LA ROUTE DE LA MER OU LES PORTES OCEANES DE PHILIPPE LE GUILLOU

Philippe Le Guillou nous livre un nouveau roman, La route de la mer, qui voit deux personnages, un frère et une sœur, parcourir ensemble les décennies 70 et 80, de Pompidou à Mitterrand, dans la fièvre de leur art. Anna est une pianiste d’exception et admirable interprète de Liszt. Lui, dessinateur et sculpteur, vit dans l’admiration, et l’ombre, de cette sœur adulée de tous.

La Route de la mer, dernier roman en date de Philippe Le Guillou nous offre l’image intimement mêlée de deux artistes. Le narrateur, jeune professeur de lettres, abandonne la carrière de l’enseignement pour suivre sa véritable vocation de photographe, de dessinateur et de sculpteur. Une jeune femme, sœur du narrateur, Anna Tugdual, devenue Horberer par son mariage avec Stéphane, ami de jeunesse de son frère, est une pianiste et concertiste adulée de son public et de ses jeunes élèves du conservatoire, une interprète brillante et inspirée du répertoire romantique et de la musique de Liszt en particulier.

Le génie et la grâce du jeu pianistique d’Anne, son ambition démesurée aussi, sa personnalité envahissante et exclusive, ont toujours focalisé sur elle la lumière du public et celle de sa famille. Le lien entre le frère et la sœur est puissant, « une sorte de gémellité mystérieuse nous unissait » avoue ce frère admiratif et fasciné. L’annonce du cancer d’Anna, au moment de sa plus haute gloire et l’échéance tragique et inéluctable les dévasteront tous les deux. Elle brûlera dans les excès redoublés de la chère et du champagne ses dernières forces de femme et d’artiste, abandonnant le frère à son épouvantable chagrin. « Privé à jamais de ma madone, de ma sœur tutélaire, de l’enchanteresse. […] J’étais le frère aimant de ma sœur. Son amant célestiel ».

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Philippe Le Guillou

Les familiers de la prose de Le Guillou reconnaîtront dans ce roman quelques-uns de ses thèmes habituels : cette volonté d’inscrire ses personnages dans l’histoire d’aujourd’hui. On retrouve l’admiration particulière de l’auteur, ou la défiance, pour certains grands acteurs des plus hautes fonctions, qu’elles soient papales et vaticanes ou politiques et françaises, sa fascination pour les lieux symboliques du pouvoir, son mépris des ambitions carriéristes de hauts fonctionnaires aux dents longues dont Stéphane lui-même fera partie.

Le Guillou dit aussi son éblouissement devant les mécènes qui font vivre l’art de notre temps. L’un des personnages de ce roman, « Mickaël P. », qui « avait bâti son empire grâce au soutien des puissants et ne faisait jamais mystère de ses origines modestes », a tous les traits de François Pinault. Le Guillou a aussi le souci de nommer les artistes qui sont ses figures admirées de l’art de notre époque : le nom du peintre Loïc Le Groumellec surgit à certains moments du roman ainsi que celui de l’organiste Jean Guillou ou du compositeur Eric Tanguy.

Quant à Anna, n’est-elle pas l’image de Brigitte Engerer, magnifique pianiste française formée à l’école russe, lumineuse interprète de la musique de Liszt, victime prématurée du cancer ? Ce même mal qui avait frappé Hélène, jeune amie brestoise de Philippe Le Guillou dont il nous avait raconté la souffrance et la mort dans un récit bouleversant, « Fleurs de tempête ».

Le Guillou, le Finistérien, a toujours eu aussi cet amour du grand large et de ces villes qui sont autant de portes océanes et de routes de la mer. Après Brest, il décrit dans ce roman la cité du Havre, « ville métaphysique et abstraite », à la beauté grise et géométrique, dominée en son centre par le clocher de l’église Saint-Joseph comme un haut phare octogonal.

Ce roman est un parcours aussi sentimental que géographique, qui emmène Anna et son frère dans la capitale que Le Guillou, piéton de Paris, n’a de cesse d’explorer, un périple qui passe également par Londres, cité baignée dans la lumière des « eaux d’ardoise de la Tamise », puis Rome, et Naples, au seuil d’une autre mer.

Enfin, on retrouve dans La route de la mer l’attirance de Philippe Le Guillou pour les jeunes beautés viriles dont le frère d’Anna, dessine et sculpte les longilignes silhouettes. Stéphane, cet « éternel adolescent svelte et fluide », l’ami de jeunesse qui a épousé Anna, cet homme qui «n’aime pas les femmes même s’il cherche à les collectionner » lui avait très tôt inspiré de troubles sentiments.

Les romans et les récits de Le Guillou ont peu ou prou les couleurs de l’autobiographie. La route de la mer n’y échappe pas. L’auteur, professeur de lettres comme son narrateur, n’aurait-il pas secrètement rêvé d’une destinée d’artiste, lui aussi ? Quoi qu’il en soit, Philippe Le Guillou nous livre ici un texte vibrant et fort, d’une écriture impeccable qui vous emporte, une fois encore.

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Philippe Le Guillou La route de la mer. Collection Blanche, Gallimard, février 2018, 384 p., 22€
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