« Comment fait-on l’amour ailleurs ? » interroge le bandeau de couverture. L’incroyable histoire du sexe de l’Afrique à l’Asie répond avec intelligence à cette question. D’une manière érudite et ludique.
Savez vous ce qu’est le kunyazaà ? Qui est Soleil-du-Jour ou Flamme du Brasier ? Si vous pensez qu’il s’agit des dernières recettes d’un chef étoilé alors ruez-vous sur cette BD qui vous détrompera et vous expliquera tout. Le titre va vous guider car après un premier tome vendu dans de nombreux pays qui illustrait l’évolution des moeurs et des pratiques sexuelles dans le monde occidental depuis le début de l’humanité jusqu’à nos jours (1), les auteurs récidivent cette fois-ci en consacrant leur ouvrage à l’Inde, au Moyen-Orient, à l’Afrique, la Chine et au Japon. Cinq chapitres qui présentent tous des ponts communs : si les femmes et les hommes sont les seuls êtres vivants à copuler face à face, ils sont aussi les seuls depuis l’apparition, de ce que l’historien Yuval Harari appelle la « révolution cognitive », à rêver, imaginer, contrôler, expliquer leur pulsion reproductrice.
L’acte sexuel, le désir, relèvent ainsi de notre culture, de notre lieu de naissance, de notre éducation. La comparaison successive des cinq civilisations décrites est révélatrice de ces différences énormes de pratique pour un acte originellement normé. Grâce à une érudition pointue, mais jamais démonstrative, le lecteur découvre que souvent la création du monde est associée à l’acte sexuel, comme en Inde où Shiva s’extrait d’un phallus géant ou en Afrique chez les Kikuyu quand Mumbere, l’ancêtre fondateur est le fils de l’orgasme.
Sur de nombreux continents la sexualité rejoint le mythe fondateur de la Création, écrit souvent de manière à justifier la domination de l’homme sur la femme. La « faute » d’Eve n’est pas l’exclusivité de la religion catholique. Dans un récit dense sont brossées les grandes lignes de l’évolution de la sensualité avec la description de l’origine de fantasmes comme le fétichisme des petits pieds au Japon ou l’utilisation de philtres d’amour en Afrique.
Anecdotes parfois souriantes, parfois glaçantes se succèdent dans un ouvrage qui n’est en rien un catalogue de positions amoureuses ou d’images graveleuses, mais plutôt un catalogue de l’imagination infinie et improbable de l’espèce humaine. Décrire le sexe pourrait au fil des pages se révéler glauque et ennuyeux. Heureusement le texte, agrémenté d’une riche bibliographie, qui rappelle par exemple les fondements de l’Islam, les principes du Tantrisme ou du Taoïsme, est illustré avec humour et dérision par des dessins jouant sur l’anachronisme de récits anciens placés dans un contexte actuel.
Plus que de longs discours cette mise en abîme démontre le fondement absurde de règles, toujours en vigueur, émises dans des contextes sociétaux oubliés, mais explique également combien les religions, les chefs des sociétés n’ont eu comme obsession que de restreindre le champ du désir, de contraindre les pulsions pour mieux contrôler leurs sujets. Mao a géré strictement ainsi la sexualité de sa population en pratiquant pour lui-même une sexualité débridée.
Le sexe est le domaine de la liberté, la jouissance féminine fait peur, alors avec des recueils comme le Jardin Parfumé au Moyen-Orient, le Kamasutra en Inde, les puissants codifient, conseillent, normalisent. Toutes ces injonctions qui ont été révélées pour la plupart au XVe XVIe siècle, présentent en effet des points communs : rédigés par des hommes, pour des hommes, ces textes s’adressent la plupart du temps à une caste élevée, éduquée. La femme est présente pour satisfaire le plaisir de son mari, rarement le sien propre. La pratique sexuelle révèle ainsi son caractère culturel, reflet de civilisations patriarcales. À ce constat les auteurs ont la justesse d’adjoindre à chaque chapitre des pages consacrées à « aujourd’hui », établissant une photographie parfois encourageante, mais le plus souvent terrifiante d’une condition de la femme encore et toujours soumise et inférieure. On reste abasourdis au rappel de la création en 1990 en Arabie Saoudite du « mariage du voyageur » qui permet aux hommes d’affaires d’avoir, où qu’ils se trouvent, pour un moment déterminé, une épouse légale. Règle ancestrale ainsi respectée dans une hypocrisie actualisée totale. Après avoir lu ce roman graphique le lecteur sait désormais que le kunyazaà n’est pas un plat traditionnel breton, mais surtout il aura pris conscience que l’imagination humaine, sans limites, est capable du meilleur comme du pire, y compris dans le processus du plaisir, processus lui aussi politique.
L’incroyable histoire du sexe. Tome 2 : De l’Afrique à l’Asie, scénario : Philippe Brenot, dessins : Laetitia Coryn, éditions : Les Arènes BD, 128 pages, 20€, (1) Réédition conjointe le 4 novembre 2O2O L’incroyable histoire du sexe Tome 1. 24,90€.
Les auteurs :
Philippe Brenot est psychiatre, anthropologue et thérapeute de couple. Il dirige les enseignements de sexologie à l’université de Paris et préside l’Observatoire international du couple. Il a écrit de nombreux ouvrages publiés aux Arènes dont le Livre I de L’Incroyable Histoire du sexe avec Laetitia Coryn. Retrouvez une position par jour sur le compte twitter de Philippe Brenot.
Laetitia Coryn est autrice de BD. Elle a fait ses premières armes dans l’édition avec Le Monde merveilleux des vieux (Glénat). Elle est également l’autrice, avec Philippe Brenot, du Livre I de L’Incroyable Histoire du sexe, best-seller international, et de Paroles d’honneur avec Leïla Slimani (Les Arènes).