De battre, le cœur régulier d’Alice s’est arrêté quand elle apprend le décès de son frère adoré. Alors elle part au Japon où il s’était reconstruit. Un magnifique voyage initiatique au pays du Soleil Levant.
Tiré du roman éponyme d’Olivier Adam, ce film pose la question du soin (au sens care en anglais) à porter aux autres. Qui prend soin des êtres perdus qui marchent en bordure d’une falaise vertigineuse dans une île perdue du Japon avant de se laisser happer par le vide ? Daisuke. Un policier qui passe sa retraite à scruter les hauteurs avec ses jumelles et intervient en douceur puis héberge ces morts-vivants dans sa maison ryokan (auberge traditionnelle au Japon). « Ce personnage existe vraiment », explique Vanja d’Alcantara, « j’avais envie d’en faire un film. Quand j’ai lu la quatrième de couverture du roman d’Olivier Adam, j’ai su que je tenais mon personnage ».
La cinéaste belge qui a obtenu le Magritte du meilleur film en 2011 pour Beyond the steppes (inspiré de l’histoire de sa grand-mère déportée en Sibérie) a choisi les îles Oki (« l’endroit le moins touristique du Japon ») connues pour avoir servi longtemps de prison. Sollicitée pour incarner Alice, Isabelle Carré a attendu quatre ans et demi que le projet puisse démarrer. Vanja souligne que ce n’est pas facile d’être « une petite cinéaste belge qui a juste fait un film ». « On aurait aimé que les financiers aillent plus vite » confirme Isabelle Carré « mais cela nous a permis de nous voir longtemps avec Vanja et ainsi d’alimenter une sorte de palimpseste qui a nourri le tournage ».
Habituée aux personnages créés par Olivier Adam (elle en a joué deux – il dit qu’il écrit des personnages féminins en pensant à elle), Isabelle apporte une intensité lumineuse à cette Alice enfermée dans une vie confortable où tout est cliché : le mari, la maison design et les enfants qui ne lâchent pas leurs casques sur les oreilles (des fois qu’il faudrait causer avec ces cons de parents…). La demeure glaciale s’enflamme avec l’irruption de Nathan, le frère solaire, dont on comprend qu’il est borderline avec sa cicatrice sur le poignet (interprété par Niels Schneider, acteur québécois vu chez Xavier Dolan). Son décès accidentel provoque donc chez Alice la décision de partir dans le pays où il s’était reconstruit.
Isabelle Carré qui goûte peu les voyages a découvert le Japon à cette occasion. Elle avoue « avoir pleuré pendant quatre jours »… Trop d’émotions. Et surtout la surprise d’y trouver tant de bienveillance : « je ne sais pas comment c’est à Rennes, mais à Paris, ça manque ! » Elle ajoute « préférer travailler avec quelqu’un qui a de l’humanité plutôt qu’une célébrité ». C’est le cas de cette réalisatrice qui « laisse beaucoup de liberté aux acteurs. Du coup, on peut s’abandonner, laisser le silence s’installer.
Dans le silence, on se met à nu, on voit autre chose de l’acteur en face ». Alice va même se mettre complètement à nu pour une nuit d’amour tendre avec l’amant japonais (récurrent dans la filmographie européenne depuis Marguerite Duras !).
Elle rencontre d’autres personnages tout aussi vibrants : une lycéenne un tantinet allumée, un ado au look de manga qui la dessine en douce, une femme hantée par la noyade de son enfant de quatre ans (« une comédienne très engagée qui ne consommait que l’eau de sa soupe miso pendant le tournage »). Alice, toute d’intériorité, devient tout à coup volubile aux moments des adieux… en japonais : « ce n’était pas du tout prévu, mais cette scène a été gardée au montage ».
Si l’esthétique et les codes correspondent à l’idée qu’on se fait ici du Japon immuable, le message essentiel du film reste que la vie est sacrée, mais qu’il ne faut pas lui chercher de sens. « Respirer. Expirer. C’est ça la vie » assure Daisuke, un brin énigmatique. Et les battements du cœur se font réguliers.
Film Le Coeur régulier, Vanja d’Alacantara, sortie le 30 mars 2016, 1h35
Acteurs : Isabelle Carré, Jun Kunimura, Niels Schneider, Fabrizio Rongione, Mugi Kadowaki, Masanobu Ando, Nana Nagao…