Pourquoi aller voir la Tortue rouge ? Notamment car notre esprit, en cette période, aspire aux images et aux sentiments océaniques. On les retrouvera étrangement dans les salles obscures qui programment ce film d’animation primé au Festival de Cannes : La tortue rouge ou un songe subaquatique et poétique…
C’est dans la catégorie « Un certain regard » que la Tortue rouge a reçu à Cannes son trophée. Cela ne pouvait mieux tomber. C’est effectivement un certain regard qui doit être porté sur cet apaisant chef d’œuvre qui pendant une heure et vingt minutes, sans aucun dialogue, va vous extraire des rigueurs du quotidien pour vous rappeler les vertus du silence. En un mot, c’est puissamment beau !
Le réalisateur néerlandais de la Tortue rouge Mickael Dudok de Wit n’en est pas à son coup d’essai et a récolté dans le monde du film d’animation quelques lauriers que son talent lui fait amplement mériter. Remarqué dans « Le moine et le poisson » comme dans « Père et fille » (oscar du meilleur court métrage en 2011), il évolue avec aisance dans ce format plus ramassé qui évite les inutiles fioritures pour aller directement au cœur de ce qu’il tient à exprimer.
Avec cette Tortue rouge, il se livre pour la première fois à l’exercice du long métrage. Il faut dire qu’il pas pas eu vraiment le choix. Ayant éveillé l’intérêt des maîtres dans ce domaine que sont Isao Takahata ou Hayao Miyazaki, ces derniers lui ont demandé de collaborer avec le prestigieux studio Ghibli, référence en la matière. C’est une grande première dans la mesure où cette institution a toujours tenu à distance les réalisateurs étrangers, leur préférant nettement des auteurs japonais. La gestation de la Tortue rouge aura pourtant duré près de dix ans…
L’histoire de la Tortue rouge commence par l’arrivée chaotique d’un naufragé sur une île déserte, après avoir âprement lutté contre les éléments en furie. Cela ressemble à une difficile genèse, mais l’arrivée sur l’île n’est pas encore la véritable naissance. Il lui faudra mériter la vie, quand, après une chute dans une grotte à l’issue unique, il devra emprunter un étroit boyau pour regagner la mer et d’une certaine façon, renaître symboliquement.
À partir de cet épisode traumatique, on perd totalement la notion de défilement du temps. Le naufragé involontaire essaye de domestiquer la nature et les éléments ; en pure perte bien sûr. Sans cesse, il reconstruit le radeau de bambous qui, chaque fois, est voué à la destruction. Sa rencontre avec une étrange tortue rouge marque un tournant décisif du récit. Puisque c’est elle qui semble le retenir sur l’île. Il lutte contre elle jusqu’à la mettre hors d’état de nuire en la retournant sur le dos ; ce qui pour cet animal aquatique et lourd est synonyme de mort. Les spectateurs se retrouvent, par ce geste violent, confrontés à notre inhumaine humanité. A l’image du héros de la Tortue rouge – un antihéros qui nous ressemble intimement – qui prend à son tour conscience de la laideur de l’acte qu’il vient de poser.
Pourtant, de cet acte naît une compagne : elle émerge de la carapace brisée telle une Vénus de la conque d’un coquillage. Le couple est né. De lui naît un enfant. Nous le voyons grandir dans un décor apaisé où seules comptent la nature et la mer ; où le temps est aboli.
Le graphisme épuré et d’une précise beauté contribue, comme les transparences aquatiques, à la légèreté de cet étonnant film qui nous prend à l’âme et nous entraîne dans un parcours qui n’est pas vraiment initiatique, mais incite à un regard intérieur plus intense. Les différents sentiments qui modèlent notre vie s’entremêlent : la colère, la surprise, l’exaspération, la mort, mais aussi la douceur, l’attention, l’inquiétude, l’amour.
Au travers de cette lente méditation qu’offre la Tortue rouge, c’est un parcours de vie qui nous est conté. Une parabole qui, à l’image des textes sacrés, invite à tirer un enseignement. Inutile de dire que le résultat est assez proche des références que sont, par exemple, Princesse Mononoké ou Ponyo sur la falaise, mais mâtiné de légèreté à la façon des aquarelles du Belge Jean Michel Folon. L’art épuré du Japon est présent et une touche d’hédonisme à l’européenne confère à ce petit chef-d’œuvre une qualité incomparable.
Comme on rentre dans une cathédrale dont les murs épais vous isolent pour quelques instants privilégiés des bruits parasites, allez voir la Tortue rouge seul, comme un enfant qui se dissimule pour déguster en égoïste une friandise trop délicieuse pour être partagée.
La Tortue rouge, Michael Dudok de Wit, 1h20, film d’animation franco-belgo-japonais, juin 2016
CRÉDITS :
Michael DUDOK DE WIT – Réalisateur
Laurent PEREZ DEL MAR – Musique
Julien DE MAN – Décors
Céline KÉLÉPIKIS – Montage
Jean-Christophe LIE – Animation
Jean-Pierre Bouchet – Compositing
Arnaud BOIS – Compositing
Michael DUDOK DE WIT – Création graphique
Michael DUDOK DE WIT – Scénario / Dialogues
Une coproduction
Why Not Productions – Wild Bunch – Studio Ghibli – CN4 Productions – Arte France Cinéma – Belvision
Avec la participation de : Canal+ – Ciné+ – Arte France
Avec le soutien de : Eurimages – la Région Poitou-Charentes – le Département de la Charente – la Région Wallonne – La Fondation Gan pour le Cinéma
En association avec Cinémage 9 – Palatine Etoile 11 et 12 – BNP Paribas Fortis Film Finance
https://www.youtube.com/watch?v=wtED4Eljp8I
https://www.youtube.com/watch?v=usRRDQwOn7g