À la sortie du métro, à un arrêt de bus, au croisement de deux boulevards, les affiches de Jérôme Pellerin ornent depuis 20 ans les rues de Rennes sous le signe de l’opéra. Une rétrospective d’une quarantaine d’affiches lui rend hommage. Elle est présentée à l’opéra de Rennes du 15 octobre 2019 au 19 janvier 2020. Entretien avec un bel affichiste. Ou de l’art du bel canto visuel…
Au sortir de ses études de littérature, après une pratique amateur du théâtre et un apprentissage artistique, Jerôme Pellerin est embauché par la maison d’opéra de Rennes en tant qu’assistant aux relations publiques. Un concours de circonstances le conduit à proposer ses services afin de concevoir des supports graphiques. Il devient rapidement affichiste pour l’opéra de Rennes où il œuvrera durant 20 ans ! Depuis 15 ans, il est également graphiste en free-lance, notamment pour l’opéra de Rouen, Angers-Nantes opéra, le musée de Giverny, le Centre des monuments nationaux. 90 % de ses réalisations s’inscrivent dans le domaine culturel et patrimonial.
Unidivers – Jérôme Pellerin, entrons d’emblée dans le vif du sujet : quel est le secret de fabrication de vos affiches ?
Jérôme Pellerin – D’abord, être fidèle à l’ouvrage. D’autant que l’opéra de Rennes privilégie une communication proche de l’œuvre qui va être donnée. Cela étant, souvent, le spectacle à illustrer n’existe pas encore, il n’y donc aucune photographie à visionner afin de se faire une idée de la réalisation. Il convient alors de concevoir des affiches qui respectent l’esprit de l’oeuvre et de la mise en scène tout en étant séduisantes, colorées, attractives. De fait, les Rennais sont habitués à voir des affiches audacieuses visuellement, collées sur les murs, très rock. Et puis, les quatre graphistes qui m’ont précédé s’inscrivaient dans une ligne graphique très “pop” et jeune. C’est ainsi qu’à mon arrivée et depuis, j’aime me promener dans la ville et m’inspirer des affiches existantes afin de réaliser… autre chose ! Il y a 20 ans, peu d’affiches dans la ville avaient recours aux dessins. C’est pourquoi j’ai privilégié le dessin !
Le leitmotiv de mon travail est d’essayer de capter l’attention de Rennais qui n’ont pas l’habitude de venir dans notre maison, laquelle pâtit d’un cliché faussement élitiste. Nul besoin de le rappeler que l’opéra est un art qui s’adresse à tout le monde !
Unidivers – Dans votre travail, trois styles se distinguent…
Jérôme Pellerin – En effet. La première génération (1999 – 2005) est très colorée, tirant sur le kitsch. J’ai joué avec des images rétro, parfois tirées de romans-photos que j’ai recolorisés. En ville, une grosse tache rouge, ça attire l’œil ! Certaines affiches sont davantage énigmatiques également. Cette première époque, associée au directeur de l’époque Daniel Bizeray, joue sur l’autodérision, la carte du décalé. Ça a très bien fonctionné ! En fait, il faut bien comprendre qu’il y a deux publics : celui qui vient en salle et celui qui voit l’affiche dans la rue quotidiennement. Ce premier type d’affiches a beaucoup séduit le public dans la rue.
La deuxième génération (2005 – 2010) est née avec le deuxième directeur : Alain Surrans. Et son approche visuelle fortement influencée par l’histoire de l’art. Le vrai changement tient dans le dessin qui reprend l’ouvrage à proprement parler. D’où des affiches qui entrecroisent différents niveaux de lecture. Par exemple, pour The Rake’s Progress, l’aplat jaune est un écrin qui accueille des références à des tableaux et gravures du peintre anglais William Hogarth qui raconte l’ascension d’un jeune homme. L’affiche fait également écho aux jambes d’une des gravures d’Hogarth. Dans cette veine, Lady in the Dark présente un dessin qui occupe toute la page. Quant à Lohengrin, le dessin est davantage centré.
La différence est subtile avec la troisième génération (2010-2019) tient dans le recours au pictogramme. À l’ère d’internet et des réseaux sociaux, les affiches nécessitent d’être modulables, adaptées aux différents supports. Alors que la communication est de plus en plus numérique, le pictogramme est très pratique : une même forme est réutilisable en fonction des supports, ce sont les éléments autour qui changent. Par exemple, dans Carmen, l’image de la femme qui danse, du tambourin, c’est vu et revu. Je voulais parler de Carmen autrement, d’une manière détournée. Aussi ai-je réalisé un Cœur-Tatouage saignant de plumes (de l’oiseau rebelle).
Unidivers – Ce qui conduit à penser qu’une bonne connaissance opératique est nécessaire pour réaliser des affiches originales et pertinentes…
Jérôme Pellerin – En effet, je connais de fait bien le répertoire classique. Moins les opéras contemporains. Quand je ne connais pas l’ouvrage, je m’enquiers du contexte puis j’écoute les musiques, je lis le script, j’essaie d’en capter les codes. Je ne suis pas tout seul non plus, l’opéra garde un œil averti et nourricier sur mon travail.
Unidivers – Quelle est la place du motif dans votre travail ?
Jérôme Pellerin – Central. Je m’inspire des églises, du baroque, des tissus, de la mode, des arts déco… De tout ! J’ai même réalisé des dessins pour des tatouages. Et aussi des motifs destinés à la couture, notamment des costumes !
Unidivers – Quelles sont les trois affiches réalisées pour l’opéra de Rennes que vous préférez ?
Jérôme Pellerin – Monsieur de Pourceaugnac de Molière et Lully – c’est vraiment ma préférée. Le vaisseau fantôme de Wagner, aussi. J’aime beaucoup Wagner. Cette affiche est la dernière que j’ai réalisée pour l’opéra de Rennes. Et elle se rapproche beaucoup de ce que je fais en dessin. Ma dernière affiche préférée, je dirais que c’est Les chevaliers de la Table ronde d’Hervé. C’est une opérette, je la trouve amusante et j’aime beaucoup les templiers. Elle m’évoque plein de choses…
Unidivers – …et trois artistes qui vous inspirent ?
Jérôme Pellerin – En ce qui concerne le graphisme, celui qui m’a le plus inspiré c’est Jason Munn, un graphiste américain qui a travaillé pour des groupes de musique. À ses débuts, il a œuvré sous le pseudonyme de The Small Stakes, avant de signer sous son nom de naissance. Ensuite, Peter Greenaway (Meurtre dans un Jardin anglais, Triple Assassinat dans le Suffolk, Zoo) qui est autant cinéaste, peintre que dessinateur. C’est ma référence absolue depuis trente ans. Enfin, Anthony Goicolea, un extraordinaire photographe, dessinateur et peintre.
Unidivers – Pourquoi avez-vous décidé d’arrêter de travailler avec l’opéra de Rennes ?
Jérôme Pellerin – J’arrivais à la fin de mon contrat et j’ai décidé de ne pas le renouveler. L’envie de voir autre chose, de changer… C’est important pour la maison également qu’il y ait un peu de sang neuf ! Le virage s’est très bien opéra avec les nouveaux graphistes, Jonathan Marçot et Marie Touzet-Barboux. Je trouve leur travail à la fois réussi et différent du mien.
Unidivers – Comment l’idée d’une rétrospective est-elle née ?
Jérôme Pellerin – C’est l’actuel directeur Matthieu Rietzler qui en a eu l’idée peu après son arrivée. J’allais être le graphiste de sa première saison aux commandes tout en sachant que je n’allais pas continuer mon contrat. Matthieu connaissait bien mon travail et m’a proposé de mettre en place une petite rétrospective à la faveur de mon départ. Une simple et jolie manière de conclure 20 années de collaboration !