Téléréalité de Valérie Rey-Robert ou télé-sexisme ?

Valérie Rey-Robert a publié Téléréalité : La Fabrique du sexisme aux éditions Insolentes au printemps 2022. L’autrice et militante féministe analyse par le prisme du sexisme les mécanismes de ces productions en vogue sur nos écrans. Elle montre comment chacune alimente une image caricaturale de la femme et banalise les clichés sexistes. Dans le cadre des mardis de l’égalité, l’essayiste sera présente au Tambour de l’Université Rennes 2 mardi 7 mars 2023, à 17 h 30.

« Moi, ce que j’aime, c’est Les Marseillais. » Valérie Rey-Robert est spectatrice de téléréalité. L’autrice, militante féministe et créatrice du blog Crêpe Georgette l’annonce dès la première page, c’est d’ailleurs une des raisons qui l’a incitée à écrire Téléréalité : La fabrique du sexisme. Le titre parle de soi : ce petit plaisir personnel ne l’empêche pas d’avoir conscience des mécanismes à l’origine de ce type de programmes, qui ne cesse de nourrir une vision stéréotypée et inégalitaire des rapports entre femmes et hommes…

fabrique du sexisme

Souvent cataloguée comme un programme dont le principal intérêt est de pouvoir débrancher temporairement son cerveau, la téléréalité fait débat. Elle déchaîne les passions autant qu’elle s’attire les foudres de la population française. Qu’elle soit méprisée ou adorée, on ne peut nier qu’elle a depuis plusieurs années le vent en poupe. Mais avant toute chose, comment définir la téléréalité et qu’englobe-t-elle ? Selon la définition du Conseil supérieur de l’audiovisuel, ce terme définit les « émissions qui placent des participants, anonymes ou pas, dans des situations artificiellement créées pour le programme, dans le but d’observer leurs réactions et de susciter l’émotion ainsi que la participation des téléspectateurs ».

L’autrice étudie cette mécanique qui a débarqué en France à la fin des années 1980 avant de connaître un léger déclin dans les années 1990, puis une explosion de popularité au début des années 2000. Qui ne se souvient pas de l’arrivée en fanfare sur nos petits écrans de la première édition en 2001 de Loft Story, succès télévisuel digne des plus grands blockbusters ? Un œil inquisiteur et voyeur comme logo, référence au célèbre Big Brother de 1984 de George Orwell (1948), résumait alors parfaitement le concept : un groupe d’inconnus célibataires était enfermé pour plusieurs semaines dans une maison truffée de caméras, sous le regard des spectateurs et spectatrices qui observaient leur quotidien sept jours sur sept…

La téléréalité a depuis évolué et est devenue incontournable dans le paysage télévisuel français. Plus d’une dizaine de programmes de téléréalité sont aujourd’hui régulièrement diffusés sur nos écrans : coaching et relooking (Incroyables Transformations), concours (Top Chef, Star Academy), émissions autour de l’amour (L’Amour est dans le pré), programmes de vie collective (Les Marseillais, Les Anges), de vie quotidienne (Mamans et célèbres), de réalité scénarisée (Au nom de la vérité), etc. Le terme ne désigne plus simplement une émission où le public regarde vivre des inconnus, les personnes incarnent des personnages qui sont généralement mis en scène dans telle ou telle situation. À l’instar des séries de fiction, les candidats et candidates de ces programmes de vie collective reviennent chaque saison, comme dans Les Anges, émission dans laquelle on suit la vie de personne devenues célèbres grâce à la téléréalité. Et dans ce casting, pour la majorité, la féminité et la masculinité sont incarnées de manière à répondre à une hétéronormativité (expression utilisée pour décrire ou identifier une norme sociale liée à un comportement hétérosexuel normalisé) et à des injonctions de beauté qui nuisent à la société et à l’inclusion.

Loin de remettre en question son existence, l’essayiste pose un regard critique sur ce type d’émissions qui, derrière ses allures de divertissement, sont devenues un instrument politique au service d’une pensée conservatrice et patriarcale, ainsi qu’un modèle qui influence plus qu’on ne le pense les comportements de la “vraie vie”. « On s’inquiète des conséquences de ce qu’il est convenu d’appeler “la télépoubelle”. On se désole de l’abrutissement des masses, on s’alarme de la déliquescence morale de la société, comme si le problème se limitait au manque d’intérêt intellectuel de ces programmes. » Car malgré la diversité des programmes, les mêmes problématiques ressortent : les femmes sont hypersexualisées, la nudité est excessive, les injures et discriminations sexistes fusent, etc. Le Haut-Conseil à l’égalité homme-femme avait d’ailleurs été sans appel en 2020, dans sa deuxième édition du « rapport annuel sur l’état du sexisme en France » : les programmes de divertissement sont une machine à fabriquer du sexisme. Un constat que Valérie Rey-Robert prolonge dans un travail d’analyse précis, quasi sociologique.

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« Auparavant être belle et mariée à un homme n’offrait aucune garantie de succès professionnel ; aujourd’hui, on inculque l’idée que capitaliser sa beauté et ses amours hétérosexuels est un placement sûr et rentable. »

Téléréalité : La fabrique du sexisme de Valérie Rey-Robert, éditions Les Insolentes.

Ce n’est pas un secret, vous vous en doutez, la femme en prend pour son grade… Comme le souligne Valérie Rey-Robert, « le genre se construit en opposant hommes et femmes, en valorisant les premiers et en dévalorisant les secondes ». Dans les programmes de vie collective, même aspiration professionnelle ne signifie pas forcément même traitement à l’image… Dans la saison 12 des Anges (2020), Tiffany veut devenir actrice, tout comme Jonathan. La première est présentée en maillot dans une piscine, le second en costume… Rien de choquant là-dedans ? De même, les femmes porteront généralement des vêtements très moulants, peu couvrants et passeront des heures à se maquiller et à se coiffer. Le corps des femmes est ainsi passé au crible, sujet aux pires jugements, de la part des spectateurs et spectatrices, mais aussi des candidats et candidates. « Il faut donc maigrir et le faire bien, mais pas trop non plus, sans quoi il faudra sans cesse prouver que l’on n’est pas anorexique. En somme, se conformer à des injonctions souvent contradictoires… » Sont critiquées celles qui ne rentrent pas dans les normes de beauté, de féminité et celles qui font tout pour y être. Sarah Fraisou, révélée dans Les Princes et les princesses de l’amour et critiquée pour son poids, « s’est évertuée à en perdre. Problème : elle ne l’aurait pas fait de la “bonne façon”, puisqu’à travers une sleeve », technique consistant à réduire l’estomac…

De même, les programmes de coaching et relooking prétextent travailler pour le bien-être de la personne, mais incitent en réalité les femmes, par la transformation de leur apparence, à entrer dans des normes standardisées. Parmi eux, Incroyables Transformations pourrait être nominée pour la palme d’or de la meilleure émission de relooking qui rabaisse les personnes “en détresse”.

Le principe : une personne fait appel à un juré composé d’un coiffeur, d’une maquilleuse et d’une styliste pour relooker un proche qui « s’est laissé aller ». La pratique : la candidate est “gentiment” lynchée par les jurys, car elle ne s’inscrit pas dans les normes de beauté de la société. À l’écoute des propos des jurys sont alors interrogées les notions de bienveillance et de consentement. « Le montage de l’émission, les propos des coachs et de l’amie laissent en effet tous entendre aux spectateurs et spectatrices que les femmes qui s’habillent de façon sexy méritent d’être harcelées », souligne Valérie Rey-Robert à propos d’une candidate qui s’habillait « trop » sexy. Ou concernant une deuxième atteinte de paralysie faciale : « Un chirurgien plastique viendra donc lui faire des injections d’acide hyaluronique sans qu’on sache réellement si elle le désirait profondément ou si elle l’a fait pour ne plus avoir à supporter les insultes et réflexions de la part de sa famille ».

Derrière ces émissions se cachent « des mécaniques, des choix de production, des enjeux économiques très importants ainsi que des partis pris idéologiques et politiques » qui valorisent l’hyperféminité des candidates et l’ultramasculinité des candidats. Les premières sont dévalorisées, les seconds valorisés. Et au-delà des participants et participantes qui concourent certes à banaliser un schéma façonné par une société patriarcale, l’autrice interroge les émissions qui contribuent, par la scénarisation des scènes et leur montage, à conserver une vision binaire et stéréotypée des genres.

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Pour autant, Valérie Rey-Robert ne cherche pas à diaboliser la télé-réalité, « elle n’est ni plus ni moins sexiste que bien des productions culturelles ». Et l’apparition récente des émissions de téléréalité qui promeuvent l’inclusion et valorisent les communautés minoritaires peut entraîner, peut-être, un changement dans les productions, car c’est ce dont il s’agit réellement au final. Parmi elles, l’émission Drag Race France, basée sur la série télévisée américaine RuPaul’s Drag Race et apparue sur nos écrans fin 2021. Véritable succès, ce concours de drag queens pendant lequel est sélectionnée la « prochaine grande reine du drag français » entrouvrira peut-être une nouvelle porte dans l’évolution de la téléréalité…

Mardi 7 mars 2023 à 17h30, rencontre avec Valérie Rey-Robert, Téléréalité : la fabrique du sexisme, au Tambour de l’Université Rennes 2.

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