Tous les ans en Inde, fin octobre, la fête religieuse de Durga puja bat son plein dans le Bengale-Occidental. Devenue une grande exposition d’art à ciel ouvert, elle conduit tous les habitants des quartiers à travailler ensemble. Osée, elle propose des créations progressistes d’artistes engagés. Éphémère, elle s’efface après une semaine de liesse. Exemples de mises en scène audacieuses…
Une idole pour les hijras
Dans les rues de Calcutta, il n’est pas rare d’entendre le claquement de mains caractéristique des hijras. Ni vraiment hommes ni vraiment femmes, ils sont plusieurs milliers en Inde à incarner le 3e sexe, et le pire des tabous pour un pays conservateur : la transgression des genres. Souvent en groupe, ils bénissent les mariages et les naissances ou bien réclament de l’argent sous la menace de montrer leurs parties intimes. Ils jouent sur cette ambivalence entre crainte et respect… Les passants payent et s’éloignent sans demander leur reste.
Le quotidien des hijras n’est pas rose. Mendicité, prostitution, sida. Pour certains, victimes d’un trafic. Pour d’autres, une nécessité. Échapper à la famille. Entrer dans une communauté. Avoir un statut. Difficile de poser la question à Bhanu Naskar. Difficile aussi de le qualifier. Est-il eunuque ? Est-il travesti ? Transgenre, concède-t-il.
Dans le quartier pauvre de Joy Mitra Street, c’est Bhanu, membre de l’association de transgenres Pratyay Gender Trust, mais également trésorier du comité Udyami Yubak Brinda en charge de la réalisation de l’effigie, qui a eu l’idée de cette idole de la déesse Durga un peu particulière, réalisée par l’artiste Chanda Pol, la seule femme artiste du quartier des potiers.
« Au début, les habitants n’étaient pas du tout réceptifs car c’était la première fois qu’on représentait la déesse ainsi. C’était un gros challenge, nous étions très sceptiques sur ses chances de succès. Une fois que la statue a été en place, nous ne savions pas si les locaux allaient pratiquer les rituels comme d’habitude ou non, c’était la partie la plus sensible », raconte Bhanu en bengali.
Sourav, le fils du secrétaire du club, discute avec ses copains devant la statue. Manifestement, son apparence ne le dérange pas. Il faut dire que la figure transgenre n’est pas inconnue des Hindous. Elle évoque « Ardhanarishvara », une forme androgyne de Shiva et Parvati, Dieu et Déesse du panthéon hindou. Parallèlement, en 2008, l’état indien du Tamil Nadu a même reconnu l’existence de ce 3e genre. Précieux sésame, les hijras peuvent écrire un « T » à la place du « M » et du « F » pour identifier leur sexe lorsqu’ils vont voter aux élections.
« Pour la communauté transgenre, c’est bien sûr un progrès, reprend Bhanu. Les efforts du gouvernement et les avancées sur le plan mondial vont dans ce sens. Nous n’avons pas reçu beaucoup de soutien financier de la part des habitants, mais même si le résultat n’est pas très imposant en comparaison des autres idoles, le message est le plus puissant. »
Ce n’est pas la seule œuvre consacrée au genre. Le club Kashi Bose Lane, sponsorisé par une marque de produits pour bébés, a alerté sur l’élimination des petits filles, une pratique encore vivace dans certaines zones rurales de l’Inde. « Les femmes n’ont pas recours à des faiseuses d’anges durant la grossesse car elles n’ont pas accès aux échographies ou bien on refuse de leur donner le sexe de l’enfant justement pour éviter un avortement. C’est la mère du mari qui se charge d’éliminer les fillettes lorsqu’elles viennent de naître, explique un organisateur du festival. Même dans les classes aisées, la naissance d’une fille continue de poser problème. Elle ne sera pas rejetée, mais cela reste un regret, quelque chose d’inachevé… »
Un pandal contre la malbouffe
Depuis quelques années, les pandals, ces temples éphémères construits pour la fête, portent des thématiques progressistes souvent en lien avec l’écologie. L’artiste Subroto Banerjee, déjà remarqué pour sa construction contre le clonage, a récidivé cette année, avec la toute première œuvre du festival contre les OGM.
Pour illustrer son propos, son pandal s’ouvre sur une allée de diables usinant dans un sinistre laboratoire pour créer des animaux génétiquement modifiés. « En Inde, nous utilisons beaucoup d’OGM, c’est un véritable problème, nous sommes au courant des dangers qu’ils occasionnent », explique Suvresh Chatterjee, membre du comité Tala Baorwari. « Comme pour les aliments végétariens, nous aimerions que les aliments génétiquement modifiés ou transformés soient signalés sinon, comment savoir de quoi est faite la nourriture que nous mangeons ? Nous pourrions choisir en pleine conscience ce que nous consommons », poursuit-il.
À l’intérieur du temple, on retrouve les créations diaboliques de la Science, dix animaux hybrides géants, mélanges entre deux ou trois espèces différentes. Le résultat de fer et d’aluminium fait froid dans le dos. « Le concept vient du poète bengali Sukumar Ray, qui décrit dans ses textes ce genre de bestiaire singulier », poursuit l’organisateur.
D’ores et déjà, l’œuvre est sauvée. « La question de l’écologie est de plus en plus présente durant Durga puja. À présent de nombreux comités se sentent concernés par les thèmes de l’écologie, du réchauffement climatique, de la mondialisation. J’ai pu noter de vrais efforts sur le recyclage après la fête, ce qui est bien sûr lié. Tous les ans, nous essayons de conserver les pandals concernant les thèmes écologiques », poursuit Suvresh.
Une fête de plus en plus responsable
Pour que Durga Puja devienne pleinement un festival avant-gardiste, restait la délicate question de la gestion des innombrables déchets de la fête. En effet, comme c’est le cas pour d’autres manifestations hindoues, la croyance impose aux habitants d’immerger leurs statues dans le Gange, pour que la déesse incarnée puisse regagner ses pénates dans les hautes montagnes de l’Himalaya. À cela s’ajoute la déconstruction des quelque 5 000 sanctuaires gigantesques qui sont sortis de terre partout dans la région. Eux aussi sont destinés à redevenir poussière, quelquefois abandonnés dans le cours du fleuve.
Une politique stricte de recyclage des déchets a été mise en place ces dernières années sous le slogan omniprésent de « Keep Kolkata Green ». Des préposés à l’immersion, comme le stipule leur tee-shirt bleu vif, viennent donc récupérer les statues des différents clubs à leur arrivée sur le quai, leur font prendre un bain rapide et efficace avant de les évacuer, à la grue pour les plus imposantes. Un spectacle désolant pour ceux qui ont travaillé des mois durant à leur réalisation mais ô combien salvateur pour l’eau du Gange !
Relayé par Courrier International, l’interview d’un des organisateurs du festival Durga Puja faisait état de ce paradoxe entre la volonté affichée de monter un festival écologique et la triste réalité des berges une fois celui-ci terminé. Cette année, le Times of India soulevait encore une fois le contraste entre le savant balai des grues sur les ghats de Calcutta et les ordures sur ceux d’Howrah. Une antithèse de plus dans un pays déjà si contradictoire, mais surtout un grand pas vers un devenir plus responsable.
Texte et photos : Julie Olagnol
Bonjour, merci pour cet article très intéressant qui va me servir pour mon mémoire !
J’ai vu des légendes de photographies pour un diaporama à la fin de l’article mais je ne les retrouve pas, est-ce que l’on peut éclaire ma lanterne ?
Bien à vous,
Merci de créditer les photos « Julie Olagnol pour Unidivers.fr »