez les patients atteints de paralysie sévère. Toutefois, la reproduction naturelle et fluide de la parole à partir des signaux cérébraux reste un défi technologique et neurobiologique considérable. Contrairement à la simple sélection de mots par contrôle oculaire ou mouvements résiduels, restituer une conversation fluide et personnalisée implique de décoder en temps réel des intentions linguistiques complexes.

L’étude porte sur une patiente de 47 ans, surnommée « Ann », rendue tétraplégique et aphasique par un AVC du tronc cérébral survenu 18 ans auparavant. Dans le cadre d’un essai clinique, les chercheurs ont implanté un réseau d’électrodes sur son cortex moteur lié à la parole.

1. Enregistrement cérébral

Les électrodes captaient l’activité neuronale pendant que la patiente pensait à des phrases spécifiques sans les articuler. Ces signaux électrophysiologiques ont ensuite été associés à des unités phonémiques.

2. Synthèse vocale personnalisée

Avant son AVC, des enregistrements vocaux de la patiente avaient été conservés. À partir de ces données, un synthétiseur vocal a été entraîné pour reproduire sa voix originelle, humanisant ainsi la sortie du système.

3. Apprentissage machine

Un modèle d’intelligence artificielle a été entraîné pour décoder, de façon continue, les signaux neuronaux en fragments de parole de 80 millisecondes, équivalant à une demi-syllabe. L’approche, dite « streaming », permet la construction de phrases à la volée, sans attendre leur fin, évitant ainsi les délais de latence présents dans les BCI précédentes.

Résultats

L’implant a permis de générer des phrases cohérentes à partir de la seule activité cérébrale de la patiente, avec un débit plus fluide et un temps de latence réduit par rapport aux systèmes antérieurs. Le taux de reconnaissance de la parole a atteint des niveaux prometteurs, avec un niveau d’intelligibilité suffisant pour des échanges basiques en temps réel. Les tests ont confirmé que la personnalisation de la voix augmentait non seulement l’identification sociale de la patiente, mais aussi son engagement émotionnel dans la communication.

Discussion

Le décodage continu à haute résolution représente une percée technique dans le domaine des neuroprothèses. L’absence de temps d’attente entre l’intention de parler et la synthèse vocale rend les interactions plus naturelles. De plus, la restitution de la voix originelle marque une avancée majeure en matière de dignité et de qualité de vie pour les personnes privées de parole.

Selon Jonathan Brumberg, spécialiste des neurosciences appliquées à la parole à l’université du Kansas, ce système surpasse les BCI précédentes par sa capacité à reproduire le rythme conversationnel naturel.

Limites et perspectives

Bien que les résultats soient impressionnants, la technologie est encore expérimentale. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour :

  • généraliser l’approche à des patients avec d’autres types de lésions neurologiques,
  • améliorer la précision sémantique,
  • miniaturiser les équipements pour un usage domestique.

Les chercheurs estiment qu’avec un financement public et privé soutenu, la technologie pourrait être disponible pour les patients dans une dizaine d’années.

Cette étude ouvre la voie à une révolution dans le traitement de l’aphasie sévère. Pour la première fois, une interface cerveau-ordinateur permet à une patiente privée de parole depuis près de deux décennies d’exprimer ses pensées à voix haute, de manière fluide et avec sa propre voix. Si les défis techniques restent nombreux, cette avancée constitue un pas décisif vers une neurotechnologie plus humaine et intégrée.

Référence :
Anumanchipalli, G. et al. (2025). Neuroprosthetic speech decoding from motor cortex in a person with anarthria. Nature Neuroscience.