AU TNB, UN JULIUS CAESAR DIALECTIQUE, SYMBOLIQUE ET CRÉPUSCULAIRE

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Jeudi 5 octobre 2017, le TNB de Rennes débutait le programme de sa saison 2017/2018 (voir notre article) par la première représentation de la pièce de théâtre Julius Caesar (Jules César) de Shakespeare mise en scène par Arthur Nauzyciel himself. Le nouveau directeur du TNB et metteur en scène a décidé de mettre la barre haut avec ce (quasi) grand moment de théâtre dialectique, symbolique et crépusculaire qui annonce une année de qualité. Alea jacta est !

Il fut ainsi percé de vingt-trois coups : au premier seulement, il poussa un gémissement, sans dire une parole. Toutefois, quelques écrivains rapportent que, voyant s’avancer contre lui Marcus Brutus, il dit en grec : Et toi aussi, mon fils ! (Suétone)

Créée en 1599 pour l’ouverture du Globe Theatre à Londres, Julius Caesar (Jules César) est la première d’une série de grandes tragédies. Shakespeare l’écrit à un moment décisif de l’histoire de l’Angleterre : la révolte d’Essex contre Elizabeth 1re. Le thème en est la déposition d’un souverain autocrate en voie d’apothéose. Tandis que Jules César œuvre avec son entourage à être couronné roi par le Sénat, il devient une menace pour la République (c’est la thèse historique de Plutarque et Suétone). L’assassinat politique par de nobles romains est à leurs propres yeux justifiés par le motif d’empêcher Rome et la République d’être définitivement assujetties au pouvoir absolu du grand César. Mais la prise en main de la destinée du corps politique par ces hommes s’inscrit dans la grande histoire, autrement appelée destin (fatum), et met en place un ensemble de motifs psychologiques et rhétoriques. Maîtrise, destin, responsabilité et droit d’agir au regard du cours du monde – autant d’axes mis ici en lumière et en mouvement par Shakespeare avec éloquence.

Jeudi 5 octobre 2017, le TNB était plutôt bien rempli pour assister à la première de Julius Caesar mis en scène par Arthur Nauzyciel en version originale. La langue tragédienne de Shakespeare – traducteur sagace de l’âme humaine en proie à ses passions et destinées – à la fois précise et riche, abrupte et souple – était doublée d’un sous-titrage à l’attention du public non anglophone. Un dispositif qui aura dérouté certains spectateurs au long des quelque 3 heures que dure la représentation.

Le décor conçu par Riccardo Hernandez – habilement servi par Scott Zielinski à la lumière – est un écrin pour la chorégraphie de Damien Jalet. La scène devient à la fois un théâtre (fermeture panoramique), un huis clos (sartrien), une arène (post-romaine). Les artifices techniques sont à la fois économes et inventifs. L’ensemble de la mise en scène constitue un ensemble texte-jeu-images (verbe-expression-icônes) dialectique, cohérent, efficace. Mention spéciale.

Le jeu des acteurs est égal, et dans l’ensemble plutôt très bon malgré de loin en loin un manque de souplesse dans le statisme des corps et de pénétration dans le verbe. César (joué par Dylan Kussman*) est très bien campé : divin général autocrate qu’on imagine de tout temps : passé, présent et futur.

Quant à Brutus (joué par James Waterston*), aimé de César comme un fils, son élocution et son jeu excellent lors du rendez-vous vespéral des conjurés ; malheureusement, ils faiblissent un peu par la suite. Si le comédien qui interprète Brutus incarne une figure de la pureté révolutionnaire, il y a une différence d’expression, fine, mais bien réelle, entre être enflammé par des idéaux de liberté et être transporté par des exaltations adolescentes.

Marc-Antoine (Daniel Pettrow*) présente un jeu constant et pénétré auquel manque un soupçon d’intensité. Intensité qu’il atteint lors de la présentation de la dépouille de César au peuple de Rome. Ce fameux passage est servi par une mise en scène à l’avenant : le manteau de César figurant sa dépouille, Brutus fait face à Marc-Antoine qui harangue à l’aide d’un micro de speaker les spectateurs du TNB et, en arrière-scène (où s’étire le poster d’un théâtre éclairé, mais vide), le peuple romain dont on perçoit l’indignation montante. Après le discours de Brutus fondé sur l’idéal républicain, l’orateur Marc-Antoine recourt à une rhétorique sentimentale pour dresser la foule. Difficile de ne pas penser à l’analyse des médias par McLuhan : médias froids et médias chauds, expansion immodérée des motifs émotionnels dans le discours (politique), rhétorique sophistique et sentimentale.

La lecture symbolique est un élément constituant de la mise en scène de ce Julius Caesar par Arthur Nauzyciel. L’arrière-scène prolonge et clos le théâtre par un grand poster représentant une salle de théâtre vide dont tous les fauteuils ont leurs assises rabattues sauf l’un d’eux : ce fauteuil aux deux tiers déplié, mais vide peut faire écho aussi bien à la présence et à la disparition des spectateurs, acteurs et auteur, au caractère transhistorique de la tragédie, à la figure de l’éternel témoin de l’histoire. Témoin du drame de l’histoire qui se retrouve dans la plupart des scènes incarnées par un comédien muet et souvent immobile. Quant à la réunion des conjurés chez Brutus, elle est fortement ritualisée à travers des gestes, signes et dé-placements. On sent planer l’esprit des Carbonari. Par contre, il est affirmé à la fin de la pièce que César aurait été poignardé de 33 coups de couteau – faisant ainsi de lui une bien surprenante figure préchristique ; la tradition rapportée s’accorde en fait sur 23 coups (voire 24 si l’on additionne le dernier porté par Brutus).

Bref, tout concourt à une première partie (1h50) exceptionnelle, jusqu’à l’intervention de musiques bien adaptées – ou bien en arrière-fond durant certaines scènes ou en direct par un trio de jazz installé à l’avant-gauche de la scène – qui viennent accompagner et ponctuer en contrepoint la charge dramatique. Malheureusement, une fois l’adresse à la foule de Marc-Antoine passée, l’intensité décroît et la seconde partie (1h10) s’avère moins captivante. Sorte de conclusion étirée de la première partie, elle accuse une carence de ressort et de dynamisme.

Cet inattendu affaiblissement interroge autant la pertinence du moment choisi pour la coupure de l’entracte (voire de sa durée) qu’un recours supérieur à des ressorts et artifices (musicaux, scéniques, chorégraphiques…). Cela étant, il est possible qu’Arthur Nauzyciel ait eu pour intention de féconder une atmosphère et une dimension crépusculaires dans cette seconde partie (afin de brouiller les limites du passé et du présent, de la fiction et du réel). Mais les conditions n’étaient pas toutes réunies pour que la chouette de Minerve s’envole à la nuit tombée…

Ces quelques bémols peuvent sans doute être mis au compte du redémarrage de cette pièce (après 9 ans de relâche) et ne sauraient gâcher la mise en scène dialectique, symbolique et crépusculaire d’Arthur Nauzyciel qui sert avec puissance et pertinence la tragédie de Shakespeare.

Et, certes, un problème demeure : Robespierre ou Saint-Just ? Le premier croit à la pureté et se veut pur. Le second se veut pur aussi, mais sans y croire. Et ce n’est pas, durant les heures qui précèdent leur mort, la fierté ou l’orgueil de leur commun silence qui fond l’un dans l’autre ces deux hommes. On peut pénétrer dans le stoïcisme de Robespierre, on ne le peut pas dans celui de Saint-Just. Étendu sur la table qui lui sert de civière, raidi dans la misérable souffrance de sa mâchoire brisée, il est donné au premier de mesurer enfin son utopie. Faire tenir ensemble une volonté de puissance et un idéal de pureté, éternel sacrilège. Robespierre se tait parce qu’il s’est trompé. Sa mort l’éclaire, mais elle trahit sa vie. Rien de tel chez Saint-Just. Sa mort le confirme à lui-même. Il la reconnaît, telle qu’il l’a regardée en face depuis toujours, banalement présente à chaque instant d’une vie dont il n’a jamais rien attendu d’autre que les surprises du jeu. (Abellio, La fosse de Babel)

JEUDI 05 OCTOBRE 20h00, VENDREDI 06 OCTOBRE 20h00, SAMED, 07 OCTOBRE 20h00, LUNDI 09 OCTOBRE 20h00, MARDI 10 OCTOBRE 20h00, MERCREDI 11 OCTOBRE 20h00, JEUDI 12 OCTOBRE 19h30, VENDREDI 13 OCTOBRE 20h00, SAMEDI 14 OCTOBRE 20h00, TNB salle Vilar, Durée 3h20, avec entracte, Spectacle en anglais, surtitré en français.

* Si le site du TNB cite en file indienne le nom de comédiens, nulle indication précise qui joue qui… Regrettable omission. Merci à Simon Fesselier d’avoir posté un commentaire à la fin de cet article avec les trois principaux rôles : Jules César : Dylan Kussman, Brutus : James Waterston, Marc-Antoine : Daniel Pettrow.

Texte
WILLIAM SHAKESPEARE
Mise en scène
ARTHUR NAUZYCIEL
Décor
RICCARDO HERNANDEZ
Lumière
SCOTT ZIELINSKI
Costumes
JAMES SCHUETTE
Son
DAVID REMEDIOS
Chorégraphie
DAMIEN JALET

Avec SARA KATHRYN BAKKER DAVID BARLOW LUCA CARBONI JARED CRAIG ROY FAUDREE ISMA’IL IBN CONNER ISAAC JOSEPHTHAL MICHAEL LAURENCE RUDY MUNGARAY DANIEL PETTROW TIMOTHY SEKK JIM TRUE-FROST JAMES WATERSTON et le trio de Jazz MARIANNE SOLIVAN chant ERIC HOFBAUER guitare DMITRY ISHENKO contrebasse

Photo : Frédéric Nauzyciel »
TNB JULIUS CAESAR

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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