L’Opéra de Rennes accueillait la Passion selon Saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach vendredi 22 et samedi 23 mars 2024. L’ensemble Le Banquet Céleste, sous la houlette de Damien Guillon, le Chœur de chambre Mélisme(s) et la Maîtrise de Bretagne ont offert au public une prestation remarquable dans l’écrin de notre cher opéra.
« Bach et sa musique ont beaucoup fait pour Dieu », cette boutade récurrente et un peu fatiguée, en usage dans le monde des musiciens, prend pourtant tout son sens lorsque l’on parle de la passion selon Saint Mathieu de Jean-Sébastien Bach. Peu d’œuvres sont à la fois d’une telle intensité et d’une profondeur spirituelle si peu égalée. Le Banquet Céleste et Damien Guillon, après nous avoir enchanté avec la passion selon Saint Jean puis avec les oratorios de Pâques et de l’ascension, revient vers son public avec panache pour fêter ses quinze années d’existence.
Cette production dont tout Rennes a lieu de s’enorgueillir regroupe une bonne partie des forces vives de notre ville. L’ensemble du Banquet Céleste, sous la houlette de Damien Guillon, le Chœur de chambre « Mélismes » dirigé par Gildas Pungier que nous avons souvent encensé, tant son niveau d’exigence est élevé et enfin, petit bijou au sommet de la couronne, dirigée par Maud Hamon-Loison, la Maîtrise de Bretagne.
Mais qu’est-ce au juste que cette passion et qu’est-ce qui la rend si particulière. Première élément de définition, c’est un Oratorio, c’est-à-dire un drame lyrique sur un sujet presque toujours religieux. Le mot passion définit un récit commenté de la mort du Christ au mont des oliviers. Ensuite, l’utilisation de deux chœurs séparés, de deux orchestres et de deux continuos, lui confère une réelle originalité. Cette construction inattendue est liée à la présence de deux tribunes se faisant face dans l’église Saint Thomas de Leipzig où le 11 avril 1727, à l’occasion du vendredi Saint, le monde reçut en offrande, cet incomparable présent.Jean-Sébastien Bach avait en quelque sorte créé la stéréophonie avant qu’on y songeât.
Le déroulement de l’œuvre voit s’alterner une narration, celle de l’évangéliste, texte écrit par ce qui s’apparente à un librettiste, puis des chœurs ou des solistes qui eux, utilisent le texte de l’évangile. Au cours de ses 2800 mesures, si l’on excepte quelques interludes musicaux, la passion est entièrement chantée.
C’est un rôle particulièrement essentiel que celui de l’évangéliste, et le ténor Juan Sancho, venu in extremis, en remplacement de Robin Trischler, s’acquittera avec talent et plus encore, de cette difficulté majeure. Planté au beau milieu des plus de cent participants présents sur scène, il imposera par sa diction et la qualité de sa voix, un personnage qui nous ouvre une porte vers le divin.
Que dire du rôle de Jésus ! Edward Grint oscillant avec adresse entre des tonalités de basse et de baryton sait avec délicatesse nous faire partager les moments de souffrance et d’espoir qui jalonnent cette passion du Christ.Le public tétanisé reçoit avec douleur la terrible phrase prononcée en Araméen « Elie, Elie, Lama Sabachtani ? », mon père mon père, pourquoi m’as tu abandonné ? Quelques instants plus tard, poussant un grand cri, Jésus mourut. L’incroyable tension de cette seconde partie en fait ressortir la profonde spiritualité. Elle est une longue et douloureuse méditation. Peut-être moins flatteuse que la première partie, ponctuée de « tubes », elle est à la fois l’acceptation de l’inéluctable et la naissance d’un puissant espoir se concrétisant dans la résurrection.
Mais qu’en est-il de ces dames fort appréciées lors des derniers passages du banquet céleste ? C’est presque avec affection que nous retrouvons les deux talentueuses sopranos Céline Sheen et Mailys de Villoutreys, celle-ci, ancien membre de la Maîtrise de Bretagne, interprétera avec conviction le très bel Aria « Blute nur, du liebes herz ! », uns des airs les plus appréciés et des plus mélodieux. Sa vision tout en nuances captivera l’assistance et contribuera à faire monter l’émotion.
Avec un rôle plus conséquent, Céline Sheen confirmera tout le bien que ses précédentes venues à Rennes avaient inspiré. Alternant puissance et émotion, elle s’acquitte avec exactitude d’une partition des plus ardues. Également bien connu à Rennes, Paul-Antoine Benos Djian, contre ténor, livre une interprétation habitée et triomphe des difficultés inhérentes à sa tessiture si particulière. D’une manière générale, tous les solistes sont dignes de louanges, de Blandine de Sansal en passant par Nicolas Scott et Bradley Smith, sans oublier Ronan Ayrault et Étienne Chevalier, tous méritent notre admiration et notre reconnaissance.
Comme il est d’usage, nous avons connu deux coups de cœur pour deux interprètes en la personne de Marco Saccardin, basse, dont la présence scénique et la stature vocale nous ont tout particulièrement marquées, et, au sein du continuo du premier orchestre, nos louanges vibrantes vont en direction de l’excellente gambiste, Isabelle Saint-Yves.Son toucher délicat, comme la sonorité intimiste de sa viole crée une ambiance précieuse et pleine d’émotion.
La Passion selon Saint Matthieu est une œuvre monumentale et a exigé prés de cinq années de préparation, mais quelle réussite éblouissante et quel motif d’orgueil pour Mathieu Rietzler et pour Damien Guillon. Celui-ci, a fait connaître, il y a quelques mois, son intention de quitter la direction artistique de cet ensemble, causant à tous un véritable électrochoc tant cette annonce était inattendue. Que fera t’il, il n’en est pas vraiment sur pour l’instant et continue sa réflexion. Lorsque l’on pense que la dernière fois que cette passion a été donnée à Rennes c’était en 1993, soit il y a 30 ans, et qu’à l’époque un des tout jeunes choristes de la maîtrise s’appelait… Damien Guillon !!
Commencée avec Bach, sa carrière se termine comme un bouquet final avec Jean-Sébastien et nous laisse un peu de vague à l’âme. Au revoir Monsieur Guillon et merci pour toutes ses belles heures de musique et de partage, emportez avec vous l’affection et la reconnaissance de tout ce que la ville de Rennes compte d’amoureux de la musique.
Pourra-t-on la voir sur TV Rennes ?
Hélas, non !…