Dans Le cœur arrière, publié aux éditions Les Avrils, Arnaud Dudek use d’un titre énigmatique pour dire la difficulté de devenir un grand sportif reconnu. Il rend ici hommage à tous ces champions en devenir qui ne le deviendront jamais.
Le sport attire peu les écrivains comme si, en dehors de la compétition et de ses corollaires, le direct, le suspense, le résultat, il était difficile d’en faire un sujet de roman. L’athlétisme, sport individuel, peu médiatisé n’échappe pas à ce constat. Sans plonger dans l’oeuvre de Jean Giraudoux, c’est le roman magnifique de Yves Gibeau La ligne droite parue en 1956 qui tient la corde et reste un classique du genre. En 2021, Renaud Dely publie Le Grand Saut (1) consacré à l’ascension du perchiste français Pierre Quinon, champion olympique du saut à la perche et qui se suicidera quelques années plus tard. Destin tragique auquel on pense en lisant le remarquable roman de Arnaud Dudek Le coeur arrière. Avec ce livre l’écrivain Nancéen qui « a grandi avec l’Equipe et Stade 2 » nous introduit derrière l’écran de télévision où trônent les champions sur les podiums. Il nous invite plutôt du côté des bas de pages de journaux, des entrefilets, des noms d’espoirs à retenir et que l’on ne retient pas. De ceux qui pourraient faire un jour la Une et qui ne la feront pas.
Victor fait partie de ceux là. Un jour avec son père il croise dans un bac à sable près de la mairie un jeune athlète qui court, « griffe le sol, et voilà qu’il rejoint l’air, oui voilà qu’il vole durant quelques fractions de seconde (…) ». A douze ans il découvre la beauté du saut, et même du triple saut, cette étrange discipline qui tient à la fois de la course et du saut en longueur. Il achète des pointes, se lance, s’élance et se découvre des qualités qu’un entraîneur lui demande d’exploiter.
Introverti, faisant partie avec son père ouvrier, des « gens de peu » qui ne sont jamais en lumière il découvre avec ce triple bond qui donne parfois l’impression de voler, on qualifiait le recordman du monde Jonathan Edwards de « Goéland », le sentiment de devenir un autre.
Arnaud Dudek connait le sport, pas seulement celui de la compétition, des résultats, mais aussi de l’avant et de l’après. L’ entraînement avant, le trac avant, la solitude avant et le podium après, l’échec après, la blessure avant et après. C’est de cela qu’il parle, qu’il décrit avec minutie avec des mots simples et tendres comme ceux qu’il utilise du bout des « pointes » pour dire les relations d’un père et de son fils, la douceur d’une main tendue pendant que sa mère cherche dans des bars la date oubliée de l’anniversaire de son fils. Documenté mais pas documentaire, le roman décrit peu à peu, au fur et à mesure des performances croissantes de Victor, l’approche du haut niveau, du niveau international. Intégré dans une structure professionnelle, Victor subit les violences verbales, les agressions d’un coach sadique. Pressé, oppressé, pensant que sa vie dépendait de son dernier saut dans le bac à sable, il en oublie d’aimer, ou plutôt il se refuse à aimer comme si l’amour nuisait à la performance sportive, comme s’il possédait deux cœurs:
Le cœur arrière, ce n’est pas « le cœur qui bat » mais « l’autre, derrière, celui qui se serre quand on perd »
L’auteur met ainsi de manière poignante en lumière ces jeunes qui sacrifient leur jeunesse pour un rêve difficilement accessible, il parle des « Etc…. », ceux qui dépassent la troisième place et qui ne trouvent pas grâce sous la plume du journaliste. Il parle de Tom Dumoulin, cycliste néerlandais, vainqueur du Tour d’Italie, qui vient d’annoncer sa fin de carrière, ne comprenant plus le sens de sa présence sur son vélo, il parle d’un rugbyman rouennais qui se suicide en pleine saison réussie, mais aussi de Pierre, Paul, Jacques qui battent tous les records dans leur catégorie d’âge et tombent, sans se relever à la suite d’une fracture de fatigue, d’un amour malheureux ou d’un accident de voiture.
« Si un sportif veut être performant, il doit être équilibré. On ne peut pas venir à l’entraînement ou en compétition en TRAÎNANT des casseroles, des problèmes qu’on n’a pas réglés… »
Equilibré, sans problème c’est ce que l’on exige donc d’adolescents en pleine formation. Ils sont rares celles et ceux qui ont toutes ces qualités. Arnaud Dudek, avec justesse et empathie nous parle ici des autres, les plus nombreux, ceux qui réussissent deux sauts mais ont terriblement du mal à réussir le troisième. Le plus important. Celui que l’on mesure.
Le cœur arrière de Arnaud Dudek. Éditions Les AVRILS. 224 pages. 19€.
(1) JC Lattes