L’exposition actuellement en place au Centre Claude Cahun de Nantes, Celle qui reste de Juliette Parisot, reste visible jusqu’au 23 mars. L’artiste présentera son travail lors du finissage, le vendredi 22 mars de 16h30 à 19h.
“Comment la photographie peut-elle aider à surmonter une épreuve ? Comment garder une trace des êtres chers ? Comment s’arranger avec l’absence? Cette question occupe l’histoire des images depuis le début, quand les mains négatives, dans les grottes paléolithiques, se faisaient les traces d’êtres passés. L’image raconte l’absence, ce que le temps fait de nous et des choses, ce que le temps impose à la fureur de vivre.
L’image comme représentation du monde rend de nouveau présent. Voilà la force et la violence des images et de ce qu’on les fait être. Seulement ici : dans ce projet que Juliette Parisot nomme « M », l’image et son concept sont retournés comme des gants. Les images de Juliette ne sont pas une représentation du monde ou d’individus, elles présentent le néant et le donnent à toucher.
C’est dans l’écart avec ce qu’elle représente que l’image de Juliette Parisot transforme, invente, construit et constitue aussi le sujet qu’elle donne à voir. Entre représentation de la figure humaine et traces de la mort, la pratique du portrait que met en scène Juliette pose la question de l’imitation des modèles véhiculés par notre culture, qui articulent reconnaissance et imaginaire. Car avec cet ensemble de séries qui forme un tout, Juliette Parisot, engage les images dans une lutte où l’espoir n’a pas de place. Ce qui reste c’est l’absence, l’image fantôme ne comble pas, ne remplace pas, elle souligne, elle matérialise le vide.
Entre auto-portraits et portraits des êtres qui manquent, Juliette modèle la lumière pour donner une place au vent et à la béance. Ses auto-portraits dans l’ombre où l’on devine à peine la forme d’un corps et les gestes qui supportent un enfant qui n’est pas là, donnent à voir ce que l’image ignore: tout ce qui se cache derrière la surface d’un corps en douleur. Dans une vidéo, des mains plient et lissent des petits vêtement d’enfant, autant de tâches quotidiennes qui ne se feront pas ou plus, rien n’est dit, tout est là : le silence occupe la vacance de l’espace. Dans une grille photographique enfin, le vent gonfle un foulard ou un lange et trace une partition dans un ciel rayonnant, ces signes ne disent rien du néant, ils jouent avec.” Emilie Houssa
ENTRETIEN – Propos recueillis par Yolande Mary, co-directrice du Centre Claude Cahun.
Nous nous sommes rencontrées à Arles en 2021, j’ai été émue et touchée par ton histoire personnelle et la forme artistique que tu lui donnais. Tout était lié et prenait corps dans tes images : La perte de deux êtres chers. Pourrait-on dire de ton travail qu’il est une conjuration ou un apaisement ?
À l’automne 2020, j’ai perdu ma mère et ma fille Milo, à deux mois d’intervalles, des suites d’erreurs médicales. J’ai été victime d’un HELLP syndrome qui est une complication fulgurante de la grossesse attaquant tous les organes vitaux. La seule manière de survivre pour la mère et l’enfant est un accouchement en urgence. Ma fille, grande prématurée, est décédée au sixième jour en néonatalogie. Le passé et l’avenir se sont annulés.Il n’y avait pas de mots et je photographiais ce qui me renvoyait à un champ de ruine intérieure. Les autoportraits dans l’obscurité ont été réalisés quelques mois plus tard. Comment montrer ce vide, cette douleur ? Comment parler du tabou du deuil néonatal ? La cicatrice de ma césarienne apparaît comme un indice. Puis sont venus les autoportraits en pleine lumière à propos de ma mère. Habillée de ses vêtements, je me fonds en elle pour rejouer la fusion. Ces deux séries m’ont permis d’être avec elles, de parler d’elles. Je suis celle qui reste, qui flotte entre la disparition de ma mère et de ma fille. La photographie me permet de glisser dans un espace sensible. Elle est mon langage et me permet de dire le manque, l’absence, la douleur, mais aussi célébrer.La photographie m’a aidé à réaliser ce qu’il s’était passé. Elle a été dans ce moment un lien avec la réalité, à la fois mon interprétation et une preuve. J’ai continuellement besoin de photographier pour comprendre. Pour faire exister ? Elle me permet de révéler l’injustice que j’ai subie et de me battre contre l’irrémédiabilité de la mort. C’est un lieu de résistance. Mon cerveau de photographe a pris la relève dans ces moments insoutenables. Pouvoir travailler sur ce qu’il s’est passé m’a aidé à survivre et d’une certaine manière à passer du temps avec elles.
Tu as utilisé trois médiums : photo, collage et vidéo pour ce travail. Peux-tu nous expliquer pourquoi ?
L’image a le pouvoir de témoigner, d’exprimer des idées. Le thème de la maternité est universel mais il faut donner des indices pour que chacun puisse comprendre le travail et s’emparer du sens avec son bagage. Les collages sont réalisés avec de la couverture de survie, matériel qui possède de fortes qualités : sa couleur dorée, son pouvoir réflecteur, sa légèreté. Mais il véhicule aussi le symbole du monde humanitaire et médical. J’ai découpé les formes exactes de vêtement d’enfant ayant appartenu à ma mère, moi et le seul habit de Milo, comme un négatif, une empreinte du vide. C’est à la fois une image vivante et morte. Elle renvoie au soleil et à la tragédie. Ce seul matériel me permet d’exprimer l’ambiguïté de ces absences, ma projection en tant que survivante sur ma mère et ma fille à travers le temps aux mêmes âges. Avec la vidéo, j’introduis le temps à un autre niveau. Mes mains reboutonnent des vêtements d’enfant à l’infini, ceux de ma mère, qui n’ont pas vu le jour depuis 60 ans. Ce que laissent les êtres aimés devient un fil invisible entre eux et nous.
Comment conçois-tu l’évolution de ton travail ? Envisages-tu une suite à ce travail ?
Ce travail est le premier qui parle explicitement de moi. Ce parcours personnel sinueux illustre à travers mon regard des thèmes de société et des questions universelles. La maternité est jalonnée de tabous et de combats qu’il faut sortir de l’invisibilité.
Trois ans plus tard, ces événements ne cessent de m’interroger dans la vie quotidienne et dans mes recherches artistiques.
Je réalise actuellement un travail sur ma mère et la mémoire. Parallèlement, j’ai récemment envisagé une nouvelle maternité et commencé un parcours PMA. Je remets en jeu la question de la maternité et commence à interroger cette nouvelle étape de ma vie à travers mes recherches plastiques. Ce projet permet de transcender un quotidien médical brutal, long et frustrant. L’investiguer par la voix créative permet de le voir autrement pour ceux qui le vivent et de le découvrir pour d’autres. Le désir est créateur. Quel est ce nouveau corps de femme du XXIe siècle qui construit sa propre trajectoire maternelle ?
BIOGRAPHIE
Née à Lyon en 1986, Juliette Parisot y vit. Étudiante à l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne, elle obtient une licence mention Arts-Plastiques. Elle étudie ensuite la photographie dans une école à Paris. Elle est aujourd’hui photographe pour le théâtre et plasticienne.
EXPOSITIONS COLLECTIVES
Photo Doc., Les Blancs Manteaux, Paris, du 10 au 12 mai 2019
Omnibus Circus, Hôtel de Sauroy, Paris, 10 mars au 29 avril 2018
Photographies, avec Aurélie Froussard et Estelle Jourdain, Villa Balthazar à Valence, 14 septembre au 7 octobre 2017
EXPOSITIONS PERSONNELLES
L’Heure Bleue, Galerie Delacroix de l’Institut Français de Tanger, Maroc, 1er février au 4 avril 2018 En compagnie. Portraits, L’Etable de la Compagnie des Petits Champs, septembre 2016
INFORMATIONS PRATIQUES
Centre Claude Cahun
45 rue de Richebourg 44000 Nantes FRANCE +33 (0)9 52 77 23 14 www.centreclaudecahun.fr