Comment introduire La vérité attendra l’aurore d’Akli Tadjer ? Débutons avec cette citation : « Mon regard est attiré par une photo. Ça fait des années que je ne l’avais pas vue, que je ne voulais pas la voir. Elle a été prise le 11 août 1993. Je suis avec Lyes au Cap Carbon, une station balnéaire sur la corniche kabyle. Nous devions fêter ses vingt ans ce soir-là. Lyes ne fêtera jamais son anniversaire. »
Mohamed, quarante-cinq ans, est ébéniste dans son atelier du passage du Grand-Cerf à Paris. Tout à son art, il redonne une apparence et une âme à des pièces quelque peu ébréchées par le temps, les déplacements, la succession de propriétaire. A l’occasion de la vente de l’appartement familial de Gentilly de l’autre côté du périphérique, il replonge dans les années d’enfance, d’adolescence. Depuis la disparition de sa mère, il souhaite se détacher de ce logement qui ne lui rappelle pas seulement de bons souvenirs. Il est ému cependant, planté devant le cinéma qu’il fréquentait alors, Le Gaîté-Palace. C’est là, qu’il y a plus de vingt ans, il est tombé amoureux de Nelly, la belle Nelly, qu’il a perdu de vue parce qu’un drame est survenu à la même époque, la perte de son frère tant aimé, Lyes.
Que s’est-il passé ? Comment Lyes a-t-il disparu alors qu’en famille, ils étaient repartis sur leur terre d’origine à El-Kseur en Kabylie pour fêter ses vingt ans ? Qu’est devenue Nelly, la belle Nelly alors qu’il pense l’avoir croisée lors de son passage au Gaîté-Palace maintenant promis à des promoteurs pour devenir peut-être une enseigne commerciale ? Qui est cette jeune personne, Houria, qu’i l’apostrophe sur les réseaux sociaux comme une urgence depuis l’autre côté de la Méditerranée ? Nombre de pistes qui vont plonger Mohamed dans des questionnements sur le présent comme le passé. Nombre de pistes qui vont l’entraîner à se dépasser, à se surpasser, à se redécouvrir aussi humain qu’il ne l’imaginait plus depuis la disparition de son frère Lyes.
À travers un roman aux multiples rebondissements, un roman incandescent, Akli Tadjer nous plonge dans le cauchemar de l’Algérie des années 1990 où le sang, les larmes coulaient à flots sous la houlette des salafistes, du terrorisme constant, des massacres d’individus jugés « apostats » par les Fous de Dieu, Les Combattants de l’islam. Ce récit est aussi une peinture juste et précise de la double culture avec sa tendresse, sa dérision, sa dureté, double culture que l’auteur nomme non sans humour : une schizophrénie normale. Des portraits tout en relief tant de LA mère, une personnalité très complexe, que de son père qui aura donné sa vie à la France en trimant comme tanneur pour un patron sans scrupule. Et les actes d’amour pratiquement toujours tournés vers son cadet qu’il vénérait tant.
Roman bouleversant à ne pas rater ! Roman sur la tolérance, l’intolérance, l’amour de l’autre, la haine de soi, des autres aussi. Tellement actuel, tellement intemporel !