Il y a 37 ans disparaissait Jean-Michel Caradec, l’un des auteurs-compositeurs-interprètes les plus talentueux des années 70. Célèbre auprès du grand public comme l’interprète de Ma petite fille de rêve et Ma Bretagne quand elle pleut, il a aussi composé un répertoire conséquent. Le 28 septembre 2018, grâce à l’association dédiée à la mémoire de l’artiste, est parue l’intégrale de ses enregistrements sur le label EPM.
À la fin des années 60 et au début des années 70, le monde de la variété française a accueilli une jeune génération baptisée plus tard « la nouvelle chanson française » : on y retrouvait notamment Maxime Le Forestier, Alain Souchon ou encore Francis Cabrel qui fut découvert à la fin de la décennie. C’est dans ce même contexte que s’est inscrit l’œuvre de Jean-Michel Caradec, auteur-compositeur-interprète breton qui rencontra quelques succès populaires, mais dont l’œuvre reste finalement assez méconnue. Afin d’améliorer cette situation, le 28 septembre dernier, le label EPM a réédité ses 8 albums enregistrés entre 1969 et 1981, date de sa disparition.
Né en 1946 à Morlaix, Jean-Michel Caradec passa son enfance à Brest, apprenant le solfège et la flûte traversière à l’école nationale de musique de la ville. Mais il développa surtout son éducation musicale à l’écoute de la chanson française (notamment Trenet, Nougaro et Bécaud) et de la musique folk, en particulier celle de Bob Dylan. Cette double influence l’amènera ainsi à se définir comme « l’enfant supranaturel de Charles Trenet et de Bob Dylan ». Mais loin d’être d’un simple imitateur du « songwriter » et poète américain, il pratiquait plutôt ce qu’il qualifiait de « clins d’œil » à l’artiste dans certaines de ses chansons. Ces allusions apparaissent notamment à travers son hommage appuyé aux chansons de Dylan dans Pas en France (1975) ou ses intonations vocales traînantes et nasillardes dans des chansons telles que Parle-moi (1979).
L’édition de ce coffret nous permet ainsi de mesurer l’étendue de son œuvre, souvent occultée par le succès populaire de titres comme Ma petite fille de rêve (1974) ou Ma Bretagne quand elle pleut (1978). On retient en premier lieu sa voix chaleureuse et d’une douceur infinie, qui prend assez souvent des accents passionnés qu’il emprunte à Bob Dylan et partage avec d’autres artistes de sa génération tels que Maxime Le Forestier. On peut également y voir une certaine parenté stylistique et vocale avec Hugues Aufray, lequel avait popularisé les chansons de Dylan en France durant les années 60.
À l’écoute des chansons de Caradec, on constate que leurs thématiques restent universelles. Certaines d’entre elles expriment une véritable poétisation de la vie moderne et évoquent simultanément des univers propres aux contes et à la fiction. Il parvient même à raconter des histoires douloureuses ou sombres avec une sensibilité à fleur de peau et un réel romantisme. C’est notamment le cas dans Complainte pour un enfant et Les oiseaux volaient à l’envers, dont le texte fut écrit par le poète Kernoa. Tout en touchant à l’intemporalité, ces chansons reflètent, dans leur approche, le contexte de la fin des années 60 et des années 70, durant lesquelles l’artiste a vécu. Beaucoup d’entre elles sont traversées par des idéaux d’amour et de liberté, ainsi qu’un sentiment de révolte, jadis portés en étendard par la contre-culture hippie. Elles se faisaient également l’écho d’une saine rêverie qui semblait habiter l’artiste, cependant couplée à une vision réaliste de la vie. Cette même ambivalence transparaît de façon évidente dans Mords la vie, dans laquelle il revisite de façon « mordante » l’univers des contes de fées les plus populaires en les confrontant au réel. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle son ami Maxime Le Forestier le décrit comme « un rêveur avec les pieds sur terre ».
D’un point de vue instrumental, l’esthétique principale de ses chansons est marquée par l’influence du revival folk des années 60 incarné notamment par Bob Dylan, ou encore Joan Baez et Donovan. Elle est perceptible dans presque tous ses albums, dans lesquels il démontre son aisance au « picking », procédé incontournable des musiques folk. Cependant, ces instrumentations se caractérisaient plus largement par leur variété et faisaient parfois intervenir des parties de piano comme dans De votre âge, ou aux synthétiseurs, par exemple sur la très touchante Celui qui volera sa poupée. Il faut dire qu’étant un compositeur accompli, Jean-Michel Caradec réalisait également lui-même les arrangements de certaines de ses chansons, à l’exception de celles de Ma petite fille de rêve et Île. À cette tâche, il bénéficia toutefois de la collaboration de certains arrangeurs, dont François Rabbath sur son premier album et, dès 1974, de Jean Musy. Ce dernier, ayant déjà travaillé avec Joe Dassin pour Les Champs-Élysées, allait devenir l’un des arrangeurs les plus importants dans la chanson française et plus tard dans la musique de film. On retrouve ainsi ses orchestrations très élaborées dans l’album de Ma petite fille de rêve, dont la chanson titre fit découvrir Caradec au grand public en 1974.
Ses deux derniers albums, Parle-moi et Dernier avis, sont dotés quant à eux d’arrangements qui, à l’oreille, semblent plus orientés vers le rock et la pop développés dès la fin des années 70. Des chansons telles que Beaubourg Street (peut-être la plus étonnante) et Dors avec ton bébé illustrent bien cette évolution stylistique qui tranchait quelque peu avec le style des albums précédents. Par cette démarche, il semble ainsi avoir montré une volonté de renouvellement, ceci en adoptant des instrumentations qui étaient également expérimentées au début des années 80 par des personnalités comme Francis Cabrel et Jean-Jacques Goldman. Même avec ces esthétiques réactualisées et cette expression ancrée dans les canons musicaux de cette période, Jean-Michel Caradec a su conserver tout son lyrisme et une écriture toujours poétique. Sur le plan instrumental, d’autres titres comme Petit Poucet et Elle a peur de prendre l’avion ont également démontré qu’il n’abandonnait pas pour autant le jeu de guitare folk qui le caractérisait jusqu’alors.
D’une manière générale, la diversité des esthétiques expérimentées par Jean-Michel Caradec dans sa carrière lui a permis de dévoiler différentes facettes qui apparaissent comme complémentaires. Dans ce contexte, des chansons comme La colline aux coralines et Fifi l’oiseau témoignaient également d’un lien à l’enfance qu’il s’est, semble-t-il, attaché à préserver. La tendresse qu’il éprouvait à l’égard des plus jeunes l’amena même à enregistrer un album de chansons pour enfants. Le style tantôt dynamique tantôt apaisé de cet opus peut être rapproché de celui d’interprètes de la même période, tels qu’Henri Dès.
La récente sortie de cette intégrale dévoile un répertoire très riche que nous vous conseillons de découvrir ou de redécouvrir. Outre le label EPM, on doit la concrétisation de cette belle initiative à l’Association des Amis de Jean-Michel Caradec, fondée en 2008 par la fille de l’artiste, Madeline Caradec et actuellement présidée par Pascal Landuré. On éprouve un réel bonheur à écouter ces albums qui, si l’on peut préférer par purisme ceux des débuts, ne souffrent d’aucune inégalité et desquels on ne peut que se prendre de passion. Une bonne façon de réchauffer l’hiver qui se prépare…
L’intégrale des albums de Jean-Michel Caradec est parue le 28 septembre dernier sur le label EPM. L’intégrale, Edition 5 CD digipack, CD + Box, 21€ (Un beau cadeau de Noël !)
La page Facebook de l’Association des Amis de Jean-Michel Caradec est consultable via ce lien.