Le monde la presse est en crise. On ne cesse de l’entendre. Les ventes de journaux papier sont en baisse et beaucoup de lecteurs décrient la banalité des contenus et le matraquage médiatique des grands médias subventionnés par l’Etat. Parmi ce paysage fort peu avenant, la revue XXI a fait depuis cinq ans un pari à contre-courant des tendances journalistiques actuelles. Relativement onéreuse (15,5€), sans publicité et à parution trimestrielle, la revue indépendante privilégie les articles longs et les reportages de terrain, alors que la priorité est trop souvent donnée aux informations immédiates et aux articles courts dans le reste de la presse. Patrick de St Exupéry et Laurent Beccaria, co-fondateurs de la revue XXI et de la revue 6 mois, étaient aux Champs libres de Rennes mercredi 18 septembre pour présenter leur vision du journalisme indépendant. Dans une salle majoritairement composée de représentants de la profession journalistique, les deux intervenants ont répondu aux questions de leur confrère Yvon Lechevestrier et d’un public venu en nombre.
Genèse de la revue XXI
L’histoire de la revue XXI, c’est d’abord celle de la rencontre entre deux hommes et de leurs univers. Laurent Beccaria, venu du monde de l’édition, et Patrick de St Exupéry, ancien grand reporter pour de nombreux journaux réputés, notamment Le Figaro. C’est aussi l’histoire d’un rêve, celui de faire du journalisme autrement. Les deux hommes ont des parcours différents ; c’est autour du projet d’un ouvrage sur le génocide rwandais qu’ils se sont rencontrés. Pour Patrick de St Exupéry, qui fut témoin en tant que reporter des atrocités commises au Rwanda, le génocide est peut-être l’expérience humaine la plus complexe à raconter – en supprimant les hommes, on supprime les mots. La maturation de cette expérience lui donnera le goût d’un journalisme plus lent, qui sait prendre son temps pour poser des mots justes et moins expéditifs dans sa manière de raconter les événements. La réflexion le mènera jusqu’à un livre sur le génocide (la première parution date de 2004 et s’intitule : « L’inavouable, la France au Rwanda », elle a été suivie d’une deuxième édition en 2009 avec un nouveau titre : « Complices de l’inavouable ») et à la création de la revue XXI, aux côtés de Laurent Beccaria qui partage son analyse du journalisme, tout en y apportant son expérience du monde éditorial.
La définition d’un « autre journalisme »
Pour présenter ce qu’est le journalisme pour les deux fondateurs de la revue, il faudrait commencer par présenter ce qui n’est pas du journalisme, selon eux. Certaines personnalités hautement médiatiques et médiatisées se sont faites au passage plus qu’égratigner. Christophe Barbier, qui fut la grande victime de la soirée, s’est vu reprocher son manque d’ancrage dans la réalité. Ses prises de position opportunistes ont été dénoncées, car elles seraient symptomatiques d’une certaine manière de faire du journalisme sans ancrage dans la réalité. Le formatage des médias et leur propension à faire des avalanches médiatiques sans lendemain ne correspondent pas à la conception du journalisme porté par les intervenants. À l’inverse, la revue XXI souhaite promouvoir un journalisme de terrain, davantage distancé et prenant le temps de lier les événements entre eux plutôt que de les éparpiller. Pour ces journalistes, il faut savoir s’extraire du flux d’actualités pour aller dans la profondeur de l’analyse. Le mot d’ordre qui figure sur le manifeste distribué avec le dernier numéro de la revue est : « Un autre journalisme est possible ». C’est lui qu’ont tenté de mettre en œuvre Laurent Beccaria et Patrick de St Exupéry. Les sujets traités dans la revue ne sont pas ainsi le fruit d’un comité de rédaction, ils sont choisis parmi les propositions qui arrivent quotidiennement dans la boîte mail du journal. Il s’agit de travailler au « coup de cœur ».
Le grand débat qui a animé la séance de questions-réponses avec le public tournait autour de la réalité de l’impact et de la puissance de transformation des articles sur le cours du monde. Alors que les intervenants ne cachaient pas leur réserve, d’autres avis ont souligné le rôle de quatrième pouvoir des médias. Les deux avis, bien que divergents, n’étaient pas antagonistes : les uns mettant l’accent sur la place du journaliste, les autres sur la place du lecteur, reléguant le journaliste à un simple passeur d’informations, dont le lecteur peut s’emparer pour changer les choses.
Les enjeux du journalisme actuel
Au cœur du débat sur le journalisme actuel se trouvent deux problématiques : la place grandissante du numérique et la crise actuelle de la presse, notamment écrite. En matière de crise de la presse écrite, le succès de la revue XXI – qui fut bénéficiaire dès le premier numéro – vient contredire tous ceux qui enterrent les médias papier sous les gravats du numérique. Il n’en reste pas moins que les grands quotidiens ont du mal à conserver leur public. Plutôt que d’accuser le numérique de concurrence déloyale, du fait de sa gratuité pour l’utilisateur, il serait sans doute pertinent de s’interroger sur les fondements du journalisme comme le font les nouveaux médias émergents, notamment Unidivers. D’un autre côté, la place grandissante du numérique vient elle-même questionner la notion de journalisme. Toutefois, une conception fondée sur la qualité portée ne semble pas en soi entrer en contradiction avec la croissance des technologies numériques. Le débat autour du support – numérique, papier ou même télévisuel et radiophonique – serait finalement un faux débat. Ce qui prime, c’est la qualité et l’honnêteté de l’information donnée. Et il convient de définir d’entrée, que l’on soit journaliste, lecteur ou spectateur, l’information que l’on souhaite voir transmettre et recevoir. A suivre et à lire…
Chloé Rébillard