Le journal d’un disparu de Leoš Janáček, mis en scène par le prestigieux Ivo Van Hove, était donné à l’Opéra de Rennes les mardi 1er et mercredi 2 octobre 2019. On a beaucoup évoqué la dimension particulière de cette œuvre, ses implications personnelles avec la vie du musicien. Restait donc à découvrir la musique dont il avait orné cette méditation éminemment poétique. Le résultat mérite d’être commenté.
Il convient d’abord de rappeler que les textes des différents chants qui composent ce cycle ont avant toute chose une inspiration amoureuse et bucolique. Le personnage principal est un jeune fermier, son aimée une gitane et l’ensemble de la pièce se déroule à la campagne. Transposition faisant loi, le public, au lever de rideau, découvre que le metteur en scène a situé l’action dans le milieu urbain, pour être plus précis, au cœur d’un labo photo. A partir de ce moment il devient inutile de chercher un rapport entre les traductions proposées et les événements se déroulant sur scène. Ce phénomène n’annule cependant pas l’indispensable présence de ces textes, car leur pouvoir évocateur, leur intrinsèque beauté, se marient parfaitement avec les spasmes, les souffrances ou les moments d’exaltation des personnages.
Dans cet opéra, tout nous sort des sentiers battus. A notre grande surprise, dans la fosse, pas d’orchestre, seul un piano occupe la scène et accompagnera les chanteurs lors de leurs interventions. Lada Valesova, en charge de cette tache servira la musique de Janaceck avec une rigueur qui force l’admiration. Les premières minutes, à la grande surprise du public, on voit, dans un silence absolu, évoluer, Zefka, en l’occurrence la mezzo-soprano Marie Hamard, mais il ne se passe rien, elle fait un café, dont on peut sentir l’odeur jusqu’au parterre, mais pas de tonitruante ouverture, pas de brillants accords de violon. Cela peut agacer, mais aussi interloquer au point de créer une attention et une tension, qui vont nous figer dans une expectative attentive. C’est assez bien joué !
Élément qui n’est forcément inhabituel dans l’opéra, des parties chantées alternent avec d’autres parlées. Pas de quoi nous bousculer a priori, si ce n’est que le narrateur qui ouvre le bal, de façon inattendue, s’exprime en Anglais, alors que l’instant d’après le texte chanté est en dialecte Morave. La mise en scène de Ivo Van Hove, particulièrement subtile réussit à dépeindre une multiplicité de sentiments tout en s’appuyant sur une musique au paroxysme de l’économie de moyens. Avec le ténor Peter Gijsberts en Janicek et l’acteur Hugo Koolschijn, incarnant le même personnage bien des années plus tard, nous sommes confrontés à une sorte de parallèle entre ce que Janicek aurait voulu être et ce qu’il a été réellement. Dans cette réflexion Zefka, la gitane est omniprésente, pas seulement comme un souvenir, mais comme un être de chair suscitant des désirs violents. L’utilisation d’un projecteur super 8 faisant apparaître sur le corps de l’acteur des images en noir et blanc, dessine le corps d’une femme sur son propre torse, et crée une véritable confusion. Cette ingénieuse trouvaille illustre avec un érotisme qui n’ a rien de latent, la proximité entre la scène et les sentiments violents et frustrés de Janacek pour Kamila Stosslova.
Si l’orchestre est absent, les habituels chœurs qui accompagnent les opéras classiques leur emboîtent le pas. Toujours dans le même soucis de minimalisme ils sont remplacé par un simple trio de femmes situées en arrière du décor et que l’on ne voit pas. Cela crée une ambiance très éthérée et spatialise les voix d’une façon poétique et désincarnée. Très troublant.
Vous l’aurez compris, le journal d’un disparu est une œuvre intimiste et d’une intense poésie elle exige de l’auditeur qu’il s’affranchisse de toute contrainte pour s’investir entièrement dans une narration onirique. Cela demande une réelle acceptation mais n’est pas sans récompense. Aussi lorsque retentissent les dernières paroles prononcées par Hugo Koolschijn «Je t’attend Zefka» le public de Rennes en état d’hypnose respecte un long silence afin de ne pas rompre le fil un peu magique qui le relie à la scène.
Le journal d’un disparu de Leoš Janáček
Spectacle musical : cycle de vingt-deux chants pour ténor et mezzo-soprano soli, trois voix de femmes et piano, créé en 1921.
Ivo Van Hove Mise en scène
Romain Gilbert Assistant mise en scène
Jan Versweyveld Conception décor et lumières
An D’Huys Costumes
Krystian Lada Dramaturgie
Peter Gijsbertsen Ténor
Marie Hamard Mezzo-soprano
Hugo Koolschijn Comédien
Annelies Kerstens, Naomi Beeldens, Fabienne Seveillac Trois voix
Lada Valešová Piano
Spectacle chanté en tchèque et anglais, surtitré en français
COPRODUCTION Muziektheater Transparant, Toneelgroep Amsterdam, De Munt/La Monnaie, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Klarafestival, Kaaitheater, Operadagen Rotterdam, Beijing Music Festival, Poznań Grand Théâtre
Photos du spectacle : Jan Versweyveld