Emmanuel Demarcy-Mota est directeur du Théâtre de la Ville à Paris. Les saisons précédentes, il avait présenté au TNB (Théâtre National de Bretagne) Rhinocéros de Ionesco, Casimir et Caroline de Horvath et Victor de Vitrac. Il revient du 24 février au 6 mars avec une mise en scène d’une pièce rarement jouée de Balzac Le Faiseur. Emmanuel Demarcy-Mota réussit-il à actualiser efficacement la dimension politique d’un texte qui critique l’hégémonie d’un capitalisme financier spéculateur ?
Le Faiseur est une comédie aux accents savoureusement cyniques qui réfléchit sur… la dette.
Mercadet est un sympathique spéculateur, toujours à l’affût de la bonne affaire qui le sortira de la situation critique dans laquelle il se trouve. Pour rassurer ses créanciers, il prédit le retour de son associé, Godeau, parti s’enrichir aux Indes. Pour autant, cela ne suffit pas à son objectif : se débarrasser de ses échéances tout en conservant des relations avec les créanciers… Une idée vient alors à Mercadet : pourquoi ne marierait-il pas sa fille – éprise d’un jeune garçon sans fortune le pauvre Minard – à un millionnaire nouvellement arrivé en ville ?
Le Faiseur de Balzac écrit en 1848 trouve une formidable résonance avec notre époque où la question de la dette est au cœur des convulsions politiques et financières. L’actualisation du Faiseur est donc justifiée et fait sens. Qui plus est, grâce à une mise en scène épatante, plus que de ressusciter une pièce peu connue, Demarcy-Mota la rehausse!
En pratique, le plateau en bois sur lequel est fixé le salon de Mercadet est modulable. Il est incliné à 45 degrés : comédiens, tables et chaises se trouvent ainsi dans une position instable – laquelle renvoie évidemment à la précarité financière de Mercadet et, plus généralement, à une critique du système bancaire et financier des spéculateurs. De fait, le décor de cette version du Faiseur ne sert pas seulement à offrir un atout esthétique tape-à-l’œil qui chercherait à cacher une misère intellectuelle, il soutient d’une manière à la fois pragmatique et esthétique la réflexion sur la finance présente dans le texte. Ainsi la scénographie et les costumes contemporains enrichissent et actualisent efficacement le texte de Balzac.
En revanche, les parties chantées sur Money des Pink Floyd ou Money, money, money de Abba pourront apparaitre comme superflues, voire alourdir le propos à travers une concession malheureuse à des tubes à la valeur fétichisée. Qui plus est, le texte original tendant à la répétition et à des retournements de situations quelque peu convenus, les chansons plusieurs fois reprises lors du spectacle accentuent cet aspect négatif au lieu d’y pallier.
Par ailleurs, il convient de souligner le jeu remarquable des comédiens. En particulier, celui de Serge Maggiani (Mercadet) qui déploie une énergie impressionnante sur scène et rend palpable la verve de son personnage.
Ne suis-je pas supérieur à mes créanciers ? J’ai leur argent, ils attendent le mien. Un homme qui ne doit rien, personne ne songe à lui, tandis que mes créanciers s’intéressent à moi.
Le plaisir du discours et du bon mot constitue l’unique satisfaction que Mercadet peut proposer à ses créanciers. Aussi, ce personnage central – qui fait écho à tant d’êtres humains – provoque en quelque sorte une ouverture métaphysique pour fracturer le néant…de son compte en banque, mais aussi de l’existence. Ainsi proclame-t-il que tout homme naît débiteur puisqu’il doit la vie à ses géniteurs (Cioran l’aura bien compris)… C’est encore lui qui invente un certain Godeau – personnage fantôme, concrétion de vide – qui ne viendra jamais, mais que tout le monde attend… Près d’un siècle plus tard, Beckett niera toute correspondance avec le texte de Balzac. Vanitas vanitatum…
Le Faiseur de Balzac par Emmanuel Demarcy-Mota
avec la troupe du Théâtre de la Ville : Serge Maggiani, Valérie Dashwood, Sandra Faure, Jauris Casanova, Philippe Demarle, Sarah Karbasnikoff, Gérald Maillet, Charles-Roger Bour, Walter N’Guyen, Stéphane Krähenbühl, Pascal Vuillemot, Gaëlle Guillou, Céline Carrère assistant à la mise en scène Christophe Lemaire
scénographie et lumières Yves Collet
musique Jefferson Lembeye
collaboration artistique François Regnault
production Théâtre de la Ville-Paris
Croquignol, Ribouldingue & Filochard par Louis Forton.
1ère apparition en 1908 dans un magazine « L’Epatant »!!
Réponse épatante ! A noter que plusieurs dessinateurs se sont approprié le célèbre trio : Pellos bien entendu, mais aussi André Juillard par exemple