Irène Frain, J’ai rencontré mon mari à Rennes… rue des Livres…

 Bretonne d’origine, Lorientaise précisément, Irène Frain a épousé le Loir-et-Cher par l’intermédiaire de son mari et son domaine familial. Elle décrit ce dernier avec les mots d’une affection profonde et paisible. C’est l’endroit idéal pour s’adonner à son art préféré : l’écriture. Elle a d’ailleurs écrit presque tous ses livres au Coudray, notamment Secret de Famille, qui se déroule dans la région, et Au Royaume des Femmes. Celle qui, sortie de rien, brille par une lenteur paysanne toute aristocratique nous décrit ses deux territoires de prédilection.

 

A quand votre découverte du Loir-et-Cher remonte-t-elle ?

Mon premier souvenir de cette terre remonte à l’enfance. J’étais dans un car avec d’autres enfants en route pour les grandes vacances. La porte de Vendôme soudain apparue, elle m’a littéralement frappé d’éblouissement. Je suis ensuite restée sous le charme de cette vaste plaine traversée par la Loire et abrutie de soleil. J’ai ressenti une sensation étrange : comme si le présent était en prise directe avec un passé multiséculaire. Avec ma conscience d’enfant, je percevais déjà qu’un art de vivre très ancien s’était conservé ici.

irène frain, bretagne, irènefrain.comQuand j’ai commencé à sillonner le département à bicyclette, cette sensation est devenue certitude et j’ai trouvé les mots pour la dire. Dans les années 70 et 80, le pays sommeillait. Beaucoup de fermières faisaient encore cailler leur fromage cendré dans l’étable avant de le mettre à sécher « sous le rocher », perpétuant une tradition millénaire. Depuis, c’est l’un de mes bonheurs de prendre des chemins de traverse et de regarder la vie des gens, à travers leur jardin notamment.

Dès le début, j’ai aimé ces Loir-et-Chériens qui sont à la fois lucides à l’égard de la modernité et engagés en elle. Ils se pressent lentement, ils épousent une sorte de lenteur paysanne et aristocratique qui rappelle à chaque instant à qui sait le voir l’importance essentielle d’un certain art de vivre. C’est donc un lieu idéal pour se reposer et travailler dans le calme. Ce que je fais depuis que nous nous sommes installés à Coudray.

A quoi votre propriété ressemble-t-elle ?

À une lieu du village de Villiers-sur-Loir, son origine remonte au Moyen Âge. À l’époque, ce domaine de l’Abbaye de Vendôme était planté de vignes et accueillait un ancien pressoir qui devint plus tard une maison de vigneron.

irène frain, bretagne, irènefrain.comAu XVIIIe siècle, l’ensemble fut acquis par un marchand de bois. Désirant quitter Vendôme qui sentait très fort durant les mois d’été, il résolut d’y construire une « folie ». Au XIXe, enfin, le bâtiment fut repensé et agrandi. C’est en 1979 que mon époux en  hérita dans un piteux état.

Dès lors, nous décidâmes de nous y installer et de restaurer l’existant en prenant soin de conserver le charme rustique d’un parfum d’autrefois. À présent, c’est une maison à vivre où il fait bon écouter de la musique, travailler, réfléchir, prendre du recul…

Quelles sont vos pièces favorites ?

irène frain, portraitD’une part, la cuisine, qui est vivante et chaleureuse avec son vieil évier en émail, sa table de campagne et son carrelage sévillan du XIXe. D’autre part, le bureau, lequel est doté d’un trompe-l’œil qui représente l’océan et charrie quelques senteurs d’Abers bretons. Enfin, le belvédère auquel on accède par un chemin ombragé qui mène à une petite colline surplombée d’un joli kiosque en bois d’où l’on domine la vallée du Loir. Quant au jardin, sans prétention, mais charmant, il accueille deux sculptures en fer. Elles sont le fruit de l’imagination créatrice de notre voisin, un ancien agriculteur qui a été séduit par l’art moderne.

À propos de création, le Seuil vient de faire paraître votre nouvel ouvrage intitulé Sorti de rien. Pouvez-vous nous le présenter ?

Ce livre est né d’un incident biographique. Un jour, un journaliste m’interpelle : « Vous qui êtes sortie de rien… » Quel rien ? La misère qui fut celle de mon père ?

irène frain, bretagne, irenefrain.comJe retourne en Bretagne. Le fil du passé n’est pas encore rompu, les gens se souviennent, un monde stupéfiant ressuscite, un lignage archaïque dont j’ignorais l’existence, rudesse et merveilles, austérité et truculence, cocasserie, poésie. L’esprit même de mon père, l’humilié qui ne plia jamais devant l’adversité.

Une colère ancestrale prend alors la parole et me dicte, sans me laisser d’issue : « Cherche donc ce qu’il fut, ce Rien dont tu es la fille. Et dis-le. »

Je m’incline, je croise ce passé avec ce qu’il me reste de mon père : la légende familiale, ses récits, ses carnets, toutes ces lettres qu’il écrivit lorsqu’il était prisonnier des nazis. Des énigmes s’expliquent, des secrets se dévoilent. Oui, mon histoire — jusqu’à mon prénom — est bien fille de la sienne : le combat d’un Breton « sorti de rien ». Combien sont-ils encore, sur la planète, à vouloir sauver comme lui le seul trésor qui vaille : la dignité ?

Vous êtes la marraine de cette 7e édition du Festival Rue des livres de Rennes. Comment avez-vous reçu cette distinction ?

J’en ai été infiniment touchée. J’ai rencontré mon mari au lycée des Gayeulles, dans le quartier même où se tient le Festival Rue des Livres ! rue des livres, rennes, festival, gayeulles, afficheJ’étais en hypokhâgne, une prépa lettres du Lycée Chateaubriand qui avait été « décentralisée » dans ces lieux où il y avait encore quantité de champs, de chemins creux. L’un d’entre eux menait à la Cité Universitaire de Beaulieu où je logeais. Des souvenirs qui ne datent pas d’hier, comme vous voyez ! Je ne suis pas retournée dans ce quartier depuis ces lointaines années… Donc, en plus du plaisir de rencontrer mes lecteurs, la manifestation « Rue des Livres » aura pour moi un petit côté « madeleine de Proust » Enfin, j’ai toujours été attachée à Rennes, où j’ai longtemps compté de la famille et qui était traditionnellement le passage obligé de nombreux Bretons qui faisaient des études au-delà du bac. C’est une ville belle et vivante, patrimoniale, mais aussi inventive en tous domaines. Et que de belles librairies à Rennes !

 

Irène Frain, Marraine de la 7e édition du Festival Rue des livres
Attention, le festival ne se tient plus sur le site Guy-Ropartz. Retrouvez le festival dans la salle de sport des Gayeulles, 8 avenue des Gayeulles, juste à côté de la patinoire Le Blizz.

irène frain, bretagne, irènefrain.com 

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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