Jean-Claude Le Chevère, patiemment et discrètement, trace sa route de romancier depuis une trentaine d’années. Sans jamais avoir dévié de ses préoccupations d’auteur attentif à ses humbles semblables, avec des mots toujours sobres. Ce romancier particulièrement attachant a publié son premier livre aux Editions Folle Avoine : Lucienne ou la vie des autres, merveilleux texte chargé de tendresse et d’humanité, voyait alors le jour. Et c’est Yves Prié, fondateur de la maison d’édition, qui le publia en 1988.
Cette rencontre entre un auteur et un éditeur était en réalité des retrouvailles. Les deux hommes se connaissaient depuis l’enfance et s’étaient perdus de vue. Et Jean-Claude Le Chevère ne pensait pas non plus qu’Yves allait publier son texte en prose, lui qui avait fait de Folle Avoine une maison dédiée essentiellement à la poésie. Le roman qui a suivi, Au printemps peut-être, fut lui aussi publié par l’ami Yves qui restera son éditeur principal, malgré les approches d’un éditeur parisien bien en vue à Paris. Folle Avoine allait rester le port d’attache de Jean-Claude Le Chevère avec quelques échappées chez le voisin géographique, Apogée.
L’amitié ne voulait pas dire pour autant facilité ou complaisance chez Yves Prié. « Des échanges suivis entraînèrent parfois des coupes ou des modifications. Ce fut le cas, par exemple, avec Au Printemps peut-être…, plus long dans sa version originale. Mais ce sont là des rapports normaux entre un éditeur et son auteur. » nous dit-il.
Parmi les prosateurs qui ont marqué Jean-Claude Le Chevère, Balzac est pour lui le romancier essentiel. Il l’a toujours accompagné. Comme il revient régulièrement aux grands auteurs du XIXème et du début du XXème. Parmi les contemporains : Camus, Giono, Guilloux, bien évidemment. Mais aussi Bergounioux, Millet, Michon, Claude Simon… Et les Antillais Laferrière, Depestre, Glissant, Confiant… En littérature étrangère deux géants s’imposent : Faulkner et Dostoïevski. En ce moment il privilégie les auteurs italiens, Moravia, Soldati, Franceschini, Barrico, Bassani, Sapienza…
Une mention spéciale doit être faite au Briochin Louis Guilloux qu’il n’a jamais rencontré. Il n’a pas osé aller vers lui, avoue-t-il. Il a lu Le Jeu de patience et Les Batailles perdues alors qu’il se trouvait en poste… à la Martinique ! Le Sang noir est le roman qui l’a le plus marqué et qui continue de le fasciner par la construction, l’intrigue, les personnages et cette écriture particulière. Il relit aussi régulièrement L’Herbe d’oubli et les Carnets, ainsi que certains passages du Pain des Rêves. Tout l’attire chez Guilloux : le monde dont il parle est le sien, celui dont il est issu et dont Guilloux a réussi à faire une création littéraire, comme celui de la bourgeoisie (notaires, médecins ou autres) et de la noblesse prises au milieu des conflits avec les classes populaires que Jean-Claude Le Chevère a bien connu pendant toute son enfance.
Les personnages de ses romans et nouvelles sont en effet le plus souvent des gens représentant la classe moyenne ou populaire, des gens humbles et modestes fréquemment en conflit avec notables et gens en place. La Lettre, dernier titre en date dans la bibliographie de notre auteur, met en scène un jeune de la classe moyenne qui garde toutes ses distances avec le notaire du coin.
La petite société provinciale des romans de Jean-Claude Le Chevère vit dans de petites bourgades et le cadre de ses fictions fait revivre les années 50 et 60, celles de la jeunesse de l’auteur. « L’écriture me ramène à mon enfance, à ma jeunesse, sans que ce soit un choix délibéré, dit-il. Ceci me fait penser à l’écrivain rennais Jean Sullivan qui écrivait :« Entrer dans les voies de la culture c’est se séparer des siens quand ils sont humbles. Quand je me mis à écrire je me sentis de plain-pied avec ma mère. » (in : Devance tout adieu). Ou à Annie Ernaux qui, dans sa correspondance parle « d’un monde que je n’ai jamais vraiment quitté ». Il y a des exceptions cependant : Le Voyage de Mélanie et Le Ragondin, par exemple. »
Parmi les poètes qu’il affectionne : Yves Prié bien sûr, à la poésie âpre qui évoque le plus souvent la Bretagne intérieure des cours d’eau et des talus, qui est également la sienne, Heather Dohollau, Michel Dugué, Hervé Carn. Jean-Claude Le Chevère aime aussi René Guy Cadou et Hélène Cadou, trop dans l’ombre de son illustre mari, pense-t-il.
Sans oublier les grands auteurs du XVIIe, qu’il relit régulièrement : Racine et La Fontaine.
Jean-Claude Le Chevère vit à Saint-Brieuc. On pourrait croire qu’il situe volontiers l’action de ses romans dans cette aire géographique. Ça peut être vrai pour La Lettre, son dernier roman (ou longue nouvelle). Le quartier de la Briquetterie où il situe son action est une transposition du quartier de sa maison briochine, le quartier de Robien. Quant à la commune de Sourville, un nom qui revient de temps à autres dans ses textes, elle n’existe pas en vérité, elle aussi est une transposition et le nom d’une ville-symbole ou ville-fétiche, comme a pu l’être Yoknapatawpha, le fameux Comté d’Oxford de Faulkner. Faulkner, un écrivain pour qui Jean-Claude Le Chevère a une admiration sans bornes, avoue-t-il.
La Bretagne en tant que telle n’est donc pas forcément et clairement décrite dans ses livres. Les personnages vivent et évoluent dans des paysages et des villes que Jean-Claude Le Chevère connaît bien, situés en Bretagne puisque c’est la région où il vit, mais la simplicité pour ne pas dire la banalité des lieux décrits ne trahit aucun trait régional en particulier.
La petite société provinciale des romans de Jean-Claude Le Chevère vit dans des petites bourgades et le cadre de ces fictions fait revivre les années 50 et 60, celles de la jeunesse de l’auteur. « L’écriture me ramène à mon enfance, à ma jeunesse, sans que ce soit un choix délibéré, nous dit-il. Ceci me fait penser à l’écrivain rennais Jean Sullivan qui écrivait: « Entrer dans les voies de la culture c’est se séparer des siens quand ils sont humbles. Quand je me mis à écrire je me sentis de plain-pied avec ma mère. » (in : Devance tout adieu). Ou à Annie Ernaux qui, dans sa correspondance parle « d’un monde que je n’ai jamais vraiment quitté. » Il y a des exceptions cependant : Le Voyage de Mélanie et Le Ragondin, par exemple. »
Jean-Claude Le Chevère a écrit deux romans que certains ont qualifiés de « romans noirs » : Rouge Ballast, publié chez Apogée, court texte, comme un exercice de style, dit-il. « Ce qui m’intéressait, précise-t-il, c’était l’écriture – une narratrice adolescente – et le milieu. Mais je ne me considère pas comme un auteur de romans noirs ». Le Notaire de Sourville est du même style : personnages, parcours de vie, conflits personnels et sociaux…, le monde décrit dans ce livre est celui qu’on retrouve dans d’autres de ses textes, moins noirs et moins…sanglants !
Autre point focal du monde de notre auteur : le sport qui a occupé une place importante dans sa vie, en particulier le cyclotourisme, et surtout sur longues distances. Pendant une quarantaine d’années son épouse et lui-même ont pratiqué assidûment la discipline. Aussi, lorsque dans Tandem solo Jean-Claude Le Chevère prête à ses personnages diverses impressions et sensations, il les emprunte à son expérience personnelle. « J’ai toujours été passionné par le cyclisme et ceci depuis l’enfance, influence paternelle sans aucun doute. Petite anecdote : il m’est même arrivé de composer de courts textes en roulant ! » avoue-t-il.
Comment se fait le travail d’écriture de Jean-Claude Le Chevère ? Laissons-lui la parole :
« Mon travail se décompose ainsi : 1. Première écriture à l’encre noire (toujours le matin). 2. Deuxième écriture : reprise de la première avec modifications (ajouts, suppressions, changements…) à l’encre bleue. 3. Troisième écriture : nouvelles modifications et corrections à l’encre rouge. 4. Frappe sur ordinateur. 5. Tirage sur papier pour les derniers ajustements et corrections. En reprenant mes textes je me rends compte qu’on y rencontre souvent une sorte de sentiment de culpabilité (influence de Camus) ou de regret (échec d’une vie qui ne s’est pas déroulée comme on l’aurait souhaité). Ce qui m’intéresse c’est rechercher la vérité derrière l’apparence de gens sans histoires, retrouver « le misérable petit tas de secrets » dont parle Malraux dans Les Noyers de l’Altenburg. Antoinette Dilasser écrit dans Histoires de Louis : « Il y a des gens comme ça dont on connaît des bouts d’histoire et on se dit : est-ce qu’il va s’en sortir à la fin ? […] Mais on n’imagine pas la vie des autres. On ne peut pas, jamais. » Eh bien, moi, c’est ce qui m’intéresse. Mon but c’est de la démentir. Qu’est-ce qui me pousse à écrire ? Je n’en sais rien ? Je l’ai toujours fait. N’oublions pas ce que disait Antonio Lobo Antunes : « Est-ce qu’on demande à un pommier pourquoi il donne des pommes ? » (in : Conversations avec M.-L. Blanco). »
[Interview recueillie par Jacques Brélivet. 13 mars 2020]
Que Jean-Claude Le Chevère soit remercié d’avoir bien voulu répondre à nos questions. La rencontre avec l’auteur devait avoir lieu au Forum du livre samedi 21 mars à 11 heures.