Janis Joplin ? Il suffit d’entendre les premières mesures de son mythique Summertime, adapté d’après l’œuvre de Georges Gershwin, et on sait que l’on va vivre un moment de rencontre un peu exceptionnel. Avec celle qui fut dans les années 60-70, l’une des chanteuses les plus emblématiques de sa génération.
La voix hors du commun de Janis Joplin et son style de vie frénétique, peu habituels pour cette époque, la situent d’emblée dans une sphère alors complètement inconnue. La jeunesse en fait ses délices. Quoi de mieux pour symboliser la révolte de cette époque que d’aduler une chanteuse qui boit, se drogue, jure comme un païen, et revendique une sexualité sans vraiment de limites. Détail à ne pas négliger, au-delà de tout cela, elle est pétrie de talent et son approche musicale et vocale impose un style totalement novateur.
Amy Berg, la réalisatrice de ce documentaire a effectué un travail de recherche et de compilation qui a duré près de sept années. Le résultat est plutôt réjouissant et en même temps chargé d’émotion. Il aura, c’est certain, un retentissement particulier pour ceux qui se souviennent avec un peu de regrets, de cette époque où la jeunesse expérimentait une liberté fraîchement acquise et depuis disparue. Mais ce travail s’adresse aussi bien à ceux qui regardent avec mélancolie leur CD de Woodstock, qu’à la génération actuelle, qui découvrira l’histoire d’une artiste, écorchée vive, qu’ils adoreront, même si son incomparable voix s’est tue le 14 octobre 1970.
À partir de documents familiaux, d’archives de concerts, de film et de photos, elle reconstruit toute une chronologie, et nous raconte la vie maladroite d’une jeune fille née au Texas et dont les débuts dans la vie n’ont rien d’aisé. Dès l’école, véritable vilain petit canard, Janis subira les attaques cruelles de ses camarades de classe. À défaut d’être belle, elle n’est pas laide, mais a des traits un peu ordinaires et se plaît beaucoup plus avec les garçons, qu’avec les filles, chichiteuses et médisantes.
Sa famille, dont un frère et une sœur encore vivants, aura toujours une réelle difficulté à la comprendre. Sans la rejeter, ils gardent vis-à-vis d’elle une attitude distante, causée par ses permanentes frasques, qui les mettent mal à l’aise. Ils la voudraient plus discrète, plus en accord avec les schémas de vie d’une famille texane, traditionnelle et peu suspecte d’ouverture d’esprit. Les lettres qu’elle ne manque jamais de leur écrire commencent invariablement par « chère famille », comme si elle réclamait avec humilité une affection qui aurait dû couler de source. Avant toute chose, Janis veut vivre à fond, elle veut être aimée et cette quête presque pathétique de l’affection des autres, souvent couronnée d’insuccès, est le résumé de sa courte et fulgurante existence.
Après quelques balbutiements en musique, elle éclate au grand jour à l’occasion du Pop festival de Monterey l’été 1967. C’est un véritable cataclysme qui s’abat sur le monde du blues et du rock. À partir de cet instant, toutes ses apparitions en public s’inscriront dans la légende, tant par leur intensité que par leur totale extravagance. Elle fonctionne au sein d’un groupe, Big brother and the holding company. Les musiciens, toujours vivants, fourniront des témoignages touchants, racontant, avec humilité, à quel point, ils lui étaient inférieurs musicalement, mais avaient conscience de la contenir dans cette frénésie autodestructrice, qui était, à l’époque, le mode de vie lié au rock and roll. Sex and drug and rock and roll, le titre de Ian Dury, même s’il est plus tardif (1977) est le résumé du mode de pensée de l’époque. Vivre chaque jour comme s’il devait être le dernier.
Si vous découvrez Janis Joplin, écoutez sans plus attendre « A piece of my hart » ou « Try (just a little bit harder) », de Chip Taylor, morceaux étrennés avec le nouvel ensemble Kosmic blues band qui est supposé lui permettre de se révéler en tant que soliste. Il vous faudra faire connaissance avec le disque posthume « Pearl », pour atteindre les sommets de créativité dont Janis était capable. Son ultime groupe d’appui, Full tilt boogie band l’accompagne dans des succès comme « Mercedes Benz », le formidable et syncopé « Move over » et le très autobiographique « Cry baby ». Autant de petites merveilles qui imposent le style éraillé et charnel, de celle qui n’aura eu que 27 années de vie pour laisser un message d’amour et de détresse poignant et magnifique.
Janis, trop accro à l’héroïne, trouvera une mort solitaire dans la triste chambre du « Landmark motor hôtel » de San Francisco laissant tous ceux qui l’aimaient, et ils étaient nombreux, orphelins de leur Cosmic mama. Deux semaines après Jimmy Hendrix, elle part le rejoindre dans un monde meilleur, où Brian Jones des Rolling Stones les attendait.
Le mythe apaisant du club des 27 est créé. Au travers des années, ils seront rejoints par Jim Morisson, Kurt Cobain et plus récemment une formidable chanteuse dont la vie et le destin semblent calqués sur ceux de Janis, la sulfureuse Amy Winehouse. J’aimerais bien être là-haut avec eux pour faire le bœuf avec eux.
En attendant, ne manquez pas d’aller tourner les pages émouvantes du livre de cette vie, en forme d’étoile filante, vous n’en sortirez pas indemnes. Quelques jours après sa mort et sa crémation, ses amis se rassemblèrent pour boire ensemble quelques verres et évoquer son souvenir. Janis, avait laissé un chèque de 2500 dollars pour régler l’addition. Elle y avait écrit en forme de testament, « c’est Pearl qui régale », ultime pirouette comique et dérisoire de celle qui ne demandait pas autre chose que d’être aimée.
Festivals : 72e Mostra de Venise, Festival de Toronto 2015, Festival du Film Américain de Deauville 2015
Amy J. Berg:
Née en 1970 à Los Angeles, Amy Berg est réalisatrice et productrice de documentaires. Son travail, reconnu par la critique, met essentiellement en lumière les dysfonctionnements de la justice sociale. Amy Berg commence sa carrière en réalisant et produisant de nombreux sujets pour CNN investigation. Son travail fut récompensé à deux reprises aux Emmy Awards en 2003 et 2004. En 2006, elle réalise son premier long métrage pour le cinéma Délivrez-nous du mal (Deliver Us From Evil) traitant des affaires d‘abus sexuels au sein de l‘Église catholique. Le documentaire sera nommé aux Oscars. L‘année suivante, elle soutient la campagne pro-environnementale d‘Al Gore, en réalisant le documentaire de dix minutes Polarized. En 2010, Amy Berg collabore avec Peter Jackson et Damien Echols à la production et réalisation de West of Memphis, documentaire sur l‘affaire West Memphis Tree (le procès de trois adolescents, accusés à tort et condamnés pour l’assassinat de trois enfants à Memphis en 1994). Le film est présenté pour la première fois à Sundance et est salué par la critique. En 2014, Amy Berg multiplie les projets. Elle lance différentes campagnes de levées de fonds pour financer deux films. Le premier projet a pour but, une nouvelle fois, de dénoncer les affaires d‘abus sexuels mais à Hollywood cette fois-ci (An Open Secret). Le second projet met quant à lui en lumière les difficiles conditions de vie de la population noire aux États-Unis (American Race). En 2015, la réalisatrice retourne à Sundance pour présenter Prophet´s prey. Un documentaire sur les dérives et abus de l’église mormone fondamentaliste de Latter Day Saints. Cette année, Amy Berg a présenté Janis aux festivals de Venise, Toronto et Deauville.
Il aura fallu sept ans à Amy Berg pour rassembler des dizaines de photos, de vidéos et de témoignages inédits sur la vie de l’artiste. Ce sont les propres mots de Janis Joplin qui content l’histoire du film, à travers des lettres qu’elle a écrites à ses parents au fil des années ; la majeure partie d’entre elles n’ont d’ailleurs jamais été dévoilées auparavant (et sont lues par la rock star issue du sud des États-Unis, Cat Power, de son vrai nom Chan Marshall).