Larzac Histoire d’une résistance paysanne. Gardarem lo BD !

larzac histoire

Cette remarquable BD documentaire Larzac Histoire d’une résistance paysanne. Gardarem lo BD !, publiée chez Dargaud, raconte dix ans d’une lutte contre une décision d’Etat. Passionnant, instructif et éclairant.

Se promener sur la terre du Larzac est une expérience étonnante. Rien d’autre n’attire le regard que des rochers et des nuages suspendus. Vous êtes entre ciel et terre. Seul le bêlement des brebis accompagne le bruit de vos pas. Il faut attendre qu’un nuage se fraie un chemin devant le soleil pour que le jeu de l’ombre et de la lumière donne vie au paysage. Ce sont pourtant ces milliers d’hectares arides, parsemés de quelques lourdes bâtisses de pierre, qui firent l’objet d’un incroyable bras de fer entre l’Etat et 107 agriculteurs d’abord, puis des milliers, des millions d’opposants. Dix années de combat entre 1971 et le 10 mai 1981 pour empêcher le quintuplement de la superficie du camp militaire du Larzac qui devait passer de 3 000 hectares à 17 000 hectares. Ces dix années sont restées dans la mémoire collective avec le slogan « Gardorem lo Larzac », « Nous garderons le Larzac » qui, avec la lutte de Plogoff contre l’installation d’une centrale nucléaire en Bretagne, annonce les mouvements de désobéissance civile de Notre-Dame-des-Landes ou de contestation des mégabassines. Pourtant ce ne sont pas des préoccupations uniquement écologiques qui créèrent les prémices du mouvement mais plutôt l’attachement à leur sol de paysans qui ne demandaient qu’à poursuivre leur mode de vie sur une terre que la plupart d’entre eux exploitaient de manière ancestrale. Le récit par le détail de ces 10 ans de lutte prend aujourd’hui avec le recul du regard de l’historien qu’est Pierre-Marie Terral, une valeur prophétique. Il dit les années de passage d’un mode de pensée productiviste et consumériste aux prémices d’une société où de nouvelles valeurs émergent comme les mots nouveaux qui les qualifient: écologisme, féminisme. Une mise à l’épreuve, ou à l’essai, des idéaux de Mai 68.

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Rares parmi les premiers acteurs de l’époque sont ceux qui imaginent alors la portée et la durée de leur combat. Le récit des auteurs scrupuleusement chronologique, et parfaitement illustré du trait noir et précis, quasi photographique, de Sebastien Verdier, montre comment l’action de quelques éleveurs de brebis déterminés, enfle, gonfle tel un ballon de baudruche et s’empare bientôt d’une grande partie de la société. La richesse de la BD tient notamment à cette capacité à montrer le caractère hétéroclite des opposants qui vont bientôt se retrouver par dizaines de milliers chaque été au moment des moissons organisées sur les terres de l’armée. Les paysans regardent d’un mauvais oeil, et même parfois du bout de leur fusil, ces jeunes aux cheveux longs qui déclament bêtement leur credo idéologique en criant: « La bouse de vache est plus utile que les dogmes. On peut en faire de l’engrais a dit Mao ». Comme sur le marché de Millau, on trouve de tout dans la contestation. Mouvement occitan et régionaliste, féministe, écologiste, maoïste, pacifiste, se côtoient avec des objectifs et des méthodes d’action parfois opposés. Mais le combat dans sa globalité, peut être parce que les partis politiques sont à l’écart, transcende ces différences, y compris celles entre les paysans originels et les néos venus s’installer pendant le conflit pour un autre mode de vie.

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La succession et l’originalité des moyens d’action souvent riche d’une imagination débordante, sont aussi multiples que le nombre de fortes personnalités qui apparaissent dans la BD. On ne les aperçoit parfois que dans une seule case mais ils sont cités nommément comme si les auteurs, tel un monument de pierre, avaient voulu conserver et immortaliser leurs noms. Marie Rose Guiraud, Robert Gastal, Josette et Pierre-Yves de Boissieu et beaucoup d’autres voient ainsi leurs noms imprimés et conservés pour toujours. Quant aux curés comme l’abbé Claude Viguier ou le prêtre ouvrier Robert Pirault, le récit montre leur forte implication dans la lutte, un soutien de l’église catholique pas forcément connue aujourd’hui. Collective, la lutte du Larzac est aussi un combat de quelques fortes personnalités, tenaces et magnifiques de dignité.

Richement documenté de dix ans de travail, de centaines d’heures d’interviews, la BD saisit l’air du temps, celui où les problèmes de la ruralité et de l’aménagement du territoire émergent, une bascule dont se font l’écho des journaux tels le Canard Enchainé ou Charlie Hebdo évoqué par des planches de Cabu. Des photos volontairement pixelisées évoqueront aux plus anciens des lecteurs des souvenirs figés dans la mémoire collective. Des filles aux seins nus côtoyant des paysans octogénaires à la casquette écossaise, ou ces foules immenses se réveillant le matin dans des sacs de couchage multicolores, symbolisent ce feuilleton décennal qui s’achèvera avec l’élection de François Mitterrand le 10 mai 81 et l’abandon du projet d’agrandissement du terrain militaire.

L’ouvrage se termine par une photo semblable aux photos d’école où s’étagent sur plusieurs rangs des familles et plusieurs générations d’habitants du Larzac. Lorsque l’on examine ces visages enfantins, adultes ou anciens, on peine à s’imaginer que ces femmes et ces enfants pacifistes et souriants ont affronté pendant 10 ans l’autorité de l’Etat. Rien dans leurs expressions optimistes ne montre une détermination sans faille pour conserver la main sur leur destin. Des gens ordinaires pour un combat extraordinaire. Ils en sont d’autant plus admirables.

LARZAC. Histoire d’une résistance paysanne. Scénario: Pierre-Marie Terral. Dessin: Sebastien Verdier. Editions Dargaud. 176 pages. 23,50€.


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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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