Il fait froid à Rennes ce soir du 25 février 2015, glacial même pour des Jeunes Gens Mödernes. Mais c’est bien la température idéale pour se replonger dans les années fastes de la Cold Wave française et de la culture Novö (cette métaphysique électrique selon Eudeline et Dantec). Et ce soir-là elle exhume ses (beaux) restes à l’Ubu, forcément à l’Ubu.
Ouvrez vos auditifs canaux ! (Alfred Jarry, auteur de Père Ubu, in Les minutes de sable mémorial)
Il est environ 21h30 lorsque la foule, qui sort principalement de la projection du rockumentaire Des Jeunes Gens Mödernes (voir notre article), se masse dans la petite arène de l’Ubu. Une salle qui se créa, justement, sur les cendres encore chaudes de la scène « möderne » de Rennes. Un bon moyen de se fondre un peu plus dans l’esprit de ce début des eighties. Gilles Le Guen et Jean-François Sanz assurent la sélection musicale avant le début des concerts. C’est donc au son de mythiques chansons telles que « Ice » et consœur que l’on prend place.
Le premier groupe à investir les planches n’est autre que Paris, l’autre formation de Nicolas Ker, leader de Poni Hoax. Pour la petite histoire, le groupe devait au départ s’appeler Dior mais, la marque étant déposée, le groupe doit alors se « rabattre » sur l’autre nom figurant sur la bouteille de parfum : « Paris ».
Le seul instrument à cordes présent sur scène est une simili-Stratocaster de chez EXP. Elle est entourée de machines : synthé, boîte à rythme et séquenceur. On pourrait qualifier cette musique de « post-post-punk » ou « proto french touch » : un son plus lyrique que l’éléctro mais plus moderne que la Cold Wave. Quelques sonorités des Bad Seeds de Nick Cave résonnent sur les mélodies les plus douces, la faute à une guitare aux sonorités bien proche du dernier hit en date du Cave : « Jubilee Street »… Les textes, chantés en anglais, content des histoires brutes à l’image d’un Nicolas Ker d’une sobriété toute relative. Qu’importe ce qu’il raconte entre les morceaux : il livre une prestation relativement classe, haranguant la plèbe (ou plutôt le public) par de grands gestes, s’asseyant devant son pied de micro… Le set se termine par une reprise très mécanique de Sister Ray du Velvet Underground, car : « Oui, on a toujours raison quand on reprend Sister Ray », (ainsi qu’aimait à le rappeler ironiquement Ian Curtis de Joy Division).
Retour de la lumière, tamisée tout de même, et des deux DJ experts es eighties. La salle se remplit un peu plus, la tête d’affiche de cette nuit très « cold » arrive…
C’est donc au tour de Dantzig, « Super-groupe » Cold Wave – Növo made in Rennes, de faire sévèrement swinguer la nostalgie. Et quel plaisir de pouvoir observer ces figures mythiques du rock français plus de 20 ans après leurs derniers faits d’armes ! La liste d’instruments s’étoffe par rapport au précédent set : un batteur, deux guitaristes, un bassiste et un machiniste qui gère les synthétiseurs ainsi qu’un thérémine. Sergeï Papail (ex-Marquis de Sade, leader de Frakture) vocaliste principal du groupe, est formel : « Pas de nostalgie, ce soir on voulait simplement vous montrer ce que l’on pouvait entendre pendant cette période ! » Cette période qu’il évoque, c’est évidemment celle des Jeunes Gens Mödernes, et nous sommes maintenant en plein dedans. En avant vers le passé, sublimé. Les titres de Frakture et de End Of Data résonnent dans l’Ubu, ravivant les vraies sonorités de la Cold Wave (rien à voir avec les tribulations bruitistes d’un bon paquet de groupes de l’époque !).
La formation présente sur scène ce soir est à géométrie variable selon les morceaux : alors que Sergeï reste derrière sa basse et que le batteur demeure fixe, les autres changent de rôle ou partent boire une bière pendant un air … ou deux…. !
Le climax de la soirée arrive en même temps que le titre Conrad Veidt, chanté par l’iconique Philippe Pascal, une des toutes meilleures compositions du groupe rétro-futuriste rennais met l’audience en liesse. Ça sonne comme Television en 77, comme les Marquis de Sade de la grande époque en somme. Les mimiques sont les mêmes, seule la couleur des cheveux a quelque peu changé… On a ensuite droit à deux reprises du Velvet (Sunday Morning et Waiting For My Man) : décidément les anciens Jeunes Gens Mödernes aiment Lou Reed !! Ils osent rappeler, avec une fougue qui a moins changée que la couleur de leurs cheveux, tout ce que la scène française de cette époque devait (doit) au Velvet Underground et à son charismatique leader et compositeur.
Et pour finir en apothéose, rien ne vaut le retour des membres de Marquis de Sade sur scène, pour une version bien Növo de 1970 des Stooges ! Rien que ça ! Le public ne s’y trompe pas, le plaisir est réel dans la salle.
Changement de style pour Violence Conjugale. Pourquoi « Conjugale » ? Personne ne sait, mais pour Violence ! Beat répétitifs, paroles minimales et enragées : tel est le live des germano-bordelais. La salle s’est rajeunie, il n’y a plus que les irréductibles, restés pour terminer frénétiquement leur soirée. Hans Jemappes, le lead singer, fait le boulot comme il faut, tandis que son compère demeure, comme il se doit, roidement campé derrière son Korg. Finalement, c’est surtout leur esthétique et leurs origines qui les rapprochent de la Cold Wave : ces deux-là ont roulé leur bosse à Berlin et, on le sait bien, l’Allemagne par ces imageries expressionnistes et romantiques était assez présente dans la culture Novö.
Tard dans la nuit il fait toujours aussi froid dehors. C’est normal, c’est l’hiver. Mais qu’importe ! L’atterrissage temporel sur 2015 s’amorce tout doucement. Il serait peut-être temps de jeter un coup d’oeil au livre, si fameux et si fantomatique, Novövision d’Yves Adrien. Les Jeunes Gens Mödernes, ces éternels rétro-furturistes, ne sont finalement pas si loin…