Ceux qui collaboraient, ceux qui ne collaboraient pas… Plus de 80 ans après la fin du conflit ? La seconde guerre mondiale reste une source inépuisable de débat moral … avec son cortège d’horreur et d’actes héroïques, ses salauds et ses cœurs purs.
Jérôme Garcin, qui s’y connait en manière de belles-lettres, convoque les manes des deux espèces pour une confrontation devant le Tribunal de l’Histoire même s’ il s’agit de Littérature et pas des seconds couteaux… que des futurs classiques et pas des moindres.
Certains sont déjà empaillés dans la Pléiade (Céline, Marcel Aimé, Cocteau Paul Morand, Drieu La Rochelle) comme un ultime blanc seing qui permettrait d’oublier leur turpitudes. Ils y voisinent avec ceux de l’autre camp (Camus, Kessel). Beaucoup ont déjà été écrit sur l’attitude de la plupart, mais de façon séparée. Le cas Céline reste une des figures de proue de cette époque. Selon que l’on s’adresse aux écrits énamourés de son hagiographe François Gibault ou que l’on se penche sur le dossier plus lucide d’André Rossel-Kirschen*, seul survivant du procès de la Maison de la Chimie ou encore le témoignage d’Ernst Junger** dont le tome 2 de ses Journaux de Guerre est sans appel, pour avoir pu observer l’animal qu’il juge plutôt perturbé lors de son séjour parisien à l’état major allemand et bien le jugement peut varier. Et onn oublie l’ordure des fameux pamphlets . Imaginons un seul instant qu’il ait subi le même sort que Brasillach – bien moins chanceux – ou Rebatet – beaucoup plus chanceux,– cela nous aurait privé de quelques belles pages fort bien tournées de son odyssée germano-danoise mais 12 balles au petit matin n’auraient sans doute pas été volées à l’hiver 44-45…
La question pour tous ces gens, qui par conviction profonde ou petits intérêts ont cautionné par leur simple présence joviale ou leurs diatribes un régime abject, c’est leur responsabilité en banalisant le mal qui n’est somme toute pas différente d’un quelconque milicien. Drieu la Rochelle sut en tirer l’ultime conséquence et Brasillach eut le cran de se rendre pour protéger sa mère. Ramon Fernandez, brillant s’il en fut, s’échappa quant à lui dans les vapeurs de l’alcool après avoir brûlé sa vie « par les deux bouts ».
De l’autre côté on retrouve bien sur Camus, Eluard, Kessel, Mauriac et d’autres un peu moins célèbres mais d’un héroïsme sans appel comme Jean Prévost mort les armes à la main dans le Vercors ou Jacques Lusseyran, aveugle et résistant, qui survivra à Buchenwald. Au passage, on écorne discrètement le silencieux Sartre, juste préoccupé du succès de sa pièce « Les Mouches » ou le bronzé André Breton de retour de son exil américain.
L’ouvrage de Jérome Garcin est relativement court mais efficace. Il évite les références soporifiques et les redondances académiques. Les portraits sont finement ciselées. On ne peut que saluer un tel ouvrage qui recadre bien le parcours sans romantisme de certaines « vedettes » de la littérature.
Jérôme Garcin, Des mots et des actes, Les belles-lettres sous l’Occupation, Collection La part des autres Gallimard, octobre 2024, 18€50
- * André Rossel-Kirschen, Céline et le grand mensonge – Éd. Mille et une nuits, 2004
- ** Ernst Jünger, Journaux de guerreTome II Bibliothèque de la Pléiade, 2008