Alchimie résonne encore sous un voile de mystères et de questionnements. Aujourd’hui, ce mot ancien, dont l’origine viendrait de l’arabe (al-kymia), peut apparaître comme une sorte de quête perdue dans les plis d’un passé révolu. Cependant, elle est toujours là, présente et vivante dans le cœur de certains « amoureux de la nature ». Présentation par l’un d’eux : le peintre Jean-Marie Pierret, surtout connu pour ses peintures monumentales (Le Géant sur le barrage hydraulique de Tignes et le Verseau sur le site nucléaire de Cruas) alors que son approche de la Tradition et de l’Alchimie nourrit tout son art (voire son site).
L’Alchimie occupe une place importante au sein des traditions, par sa doctrine, son symbolisme, ainsi que par le cheminement initiatique auquel le cherchant est invité. L’alchimie est donc une voie spirituelle, d’éveil, et de transformation qui obéit aux lois naturelles ainsi qu’à une doctrine particulière, liée à l’Art de la Transmutation : « L’art qui imite la nature dans ses principes » (Claude d’Ygé)
Nature et Alchimie
Le Moyen-Âge portait déjà les signatures d’une science obscure et étrange, celle de la magie du feu, celle des faiseurs d’or, connue sous le nom d’alchimie. On retrouve un peu partout sur les façades de cette époque, des sculptures taillées en ronde-bosse ou en bas-relief dans la pierre et le bois. Dragons, chimères et grimaçants, apparaissent comme les lettrines d’un grand livre ouvert sur un monde imaginaire, dont chaque page est un instant partagé avec le passant. De façon étonnante, ces sculptures habilement travaillées témoignent de l’art hermétique, de cet art occulte tout en décorant le cœur des cités, où évoluent des sociétés sous le rayonnement d’une église et de son pouvoir.
À la lumière de la renaissance, il se produit quelque chose dans les consciences qui va bouleverser le monde. On pense que pour se rapprocher du Créateur, il faut connaître sa création : la nature.
Elle devient le sujet fondamental de toutes les recherches, de toutes les avancées et cette nouvelle manière d’appréhender la vie, la met au centre de tous les intérêts et questionnements. Son étude entraîne de grands changements et désormais tout bascule sur cette terre qui tourne sur elle-même, car la nature devient le miroir où se concentrent toutes les réflexions.
Dans ce besoin de connaissances nouvelles, on retrouve la culture, les mythes et les traditions de la Rome antique, de l’ancienne Grèce et même de l’Égypte lointaine. Dès lors, mathématiciens, architectes, artistes et intellectuels prennent part à ce grand mouvement dont ils sont les acteurs. Ils s’inspirent des anciens et reconsidèrent la nature. C’est elle qui détient les arcanes, c’est elle qu’il faut interroger et connaître.
Elle ne cessera de questionner chercheurs, scientifiques et savants.
Dans ce grand bouillonnement de culture et d’idées, le symbolisme place l’homme au centre de cette nature qui est représentée, organisée et classifiée sous la forme de cercles concentriques. L’homme est au centre de ce schéma. Il est debout, environné des trois règnes, minéral, végétal et animal, ainsi que des quatre éléments, la terre, l’eau, l’air et le feu. Cette composition représentant le monde terrestre s’élargit en d’autres cercles, qui symbolisent le monde céleste avec ses planètes, son zodiaque et ses étoiles.
Mais ce concept, cette représentation symbolique ou plutôt ce moyen mnémotechnique sera vite dépassé par les découvertes qui vont suivre. Dans cet étonnant bouleversement, des pouvoirs s’affrontent, l’Église se déchire à nouveau et l’oraison laisse peu à peu sa place à la raison. Au milieu de cette civilisation qui se reforge, l’alchimie qui a gardé son mystère, réapparaît plus forte et s’étend par delà les confessions dans toute l’Europe.
Pour le commun, l’alchimie consiste à transformer le plomb en or
Cette transformation ou transmutation s’opère grâce à la fabrication et l’obtention d’une pierre mystérieuse, aux dons multiples, connue sous le nom de « pierre philosophale ». De cette vision réductrice, on peut retenir deux choses essentielles et fondamentales :
La première, c’est le passage d’un état métallique à un autre, du plomb en or, soit d’une chose vile et grossière à une chose pure et étincelante. La seconde, qui est au cœur de cette vieille science, c’est la pierre. Elle retient toutes les attentions et les actions de l’alchimiste.
Aujourd’hui, cette idée de transmutation peut prêter à sourire et apparaître comme un ancien rêve dans lequel bon nombre se sont perdus en nourrissant chimères et illusions. Mais l’alchimie, cette science hermétique n’en demeure pas moins debout. Elle est toujours présente avec ses mystères et son ésotérisme.
Elle apporte, semble-t-il, une clef d’une « simplicité enfantine » pour développer cette notion de transmutation et donner (depuis de nombreux siècles) une solution qui se trouve dans la fabrication d’une pierre. Alors, cette pierre devient le sujet unique, comme une sorte d’élément médium, indispensable placé entre l’alchimiste et les « métaux ».
Elle est l’actrice principale de ce théâtre hermétique mis en scène par l’œuvrant qui opère selon les lois de la nature, tout en s’appuyant sur l’étude et la connaissance de textes hermétiques et d’un ésotérisme particulier. De ce fait, la pierre est intimement liée à l’aventure et l’évolution spirituelle du cherchant. Elle sera désignée comme « pierre des philosophes » tout au long de cet « opéra » laborieux et prendra le qualificatif de « philosophale » à son obtention.
C’est donc elle, la clef de toute réussite qu’il faut posséder pour entrer dans l’adeptat des alchimistes.En approchant la nature et la conception de la pierre, on découvre deux espaces fondamentaux, sortes de décors intimes dans lesquels évolue l’alchimiste : l’oratoire et le laboratoire.
L’Oratoire
On peut définir l’oratoire comme un lieu d’études, protégé par un voile de silence où l’artiste s’exerce à la méditation et à la réflexion afin d’obtenir la lumière nécessaire qui lui permettra d’ouvrir des textes hermétiques et une juste interprétation des symboles. C’est là que s’opèrent des transformations intérieures qui éclairent le cherchant en réponse à ses prières. C’est là qu’il comprend que pierre et prière sont deux mots, deux états, inséparables et intimement liés comme les deux serpents sur la verge de Mercure.
C’est là enfin qu’il accède à la claire lecture de ces textes étranges tenus fermés. « L’alchimie n’est obscure que parce qu’elle est cachée. » (Fulcanelli)
Mais L’oratoire ne se limite pas aux murs d’une pièce dans laquelle le cherchant s’instruit de lectures et d’études. Il peut se prolonger dans des lieux extérieurs particuliers et choisis, où la nature parfois l’interpelle. Cela peut être la forme d’un rocher, le frisson d’une source ou tous autres endroits dans lesquels le cherchant trouve un certain écho qui le lie aux forces naturelles. C’est par ce travail d’observation et de méditation que l’oeuvrant s’ouvre aux signatures et aux correspondances naturelles.
C’est dans ces lieux qu’il tisse le lien nécessaire, sorte de fil d’Ariane, qui le guidera dans les dédales labyrinthiques de cette philosophie hermétique. C’est là, dans l’oratoire, qu’il développera ses qualités intuitives, tout en cultivant son jardin intérieur et spirituel. C’est là enfin qu’il s’ouvrira à la compréhension d’une autre forme de langage, une certaine cabale, « la langue des oiseaux ».
À ce moment précis, l’alchimiste habile et éclairé trouve dans la plus grande joie, le vase nécessaire pour ses futures opérations.
Pour certains, ces textes obscurs sont des sortes de recettes décrivant une popote chimique, qui, bien préparée, doit les conduire jusqu’à la pierre tant désirée. Ils se contentent d’en extraire un ou deux jeux de mots pour satisfaire au seul plaisir du mental. Mais l’affaire est plus complexe, car il ne s’agit pas seulement de jeux de l’esprit, mais plutôt de l’Esprit qui se plait à révéler au cherchant un monde caché, un monde abstrait.
Nous sommes dans la révélation d’un ésotérisme complexe qui demande à l’étudiant une longue préparation pour accéder à ce langage du silence et une grande concentration pour ne pas être perturbé par l’émotion qui en découle. « L’oratoire de l’alchimiste est un laboratoire à produire de l’invisible aux sens externes ». Henri Corbin.
Le laboratoire
Au-delà de l’image du vieil alchimiste entouré de ballons, de cornues et attentif au feu qui rougeoie dans son fourneau, le laboratoire est un prolongement de l’oratoire. C’est le lieu où se déroulent les expériences, les applications et les transformations de la matière. C’est ici que la pierre va trouver son existence et subir toutes sortes d’évolutions voulues et dirigées par l’œuvrant. Elle connaitra la noirceur de la séparation et de la mort pour renaître de nouveau recomposée et purifiée dans une blancheur volatile avant de s’empourprer dans la chaleur du vaisseau.
Au laboratoire, l’élément central du décor est le feu.
Des flammes s’entremêlent dans un ballet animé par le soufflet, des braises incandescentes se reposent dans une vibration brûlante, le feu exerce toujours la même attraction par le spectacle immuable qu’il nous offre.
C’est le plus vieux compagnon de l’homme, celui qui fut tant recherché, maitrisé et enfin entretenu. Sous le regard du forgeron, maître du feu et des alliages, une journée s’achève et la forge où se développait une métallurgie hésitante prête ses flancs encore chauds pour la cuisson des aliments. Elle était placée au centre de la vie et participait à l’évolution de tout un monde.
C’est sans doute autour de cette forge que l’alchimie est née. Dans les crépitements du feu et les cliquetis métalliques, quelqu’un a connu le mystère, a eu l’étincelle, l’intuition, la révélation d’une chose que la nature cache soigneusement et qui s’est peu à peu révélée à lui.
Dès cet instant l’observateur attentif et éclairé par la foi lui a donné le nom de « feu secret ». Et c’est là que l’alchimie se différencie de la chimie. On n’est plus dans l’expérience commune qui consiste à rechercher la composition et la transformation des corps, car quelque chose (que les philosophes ont pris soin de cacher dans leurs textes avec tant d’application), attiré par le feu, s’invite et se met en œuvre.
Au cœur du four, la matière évolue dans son vase et dans le silence de cet instant délicat et fragile, la pierre apparaît… C’est la clef de toute l’alchimie.
La Pierre
La pierre est présente dans la symbolique de nombreuses traditions.
On la connaît sublimée sur les plans des architectes et sous les ciseaux des tailleurs. Des pyramides aux cathédrales, des anciens temples aux derniers palais, la pierre contient tout. On peut dire que c’est une pensée en même temps qu’une mémoire, à travers laquelle nos prédécesseurs nous ont éclairés sur leur savoir, leurs connaissances et par laquelle ils ont témoigné de leur spiritualité. Malgré les guerres et les caprices du temps, la pierre, est un fruit toujours mûr qui se tient disponible et qui se donne en nourriture pour goûter, connaître la vie et les voies partagées par d’autres.
Ces testaments de pierre, témoignages vivants d’anciennes civilisations, portent l’empreinte de leur culture, leur organisation et leur connaissance.
Elle est gravée par la marque des dieux anciens et nous invite à la sagesse, ce fondement auquel une humanité tout entière veut tendre. Taillée et ciselée, elle rayonne de beauté d’art et d’harmonie. Assemblée, elle contient la force par ses proportions où se mêlent connaissance, arithmétique et géométrie.
C’est toujours elle, que les francs-maçons du XVIIIe siècle ont choisie pour construire et élever leur édifice. Là encore, il est question de transformation, celle d’une pierre brute, grossière, qui doit être taillée est devenir parfaite pour pouvoir s’assembler à d’autres et participer à l’édification du Temple.
Aujourd’hui, l’alchimie garde en mémoire un texte gravé (dit-on) sur une pierre d’émeraude et que la tradition attribue à Hermès. Une légende nous raconte que dans sa chute, Lucifer laissa tomber cette émeraude accrochée à son front. Elle tomba sur la terre et un jour Hermès y grava un texte que beaucoup reconnaissent comme la règle commune à tous les alchimistes.
L’alchimie est un art, un art hermétique « l’art royal ». Elle est aussi une science traditionnelle, « la vieille science ». Mais c’est surtout une voie spirituelle dont le but est la découverte d’une pierre cachée, qui conduit tout au long de cette quête l’alchimiste à la Connaissance et aux mystères de l’hermétisme.
Chacun peut s’essayer selon sa sensibilité et sa propre nature, sur ce sentier singulier qui, comme l’art, est avant tout une manière de vivre.
Jean-Marie Pierret