Jean-Louis Coatrieux publie son dernier ouvrage, De science et de littérature, conversations avec Jean Cloarec aux éditions Chemins de Tr@verse. Un récit de ses rencontres littéraires et scientifiques, de son métier de chercheur et surtout de ceux auxquels il doit tout, nous dit-il.
L’unité dans la diversité, tel est le vecteur qui sous-tend De science et de littérature, le dernier ouvrage de Jean-Louis Coatrieux, scientifique et homme de lettres, avec un beau partage des vocations et compétences, d’où par là-même le compte rendu a toute sa place dans les colonnes d’Unidivers, d’ailleurs cité au détour des pages, « une équipe formidable malgré le peu de soutien des institutions publiques » (rendant hommage à Nicolas Roberti et à Emmanuelle Volage). Et donc, nous avons là, accroché à ses deux branches, un polymathe, autrement dit un homme qui en sait beaucoup sur plusieurs choses et dans plusieurs domaines. De ce grand voyageur, aussi à l’aise à Caracas qu’à Canton, chez les Vénitiens que chez les Vannetais, on retiendra l’immense savoir en ces deux vastes domaines, la science physico-médicale (il fut un des maîtres de l’Inserm à Rennes) et les bâtons penchés de son écriture, qui affiche au tableau noir et à la craie d’or pas moins de trente ouvrages : poésie, essais, nouvelles, romans…, en ignorant d’ailleurs la ligne de front, je veux dire la frontière, tant les lignes se fondent à la croisée de son chemin de traverse. Ce grand conteur de l’imagerie médicale et de la société tourmentée de notre temps (cf. Secoue-toi Bretagne ou Bretagne en crises ? publiés chez Apogée), soit qu’il voit courir Mounia, ou qu’il immobilise Natcho sur les crêtes caraquègnes, avec arrêt sur image du grand Alejo Carpentier, dont il retrouva la bretonitude, dans son exil vénézuélien, est, en quelque sorte, par filiation poétique, un « Voyant » lumineux.
Servi par l’interpellation de Jean Cloarec, son ami, toute de retenue en même temps qu’incitative, Jean-Louis Coatrieux se découvre dans son itinéraire et sa double casquette, expliquant son savoir, dessinant son parcours, saluant ses amis — et à ce titre, il ne cesse de multiplier les noms, qui vont aussi bien de Mariano Otero, le regretté grand peintre rennais avec qui il publia tant de livres à La Part Commune dont L’Intérieur des terres et Tango-Monde, au professeur Cerutti, du poète Christian Prigent à l’éminent statisticien Israël César Lerman (de l’Insa de Rennes), ou de Jean Marcenac, son maître d’école au lycée Paul Éluard, à Erika Weiss-Tironi, la Juive autrichienne dont il raconta l’enfance cachée. La nomination est un trésor de mémoire, et ce livre est, avant tout, un catalogue de souvenirs : l’enfance vagabonde en Bretagne, les études secondaires à Saint-Denis, l’accès au grand savoir à Grenoble, les recherches à Rennes-1 sur l’imagerie médicale (dont Coatrieux est un spécialiste mondial, reconnu et couronné).
« Plonger dans un dialogue, écrit en prologue son éditeur Michel Morvan, c’est comme s’offrir un voyage au cœur des pensées et des émotions de ses interlocuteurs. » Pensée et émotion se partagent, assurément, le contenu de ces conversations. Pour la pensée, on peut y accéder, même en néophyte du savoir biophysicien tant l’auteur, dans ses explications, rend accessibles ces « scènes de synthèse en 3D ». « La recherche est la passion d’une vie », écrit-il, en ne laissant de souligner ses errances, ses « intuitions insignifiantes »… jusqu’à toucher au but, via le Traitement de signaux électromyographiques (titre de sa thèse doctorale). Et l’on sait combien l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) où il dirigea le laboratoire de traitement du signal et de l’image, doit à ses avancées dans l’imagerie numérique médicale qui lui ont valu une reconnaissance mondiale. On retiendra ses deux dernières distinctions : le prix Claude Fourcade, remis par la Société Française de Génie Biologique et Médical, en 2009 et en 2013 la Jiangsu Award (Chine).
Mais la littérature dans tout cela ? Certes, au départ, il y a « le » Professeur, et Jean Marcenac avait assez de prestige dans sa classe pour lui faire, très tôt, découvrir Aragon et Neruda, « la rose et le réséda », sans le détourner de son internat en classes prépas du lycée Chaptal où pointe déjà sa bosse des maths. Mais c’est surtout ses deux années (de coopération) passées au Venezuela qui l’ouvrent à la littérature, et pour l’essentiel aux auteurs latino-américains. Qu’on s’étonne, après cela, qu’il ait vagabondé sur les rives de l’Orénoque, où son auteur fétiche, Alejo Carpentier, situe Le partage des eaux, et où Coatrieux, romancier, entraînera son beau dernier personnage de Natcho.
Mais que serait la littérature sans l’échange ? L’homme de science qui sait que tout commence par la rencontre et la fusion des cellules, et leur multiplication, voit bien que les lettres se fondent sur la correspondance (« Les parfums, les couleurs et les sons se répondent », disait Baudelaire). Coatrieux a la passion de l’amitié, qui est rencontre, échange et correspondance. Avec « cette gourmandise des lettres, des mots et des phrases ». Aussi les meilleurs chapitres de ce livre, ou disons les plus émouvants, sont ceux où il parle de ses amis, ceux d’avant et ses « rencontres tardives », ses ultimes « vendanges ». Les cinq dernières pages de ce livre leur rendent hommage : « Je refais le monde avec eux, un monde passionné, métissé, celui que nous n’avons pas toujours su construire, mais dont nous avons rêvé ». La part du rêve est, chez lui, essentielle, et l’on ne s’étonnera pas qu’il ait donné à sa belle et profonde approche de la littérature le titre emblématique de Le Rêve d’Alejo Carpentier. Et au terme de cette longue énumération qui embrasse tant d’amis, il a ce mot qui dit tout de sa quête et de ses découvertes : « une famille adoptive ». C’est pourquoi, ce livre est tout de beauté et d’émotion. « Et toujours du bonheur en plus », écrit-il pour finir.
De science et de littérature, Conversations avec Jean Cloarec de Jean-Louis Coatrieux. Préface : Michel Morvan. Couverture : Méandres de Christian Sanseau. Éditions Chemins de Tr@verse. 142 pages. Parution : 16 novembre 2023. 16€
Ce livre peut être commandé en version numérique (6,99€) et en version papier (15€) sur le site de Bouquineo.