La Promesse de l’aube, publié il y a tout juste soixante ans, est le chant d’amour d’un écrivain à sa mère. Cette promesse, c’est celle que s’est faite Romain Gary à l’aube de sa vie pour rendre justice et donner un sens aux sacrifices de sa mère, Nina dans le livre, Mina dans la vie, juive d’Europe centrale, mère courage, intransigeante, résolue toujours, excessive souvent, d’une « inaptitude atavique à désespérer », affichant sans retenue ses sentiments : « Tout, chez elle, était immédiatement extériorisé, proclamé, déclamé, claironné, projeté au-dehors. »
Cette femme a élevé seule son enfant et s’est battue pendant toute son existence pour sa propre survie et celle de son fils contre les revers de fortune, les humiliations, les déceptions. Elle voulait être dans sa jeunesse, en Russie et en Pologne, « une grande actrice », ne le devint jamais et reporta ses ambitions, ses espoirs et ses rêves sur Roman devenu Romain. Cette femme, comédienne rentrée et contrariée, l’est restée, à sa façon, dans sa vie quotidienne, elle inventait des histoires, se plaisait dans le mythe et la légende. Elle rêvait de venir vivre en France, plus Française de cœur que bien des Français natifs, et elle y parviendra en se fixant finalement et définitivement à Nice. « Ma mère avait besoin de merveilleux […]. Elle me parlait de la France comme d’autres mères parlent de Blanche-Neige et du Chat botté et je n’ai pu me débarrasser entièrement de cette image féérique d’une France de héros et de vertus exemplaires. »
Sa revanche, et sa victoire, ce sera Romain, un fils de légende qu’elle aura fabriqué de toute pièce, pour qui elle rêvera d’un destin de grand homme, de grand séducteur, de grand écrivain. Il devra être Pouchkine, Victor Hugo, ou rien. Et Romain n’a eu de cesse de répondre aux rêves de sa mère : « La légende de mon avenir était ce qui la tenait en vie. […] J’étais son happy end. »
“Ce que je veux dire, c’est qu’elle avait des yeux où il faisait si bon vivre que je n’ai jamais su où aller depuis.”
La guerre les séparera, la mère restant à Nice et le fils rejoignant de Gaulle en Angleterre en passant par l’Afrique. Le lien ne sera jamais défait avec ce fils qui recevra sans cesse des lettres de sa mère. La réalité qu’il découvrira à son retour à Nice, le bouleversera, apprenant, stupéfait, que sa mère est morte depuis trois ans : « Au cours de ses derniers jours précédant sa mort, elle avait écrit près de deux cent cinquante lettres, qu’elle avait fait parvenir à une amie en Suisse. Je ne devais pas savoir – les lettres devaient m’être expédiées régulièrement – c’était cela sans doute qu’elle combinait avec amour, lorsque j’avais saisi cette expression de ruse dans son regard, à la clinique Saint-Antoine, où j’étais venu la voir pour la dernière fois. Je continuais donc à recevoir de ma mère la force et le courage qu’il me fallait pour persévérer, alors qu’elle était morte depuis plus de trois ans. Le cordon ombilical avait continué à fonctionner. » « Sans son espoir de la revoir vivante et de lui rapporter en cadeau ses exploits et sa vie même, écrit Dominique Bona, sa biographe, il se serait abandonné aux balles ennemies. »
La Promesse de l’aube est le récit d’un amour exceptionnel, un amour qui fit toujours tenir haut et fort le fil de deux vies, qui n’en faisaient qu’une. Un livre magnifique.
Ce récit autobiographique de Romain Gary a été dans la lumière ces dernières années et ces derniers mois. Le beau roman de François-Henri Désérable, d’une certaine manière, mettait en scène Gary avec Un certain Monsieur Piekelny, cet homme, voisin de palier de l’écrivain au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, dans la ville de Wilno, aujourd’hui Vilnius, où vécut Gary quand il s’appelait encore Roman Kacew, épisode que La Promesse de l’aube rappelle en son chapitre 7. Dominique Bona, en 1987, publiait une très belle biographie de Gary, reprise en collection Folio en 2001.
Une adaptation cinématographique a été réalisée par Éric Barbier en 2017, jouée par Pierre Niney et Charlotte Gainsbourg. Enfin Gallimard a consacré son dernier album de la Pléiade à Romain Gary en 2019.
Le quarantième anniversaire de la mort de l’écrivain, en décembre 2020, nous offrira sans doute l’occasion de découvrir d’autres ouvrages sur ce grand auteur, seul écrivain couronné deux fois par le Prix Goncourt au prix d’une historique supercherie littéraire et médiatique bien à son image.