Finaliste du Prix Sade 2015, avec L’Indésiré Stéphan Lévy-Kuentz donne dans l’atypique comme à son habitude. L’auteur transporte le lecteur, à travers le récit d’un narrateur inattendu, au cœur de deux univers. Les univers destructeurs du désir et de l’imaginaire…
L’Indésiré n’est ni un roman ni un récit. Il s’apparente plutôt à un essai. Quelque part situé entre l’essai philosophique et le récit psychologique, C’est en tout cas un livre dérangeant, un pamphlet averti et érudit sur la pauvreté d’une littérature de confort aujourd’hui très répandue. Un séisme dans le milieu littéraire tant il est à contre-courant de l’industrie des best-sellers.
Avec L’Indésiré Stéphan Lévy-Kuentz commet une œuvre atypique sous forme de critique totale de la tiédeur contemporaine. Dénonciation du nivellement par le bas du tout avenant, du tout couru. À partir d’un cas particulier, l’auteur met à jour le nœud gordien d’un soupçon généralisé en tant que méfiance dogmatique envers le non conforme. Le regard avisé qu’il porte renvoie dos à dos névrose normophile et consumérisme éditorial. C’est un dispositif narratif judicieux qui exprime l’atypie d’un auteur qui se transforme, le temps d’une nuit, à la fois en quelqu’un et en quelque chose d’autre.
Le narrateur de L’Indésiré est un mur. Un mur parisien mitoyen qui sépare un club libertin d’une maison d’édition lambda. Sont ensemble visés, cloisonnés et envisagés intellectualisme et hédonisme, spiritualité et amour charnel, vie diurne et vie nocturne…
C’est un mur porte-parole de tous les murs du monde qui voit nos périples s’écouler, s’annuler, se faire et se défaire en secret. Dans L’Indésiré Stéphan Lévy-Kuentz érige un mur singulier qui abat tous les carcans et mémorise tout. Car Il n’ignore rien de ces deux univers qui se côtoient en s’ignorant.
Dans un monologue allégorique, l’auteur vient se confesser et raconter ce qu’il entend, ce qu’il voit, ce qu’il ressent de cette relation pour le moins équivoque qu’entretiennent ces deux empires, ces deux mondes qui se juxtaposent. Drôle d’affaire de voisinage pour ce narrateur fantôme divisé entre l’égotisme de Stendhal et l’altérité de Lévinas. Peu à peu, il s’immisce dans les profondeurs psychologiques des forces en présence, et enregistre tout sur son passage. Finalement, le narrateur recouvert de son matériau autant que de son masque finit par dénoncer la mort de l’imaginaire. Et, à sa suite, le désir qui découle en principe de toute création.
Le lecteur de L’Indésiré se mue en voyeur. Il entend aussi. Voit aussi la pièce qui se joue… Il est provoqué, poussé dans ses contradictions, ses retranchements. Est inquiété parfois. Ennuyé également. Car il ne parvient pas toujours à comprendre les faux-semblants des deux mondes qui s’agitent et s’observent. On peut lire ici une réflexion sociologique éclairante doublée d‘une métaphore brillante sur ce système médiatique et ses cénacles qui suffoque d’intolérance et de méprises.
L’Indésiré est un livre brillant, inventif et inspiré. L’écriture y est tout simplement magistrale. L’une des meilleures parutions de ce dernier semestre. Un livre farouchement littéraire qui fait du bien.