Les premiers froids arrivent. La BD Le dernier Lapon, sous la forme d’un passionnant polar, entraîne le lecteur par moins 17°, dans le grand Nord. Au pays d’éleveurs qui coupent les oreilles des rennes, mais parfois aussi des hommes… Frissons garantis.
Si vous avez peur de la nuit, la BD Le dernier Lapon n’est pas pour vous. Si les mots « polar ethnologique » vous effraient, passez votre chemin. Mais si vous désirez passer quelques jours dans les territoires sauvages du grand nord, alors que la Laponie est plongée dans la nuit depuis quarante jours, n’hésitez pas, Le dernier Lapon est pour vous ! Vous allez pouvoir monter sur un scooter des neiges, après avoir enfilé une doudoune épaisse et vous lancez à la chasse de rennes, mais aussi, très rapidement, à la recherche d’un assassin d’un éleveur à qui on a coupé les deux oreilles. Il vous faudra remonter à 1693 pour essayer de résoudre ce terrible assassinat peut être causé par le vol d’un tambour de chaman. Démarrant lentement, il faut camper les personnages et la situation, la BD Le dernier Lapon va rapidement s’emballer et le lecteur prend alors plaisir à suivre les traces suspectes de pas sur la neige d’une communauté marquée par le racisme à l’égard des lapons et de leurs descendants, de la part d’une extrême droite symbolisée par un élu municipal odieux.
Les situations résonnent vrai comme dans le roman policier multiprimé d’Olivier Truc (prix des lecteurs Quai du Polar, Prix Mystère de la critique notamment) d’où est tirée cette BD, confiée aux espagnols Javier Cosnava pour le scénario et Toni Carbos aux dessins. Les deux auteurs ont su restituer le climat lourd et malsain que décrivait dans son polar le correspondant du Monde à Stockholm. Les conflits ancestraux, les légendes laponnes, les enjeux économiques liés aux richesses du sol, la présence d’un seul policier Lapon au commissariat, Klemett, qui va mener l’enquête avec Nina, une policière venue du sud du pays, et qui n’hésitera pas à se rendre à Paris pour rencontrer un vieil explorateur, créent un climat lourd et réaliste qui ausculte au plus près une société divisée et violente sous le signe de la nuit qui cache tout.
Sans démonstration explicite mais par la fluidité d’un récit remarquablement mis en page grâce à de très réussis gaufriers qui, à la manière de paragraphes, mènent l’intrigue avec efficacité, on s’éloigne d’une vision idyllique d’un pays de Père Noël. Là comme ailleurs, le rejet de l’autre, la peur du voisin et de sa culture différente, l’appât du gain, fracassent des traditions ancestrales remises en cause en l’espace de quelques années et d’une modernité accélérée. A des milliers de kilomètres de Paris, les préjugés des hommes semblent identiques. La force des auteurs est de savoir reconstituer, dans une BD néanmoins haletante et prenante, cette violence sourde, dissimulée par des paysages immaculés où la blancheur n’est qu’un trompe l’oeil.
Toni Carbos relève le défi de dessiner la nuit. Il utilise des couleurs froides, bleutées, gris-clair, qui collent parfaitement à la noirceur du récit, agité de protagonistes haineux et violents. La qualité remarquable de l’objet et du papier rendent un bel hommage au travail du dessinateur soucieux de privilégier la clarté du récit à une vision idyllique des paysages peu en rapport avec les relations humaines.
Il faudra attendre la dernière page pour que s’ouvre « la période la plus extraordinaire de l’année, celle qui porte en elle tous les espoirs (…) Très bientôt l’hiver va finir, le soleil renaitra, redonnant à nos montagnes, leur relief et leur superbe. ». Avec le retour du soleil, on peut espérer que la lumière éclairera cette affaire passionnante et instructive. Et que l’assassin sera démasqué.
Le Dernier Lapon de Javier Cosnava et Toni Carbos d’après le roman de Olivier Truc Editions Métailé). Editions Sarbacane. Dos rond toilé et marquage à chaud. 160 pages. 25 €.