L’excision ? Une pratique barbare. Tout le monde en convient. Voilà pour le discours officiel dans la plupart des pays où elle est (était) pratiquée. Mais dans la réalité, il en va tout autrement : l’excision est, dans certaines régions, une tradition fermement ancrée dans les usages et mentalités et, paradoxalement, entretenue par les femmes. Cette ambiguïté, Camille Sarret a voulu la comprendre puis la filmer. Un documentaire est né : La forêt sacrée. Rencontre avec la réalisatrice.
Unidivers : Comment vous est venue l’idée de ce voyage au pays de femmes africaines ?
Camille Sarret : Dans le cadre d’un travail pour TV5 monde, j’ai eu l’occasion d’interviewer Martha Diomandé, descendante d’exciseuses en Côte d’Ivoire, prof de danse à Rennes et excisée à l’âge de 8 ans. Frustrée de ne faire qu’un sujet de 2 minutes, j’ai voulu aller plus loin et d’abord au pays de Martha, en sa compagnie.
U. : Et en passant par la case production !
Camille Sarret : Oui, en l’occurrence, à Rennes j’ai eu la chance de rencontrer Sabine Jaffrennou,de Vivement lundi qui m’a fait confiance.
U. : Vous voilà partie dans le village de Martha, un vrai « voyage en terre inconnue »
Camille Sarret : Une immersion totale dans l’Afrique profonde. Un village aux maisons en banco où les hommes palabrent, où les femmes travaillent aux champs. J’y suis arrivée avec Claudie Robert, sage-femme française. C’était bien d’avoir un regard médical d’occidentale, différent et distancié par rapport à celui d’une Africaine.
U. Marta fait un « pont » magnifique entre les deux cultures…
Camille Sarret :. : Oui, car il n’est pas question d’imposer un point de vue. Le sujet de l’excision ne revêt pas que l’aspect de la sexualité. Il est tabou… et concerne plus de 125 millions de femmes dans le monde !
U. : Il faut quand même rappeler qu’elle est interdite par la loi ivoirienne depuis 1998 !
(NDLR: La loi n°98/757 promulguée le 23 décembre 1998 prévoit que toute atteinte à l’intégrité des organes génitaux d’une femme, par voie de mutilation totale ou partielle, excision, désensibilisation ou tout autre pratique, si elle s’avère sanitairement néfaste, est passible d’une peine d’emprisonnement de un à cinq ans et d’une forte amende – de 360 000 à 2 millions de FCFA, soit environ de 550 à 3 060 euros ; malgré cela, le taux de prévalence de l’excision en Côte d’Ivoire démontre que les populations restent attachées à leurs traditions. La répression a donc ses limites comme moyen de lutte contre l’excision.)
Camille Sarret : Imaginez, un pays où les femmes elles-mêmes sont convaincues que « les filles non excisées sont impolies, irrespectueuses et ne trouveront pas de mari », la loi est sans effet. Sauf quand il y a répression. Mais comme elle est annoncée dans les médias, il y a une vague d’excisions juste avant ! Martha m’a dit qu’un de ses oncles, haut fonctionnaire, la condamne en public, mais l’approuve en privé !
U. : Ce film démontre que le combat doit s’appuyer sur les matrones elles-mêmes et leurs acolytes [NDLR : termes utilisés pour les exciseuses et leurs assistantes]
Camille Sarret :. : Oui. Il faut comprendre la culture et la sociologie locales. Ces femmes sont des notables. Elles ne touchent pas forcément d’argent pour ce « travail », mais reçoivent beaucoup de cadeaux.
U. : Alors, comment sortir de ce cercle vicieux ?
Camille Sarret : En leur laissant jouer un autre rôle dans la société. C’est tout l’enjeu du projet de Martha qui a lancé la construction d’une « maison des femmes » où s’effectueront le suivi de grossesse et l’accouchement – qui se passe encore à la maison. Elles pourront continuer à y prodiguer leurs conseils et la vente de produits à base d’herbes et d’huiles locales, car elles en connaissent un sacré rayon en pharmacopée traditionnelle.
U. : On voit dans votre film la construction de ce centre [effectuée surtout par les femmes elles-mêmes, d’ailleurs !]. Où en est-il ?
Camille Sarret : La case est terminée. Les travaux en sont au stade de l’électricité. L’inauguration est prévue en avril 2016.
U. : Vous irez à Kabakouma pour l’occasion ?
Camille Sarret : Si mon travail au sein de l’ONG Coalition Plus m’en laisse la possibilité, oui, bien sûr !
U. : Au fait, pourquoi ce titre ? Rien à voir avec le Gazon maudit ?
Camille Sarret : [Rires] C’est le nom de la forêt proche du village où on emmène les fillettes se faire exciser loin du regard des mères… qui attendent leur retour pour les festivités d’usage. Martha y est allée l’année de ses huit ans.
La forêt sacrée Camille Sarret et Martha Diomandé, Côte d’Ivoire, 2015, 52 min.
Vivement Lundi en coproduction avec TVR 35 Bretagne
Avec le soutien du Centre National du Cinéma et de l’image animée,
de la Région Bretagne, de la Procirep et de l’Angoa.
Diffusions sur TVR 35: le 20 octobre à 20 h 45 et 23 h, le 21 octobre à 10 h, le 24 octobre à 15 h et 23 h. Une édition DVD devrait voir le jour en décembre prochain.
Réalisation : Camille Sarret
Image : Sarah Blum
Prise de son : Maude Gallon
Montage : Denis Le Paven [seul homme de la bande, mais un travail salué par toutes!]
Montage son et mixage : Corinne Gigon
Production : Sabine Jaffrennou
Depuis 15 ans, Martha Diomandé vit à Rennes, où elle a créé ACZA [Association culturelle zassa d’Afrique] : « En Europe, la vision de l’excision n’est pas la même. Ma culture est entre la France et l’Afrique. Je suis pour dire non à l’excision, mais je ne suis pas pour la tolérance 0. C’est toute l’ambigüité de mon combat. »
Depuis septembre 2015, l’ACZA souhaite mettre en place un système de parrainage/marrainage afin de financer les études de jeunes filles africaines en contrepartie de la promesse faite et tenue par la famille de ne pas pratiquer l’excision. Plusieurs membres de l’ACZA se sont engagés pour être parrain/marraine de ce premier groupe de 10 petites filles constituées pour cette rentrée scolaire. Un kit de scolarisation avec cahier, crayons, livres est rassemblé pour chaque petite fille.
En 2014, 125 millions de filles et de femmes sont encore excisées dans le monde, notamment en Afrique. 57 % des femmes de l’Ouest de la Côte d’Ivoire le sont, dont une majorité en zone rurale. Après plusieurs enquêtes sur le terrain par l’ACZA (Association Culturelle Zassa d’Afrique de Martha Diomandé) pratiquement 100 % des femmes de Kabakouma sont excisées. La mutilation génitale féminine (MGF) peut être définie comme « la série de pratiques incluant l’ablation ou la lésion partielle ou totale des organes génitaux externes pour des raisons non médicales ».