Mon pays dans le ciel, suivi de Stèles, de Jean-Michel Le Boulanger paraîtra aux éditions Goater le 5 mai 2023. Dans l’intimité de son histoire personnelle, l’écrivain conte aussi l’histoire de la Bretagne des années 50 aux années 2000 et d’une génération. Celle de Jean-Michel Le Boulanger qu’il nous livre avec sincérité… en un souffle.
D’un souffle car ce récit se lit d’une seule traite. Il est rare qu’un livre nous livre notre vie en miroir. C’est ici le cas. Celle de nos parents et de nos grands-parents avant eux. Qui n’a pas eu en Bretagne des vies brisées, foudroyées par la Grande Guerre, puis celle d’Indochine et celle d’Algérie. Et toutes les autres vies, en face, pourquoi ? Pour rien. Le livre s’ouvre sur ces pages terribles qu’un enfant de 6 ans ne peut comprendre et ne pourra jamais à l’âge adulte accepter. Ces pages s’ouvrent donc aussi sur la Bretagne et de son tribut à ces folies, sur ce questionnement en profondeur de l’auteur d’être d’ici, héritier de cette terre paysanne, de la mémoire de ces femmes et de ces hommes, de cette part du monde ni plus ni moins égale à toutes les autres.
École primaire, lycée, au gré des affectations d’un père militaire, jusqu’à la Montagne Sainte Geneviève, et la direction de l’école Polytechnique. Autre monde, autres règles. Jean-Michel Le Boulanger n’en est pas, se refuse à en être. Il préfère s’arrêter devant la vitrine de José Corti avant de descendre chez Gibert Jeune pour les livres d’occasion, ceux qui ont déjà vécu et continuent à vivre. Toujours plus de lectures, les premières sorties, la vie s’élargit, il grandit, il apprend. Avec toujours ce bonheur de revenir au Maudez les étés, un lieu-dit proche de Guingamp, le temps des moissons et du cidre avec les siens, qu’ils soient de famille ou d’amitié. De vibrer à l’épopée de l’En-Avant de Guingamp en Coupe de France occupant les manchettes de la France entière en 1973. D’applaudir les exploits en bicyclette de Louison Bobet et Raymond Poulidor comme de Gachassin au rugby et de Bambuck au sprint. Car le sport est aussi culture, dépassement de soi, joie collective, vie ensemble…
Ce bonheur d’être au pays est porté, emporté par le renouveau culturel de la Bretagne avec Grall, Keineg, Stivell, Glenmor et par tant de lieux de Festnoz, partout et jusqu’au moindre hameau, où se chantent et se dansent des fisels et des plinns avec les sœurs Goadec et les frères Morvan. L’histoire et la géographie ne sont jamais loin en mémoire. Plogoff, les marées noires, le Joint Français, comment oublier ? Jean-Michel Le Boulanger nous explique comment il s’est construit, comment des rencontres de hasard, inattendues, incongrues parfois, comment ces rencontres ont été des bifurcations sur son parcours de vie. Questionnements, découvertes, discussions, décisions, doutes,… tout ce qui nous traverse, nous blesse, nous apaise ou forge nos convictions, toutes les injustices qui nous font nous lever et protester, toutes celles aussi et surtout qui nous font aimer, totalement, profondément, aimer. Nous avons chacun les nôtres. C’est ainsi, nous dit-il.
Ces silhouettes qui passent devant nos yeux, ces portraits tirés au près, nous en retrouvons certains dans la seconde partie du volume : Stèles. De la même épaisseur que la précédente, c’est un joyeux mélange, un brouhaha de voix, de lieux, de cafés. La Bretagne du bout du monde, du bord du monde aussi, dit-il. En 2CV, en 4L, peu importe, je suis même sûr qu’il l’aurait parcourue à vélo ou à pied aussi bien, une vraie vocation de géographe si je l’ai bien entendu. De Mellionnec à Douarnenez, de Fougères à Ouessant, du Huelgoat à Locmariaquer… L’Interceltique, les Vieilles Charrues, Lieux mouvants, les Gras, Etonnants Voyageurs… Partout des librairies, Le Pain des rêves, Dialogues, Ravy, Les nourritures terrestres, impossible de les citer toutes tellement elles font nombre. À chaque pas des noms. Brizeux, Perros, Guéhenno, Guilloux et à deux pas, René-Guy Cadou. « Il est plus grand que lui, ce pays. Il a les dimensions de mes rêves », ajoute-t-il. Mais cette Bretagne est aussi celle des sardinières de Douarnenez chantant : « saluez, riches, heureux, ces pauvres en haillons/saluez, ce sont eux, qui gagnent vos millions ». Dans ce joyeux désordre d’hommages et de portraits, quelques passants sur le chemin politique, peu, et c’est très bien ainsi. Gageons qu’il y reviendra un jour. Prenons donc plutôt comme « Compagnons », pour suivre un instant notre cher Louis Guilloux, Charles Tillon, celui de la Mer Noire, Bernard Guillemot et les éditions Calligrammes, Michel Thersiquel, la mémoire en images ou vice-versa, Michel Le Bris, l’homme aux semelles de vent.
Impossible donc de lâcher ce récit à la fois si personnel et si universel. Le « je » est ici d’abord « nous », autant de visages inconnus, si familiers pourtant, et de voix de même parenté croisées au détour d’une page. Remonter des souvenirs, des émotions, des visages et les rendre vivants requiert beaucoup plus que du talent, de l’humanité. Des mots justes, amusés, heureux d’être partagés, des mots sans ostentation nous arrivent avec un naturel étonnant, cette intranquillité tranquille dont parfois il nous parle. Il y a de la générosité dans ces pages, de la passion, de l’enthousiasme, de la modestie aussi et des fidélités, beaucoup. Une belle écriture, simple, précise, où le passé, le présent et le futur s’y conjuguent au nom, toujours, de liberté, égalité, fraternité. Ces mots, si dévoyés partout aujourd’hui, font partie pour lui de son ordre du jour, chaque jour. Un monde sans ghetto, sans frontière, singulier et pluriel, où nous pouvons vivre en conscience, nous raconter nos histoires à venir et nos rêves les plus fous.
Le grand-père arrive dans la cour de la ferme, lui sourit et roule une cigarette. Tous les deux lèvent la tête et le voient, leur pays dans le ciel. Il est midi. Midi.