La pièce de théâtre Ici commence le pays de la vérité de Jean Le Peltier de la compagnie Ives & Pony sera présentée au théâtre l’Aire Libre de Saint-Jacques-de-la-Lande les 13 et 14 mars 2025. Dans ce huit clos, le metteur en scène et comédien invite le public dans une discussion à trois où se joue une mort…
Depuis ses débuts sur les planches, Jean Le Peltier a développé une ligne dramaturgique où parle son amour pour la narration qui le suit depuis l’enfance, dans laquelle il insuffle des idées scientifiques et philosophiques. Le metteur en scène et comédien souhaite créer des formes théâtrales accessibles qui touchent autant les connaisseurs et connaisseuses que les personnes éloignées du roman, de la science ou de la philosophie. Parmi ses créations, la dernière en date est Ici, commence le pays de la liberté, réalisée en 2023. Elle est présentée au théâtre l’Aire Libre les 13 et 14 mars 2025.
De quoi parle-t-elle ? Et si, avant de mourir, vous étiez obligés de discuter avec les personnes que vous détestez le plus au monde ? Cette première idée de Jean Le Peltier, que l’on aperçoit aujourd’hui de manière très diffuse dans son spectacle, représente ses prémices. L’histoire prend place dans un espace fait de rideaux et de teintes poudrées, apaisantes même, qui créent un passage. Deux personnages sont à terre, une voix plante le décor avant qu’un troisième, perché en hauteur, entre scène : alors qu’ils se trouvent à une fête folklorique, Sophie, ancienne députée, Jean, (mauvais) comédien de village, et Gwenaëlle, ancienne camarade de classe de Sophie et infirmière du village, tombent au fond d’un puits asséché… Tous les trois se retrouvent alors dans un espace quelque peu atypique, un purgatoire qui ressemble légèrement à une salle d’attente. Ce n’est cependant pas avec leurs péchés qu’ils conversent : pour que la mort se fasse, un échange se crée entre Sophie, Jean et Gwenaëlle. Ils avancent ensemble, même si c’est à contre cœur, de souvenirs en souvenirs. Entretien.
![ici commence le pays de la liberté](https://www.unidivers.fr/wp-content/uploads/2026/01/ici-commence-le-pays-de-la-liberte-jean-le-peltier.jpg)
Unidivers – Jean Le Peltier, que vous intéresse-t-il dans le fait de mettre la narration au plateau ?
Jean Le Peltier – Quand j’étais petit, les formes contées me touchaient déjà beaucoup. La catharsis, la communion, toutes ces réunions d’intelligence qui se créent pendant un moment d’imagination collectif me fascinent complètement. Je trouve que c’est une manière de partir du réel, de s’en aller de la fatalité et de l’obligation d’être toujours à un endroit dans un temps précis. J’adore l’idée qu’on soit un groupe de personnes qui se réunit et qui part au loin sans bouger. Tous les esprits s’accordent pour voir plus ou moins la même chose.
Unidivers – Vous parlez de la création d’un temps suspendu qui projette le public ailleurs. Dans vos créations, celui-ci fait bien appel à son imagination, mais reste ancré dans une réalité.
Jean Le Peltier – Exactement. J’adore l’idée de relativiser les choses réelles, même si certaines sont parfois violentes et qu’on ne peut pas les relativiser. J’aime qu’on puisse s’oxygéner l’esprit par la fiction. En nommant et décrivant un problème a priori complexe et loin de nous, on arrive à en faire le tour, pas à pas. On pense parfois que trouver une solution est impossible, mais en y allant par étape, cela nous semble moins compliqué. C’est comme faire une randonnée et voir la difficulté de la trajectoire. Avec une méthode d’approche tranquille, on prend un certain plaisir à se rendre compte que ce qui nous paraissait difficile est en fait atteignable.
U. – Comment est né le spectacle Ici, commence le pays de la liberté ?
Jean Le Peltier – Cette création possède un grand rapport à l’Histoire. Dans Histoire mondiale de la France, Patrick Boucheron illustre des épisodes de la France et, parmi eux, la bataille de Valmy de 1792. Elle a opposé l’armée révolutionnaire française, composée de soldats du roi et de citoyens révolutionnaires, et les Austro-Prussiens. Les historiens la voient comme une bataille molle qui s’est terminée autour d’une conversation, avec l’armée révolutionnaire qui en est sortie vainqueur. Ils ont fait concorder à la même date la Convention, le premier jour de la République française le 20 septembre, avec cette bataille qui a en réalité eu lieu le 22 septembre. Il s’agit pourtant de deux jours bien distincts. Cette vision romantique a été reprise par Goethe avec la phrase : « Ici et maintenant, vous pourrez dire le nouvel ère du monde a commencé et vous pourrez dire que vous y étiez. » Je trouve qu’on a tendance à aimer chapitrer le récit de l’existence alors que la vie est une succession de superpositions et n’est pas aussi narrative que le voudrait Goethe. J’ai eu envie de partager avec le public ce constat que le temps ne fonctionne pas comme cette représentation glorieuse et éloquente que l’on a parfois même sur notre propre existence.
Je voulais aussi mettre en confrontation deux personnes qui ont une approche différente du temps et de la tradition. Une députée un peu amère qui revient dans son village natal se dispute avec une vieille connaissance de classe, devenue infirmière de village. La première déteste les traditions folkloriques alors que la deuxième est devenue infirmière de village donc elle suit les habitants et voit la décrépitude des services de santé. Elle trouve important de faire des moments festifs fédérateurs, alors les deux confrontent leurs arguments.
![Ici commence le pays de la liberté](https://www.unidivers.fr/wp-content/uploads/2026/01/jean-le-peltier-ici-commence-le-pays-de-la-liberte-2.jpg)
U. – Vous êtes partis d’un moment historique pour parler de thématiques plus personnelles, voire introspectives, comme l’identité et la transmission. Quel est l’intérêt, selon vous, d’imbriquer ces deux notions ?
Jean Le Peltier – Ça m’est venu en tête parce que j’ai travaillé sur un projet avec un professeur d’Histoire de Nantes. Quand on parle d’Histoire, on voit souvent une colonne grecque ou quelque chose qui semble là depuis toujours et qui le sera toujours, mais il m’a expliqué qu’elle est en mouvement, ce que j’ai compris en écoutant ses explications. À tout moment, une nouvelle fouille ou une nouvelle lecture peut surgir et changer notre conception de l’Histoire.
On retrouve cette idée de mouvement dans la pièce dans le fait de préférer un personnage puis l’autre selon les arguments que l’une ou l’autre avance. J’ai eu envie de rendre les convictions du public instables pour qu’il ait du mal à se positionner. On voyage dans l’histoire de ces deux personnages comme on voyage dans l’Histoire. Le public est obligé d’entrer en mouvement, il se retrouve devant la difficulté de juger une relation entre deux personnes comme on peut juger l’Histoire. Et une fois que l’on s’est positionné, il faut être capable et disponible pour remettre en perspective un nouvel élément qui arriverait dans le paysage de notre jugement.
U. – En plus des deux personnages féminins, on trouve aussi le comédien. Comment avez-vous pensé les trois personnalités ?
Jean Le Peltier – Cela a à voir avec ce qui m’occupe depuis mes premières pièces, le langage. J’ai voulu donner trois types de langage : la députée a un langage très pragmatique, elle décrit les faits avec recul ou du moins elle pense le faire. L’infirmière a un langage plus passionné, elle décrit son imagination et un passé fantasmé. C’est un langage que l’on peut d’ailleurs rapprocher de celui de l’extrême droite, dans le fait d’aller titiller en nous cette idée de passé idéal ou idéalisé.
Le comédien, lui, voudrait dire les choses, mais elle seraient considérées comme pas importantes et vraies. Il représente aussi la solution par la psychologie, il pense que dire c’est déjà soigné. Il y a une petite critique à l’intérieur de ça, car dire c’est parfois aussi blesser. Il faut parler pour résoudre les choses, mais ce n’est pas si simple que ça. Parfois, se taire c’est mieux. Jean utilise la méthode de l’expression qui résoudrait tout, « faites du théâtre et vous aurez confiance en vous », comme si la parole résolvait tout. Il propose à Sophie et Gwenaëlle des ateliers de parole pour essayer de revenir l’une vers l’autre. Cela a un peu à voir avec ce nouveau monde où il suffirait de faire des groupes de parole pour résoudre les conflits, mais parfois de vrais conflit ne peuvent pas se résoudre avec une astuce de mots.
![Jean Le Peltier Ici commence le pays de la liberté](https://www.unidivers.fr/wp-content/uploads/2026/01/jean-le-peltier-ici-commence-le-pays-de-la-liberte-7.jpg)
U. – On pense beaucoup à tout ce qui touche au développement personnel et à la communication non violente quand on vous écoute… Concernant Jean justement, une certaine naïveté se dégage du personnage. Dans Zoo, vous aviez déjà mis en scène un acteur un peu naïf. Que vous intéresse-t-il dans le fait de travailler autour de la notion de naïveté ?
Jean Le Peltier – C’est un plaisir un peu personnel. Ce sont des personnages que j’interprète, et c’est très jubilatoire de jouer quelqu’un qui est buté sur ses idées, qui ne s’aperçoit pas que le réel ne correspond pas à ce qu’il imagine.
C’est peut-être pour psychologiser, mais je dois admettre que c’est ça : ce n’est pas si facile de jouer devant des gens. Quand je jouais mes premiers spectacles dans lequel j’étais tout seul, j’avais trouvé cette astuce, de paraître plus idiot que je l’étais, un peu comme une carapace de protection. Cette façon de jouer entraînait aussi une progression dramaturgique que j’aimais bien. Quand il entre dans la salle, le spectateur ou une spectatrice ne sait pas ce qu’il attend donc il y a toujours un doute, et j’aime bien faire croire au public qu’il y a un problème. Interroger cette situation qui paraît parfois si évident mais qui ne l’est pas.
Dans Liberté, j’utilise cette méthode pour donner de l’air à la dispute, elles peuvent se reposer ou s’associer dans la détestation d’un tiers. C’est le principe du bouc émissaire qui est souvent utilisé dans les narrations quand on veut que deux personnes se réconcilient.
Unidivers – Je vous remercie Jean Le Peltier.
![Jean Le Peltier Ici commence le pays de la liberté](https://www.unidivers.fr/wp-content/uploads/2026/01/pierre-yves-jortay-atelier-210-ici-commence-le-pays-de-la-liberte.jpg)
Retrouvez le spectacle Ici commence le pays de la liberté de Jean Le Peltier jeudi 13 et vendredi 14 mars 2025 à 20h30 au théâtre de l’Aire Libre, 2 place Jules Vallès à Saint-Jacques de la Lande.
Dès 15 ans. Durée : 1h30. Tarifs : 6 -> 16€ / PASS. Billetterie
Contact : + 33 (0)2 99 30 70 70 – contact@tal-lejolicollectif.fr