Contrairement à ce que son nom suggère, Jeff Vaillancourt est originaire du Texas. Ses photos déploient une vision singulière de cet Etat Redneck et, plus particulièrement, de la ville d’Austin qu’il chérit. Entretien réaliste. Et dépassement du réel.
Unidivers : Quel photographe êtes-vous ?
Jeff Vaillancourt – Je me considère moi-même comme un photographe amateur. Passionné par ce métier, mais toujours amateur, puisque ce n’est pas mon métier principal. La photographie a toujours fait partie de ma vie, mais j’ai réalisé il y a 7 ans que je devais mettre à l’épreuve mon appareil-photo toutes les semaines, même tous les jours, afin de progresser. Je suis encore loin du niveau que je me suis fixé.
Pourquoi la photographie ? Car je suis quelqu’un d’heureusement et désespérément « visuel ». Ma mémoire est photogène. Ainsi, je nourris une fâcheuse tendance à oublier les détails de la vie quotidienne, mais la vue de la photo d’un endroit ou d’un moment de ma vue fait remonter des souvenirs « une étonnante vitalité et précision. Vraiment, ma mémoire tangue, mais le support photographique y supplée comme une prothèse magique.
U. Vous avez l’habitude d’utiliser le noir et blanc, mais, dans vos derniers travaux, la couleur domine, notamment la nuit…
J.V. : J’apprécie les images noir et blanc dans mon propre travail et encore plus chez mes confrères photographes. Toutefois, la couleur s’impose comme une évidence indépassable dans certains contextes. Quand l’ambiance se retrouve… perdue par le noir et blanc, je laisse la photo en couleur. Mes photos récentes d’une tempête dans la 6e rue d’Austin en sont un bon exemple. La couleur faisait partie de l’expérience.
U : La photo de rue et le portrait ont votre préférence tout comme la vie nocturne. Comment décririez-vous votre approche ?
J.V. : Mon travail s’inscrit davantage dans la photographie d’observation que le « moment déterminant » cher à Henri Cartier-Bresson. Mon saisissement de la rue n’a sans doute pas l’attrait du « moment déterminant » ni de côté surréaliste, mais présente une représentation fidèle d’un endroit et d’un moment original. En pratique, si je voyage occasionnellement, le plus gros de mon travail s’inscrit dans la 6e rue d’Austin au Texas où je vis. Mon objectif : que les amateurs de mon travail aient l’impression de marcher dans la 6e rue. Un point de vue qui ne touchera pas tout le monde, mais une représentation de mes propres expériences théoriques et sensibles dans cet endroit, ce microcosme. Une observation singulière à visée objective.
Au début, j’ai pris des portraits de rue lors de ma participation à un groupe Flickr appelé « 100 strangers ». Peu à peu, j’ai interagi avec les passants en leur demandant de se prêter au jeu du portrait. Il en suit parfois une brève rencontre, parfois une véritable relation. Demander à son prochain si on peut lui tirer le portrait me rend mal à l’aise, mais l’interaction humaine se révèle toujours gratifiante – Une invitation à continuer.
U : Vous avez aussi fait des photos d’animaux, dans des zoos. Comme n’est pas le meilleur endroit pour voir des animaux heureux, ne souhaitez pas réaliser de la photographie animalière dans la nature ?
J.V. : Je ne suis vraiment pas un photographe de la nature. Je réalise parfois des clichés dans des zoos, même si c’est triste de les voir ainsi en captivité, car je suis fasciné par leur comportement. Spécialement les singes dont j’aime les expressions humaines et les relations qu’ils entretiennent entre eux. Je sors du zoo en éprouvant une connexion avec les animaux que j’ai photographiés et j’espère que cela ce ressent à travers les photos.
U : Vous êtes du Texas et pour nous, Français ou Européens, cet Etat est rempli de clichés, de cowboys et de pétrole. Comment votre travail contribue-t-il à son image ?
JV : Le Texas est un endroit tout à la fois conservateur et surprenant. Certes, dans beaucoup de lieux, c’est très cowboys et pétrole. Mais Austin est une singularité. On dit à Austin, « Keep Austin Weird » (Garde Austin Etrange). En fait, Austin se rapproche plus d’une ville comme San Francisco en Californie qu’aucune autre ville du Texas. L’unique « bizarre » d’Austin, c’est que n’importe qui peut être ce qu’il veut dans ce monde sans que ce que les gens pensent n’ait aucune influence. Austin accepte les autres comme San Francisco le fait. Mes photographies de la 6e rue tout comme d’Austin et des places étranges du Texas en sont l’illustration. C’est dans ce « bizarre » que je vis, évolue, aime vivre.
U : Dès lors, quelle est la raison profonde qui vous pousse à le photographier ?
JV : La photographie libère… ma voix. Un besoin d’exprimer cet aspect « bizarre » du réel que je ne saurais exprimer sinon. À travers l’objectif, j’ai découvert non seulement un monde insoupçonné, mais une voix sur le monde.