En racontant son enfance à hauteur de jeune garçon, Luc Chomarat nous offre un roman lumineux et généreux. Un rayon de soleil dans une rentrée littéraire aux thématiques sombres.
Cela ressemble à une bande dessinée. Sauf qu’il n’y a pas de dessins. Mais cela est un détail. Les chapitres sont comme des planches, les paragraphes comme des cases. Et tout s’enchaîne comme une histoire de Mafalda. Désordonnée en apparence, mais parfaitement homogène. Tel vous et moi, Luc Chomarat a été un enfant, un bébé même si, lorsque l’on a soixante ans, on peut douter d’avoir ressemblé à cette petite chose, pas jolie, jolie, enveloppée de peau et de poils.
Au commencement il devait même y avoir les prémices d’une pensée puisqu’on se souvient d’avoir aimé jouer avec des Matchbox, surtout la Jaguar Type E. Et puis on nous explique qu’au début, bien avant nous, il y a eu des dinosaures. Mais aussi Jésus, fils de Dieu. Et c’est dur de comprendre la création de la terre avec ces deux histoires si différentes. C’est difficile tout simplement de découvrir la vie et les parents, avec leurs mots à eux, leurs silences, leurs secrets n’aident pas vraiment. Luc Chomorat va ainsi raconter les souvenirs d’enfance de sa naissance à sa dernière année lycéenne.
On n’a pas envie qu’il grandisse cet enfant tant il nous enchante lorsqu’il nous raconte qu’il a des parents « d’à côté » qui n’ont pas les défauts de ses vrais parents dont il a pourtant « l’impression de les connaître comme si il les avais faits ». En mettant en parallèle des paroles d’adultes les plus complexes comme celles de l’oncle cultivé qui émet de grandes sentences latines, et les mots enfantins les plus communs, l’auteur évite la mièvrerie ou le maniérisme de souvenirs d’adolescents tant de fois racontés.
Le charme opère dès les premières pages avec la rencontre de la cousine Lina proche d’abord de la résidence familiale grâce aux quelques kilomètres parcourus dans la 2 CV familiale avant le déménagement dans de lointaines « cages à lapins » de St Étienne. Il y aura ainsi la neige et sa poétique légèreté alors que l’on joue à la guerre dans la cour de récréation entre Spitfire et bombardier B25. St Étienne c’est bien entendu le foot, qui semble réserver à ceux qui ne vont pas au catéchisme. Que voulez vous on ne peut tout avoir : la foi et le talent des pieds. Il faut choisir. Et le père, professeur sérieux, un peu, beaucoup, énormément triste, préfère Don Quichotte au dribble de Larqué. Quant à la mère, elle préfère Dieu à Don Quichotte. Alors c’est ainsi, on grandit, on pense comprendre des choses et puis le catalogue de la Redoute et ses pages lingerie vous révèle un jour des sensations jusqu’alors inconnues. Et débute alors un monde nouveau. Et s’achève le livre.
De Jean le Bleu de Giono à La rue des Rigoles de Gérard Mordillat, en passant par l’incontournable Petit Nicolas de Sempé et Goscinny, nombreux ont été ces ouvrages qui traitent d’enfance et d’adolescence. Chomarat, en choisissant de raconter de manière éclatée de petits souvenirs quotidiens, nous met sous le charme de sa petite musique qui opère dès les premières pages. Il nous emmène avec lui, de la naissance de son frère, qu’il a envie de tuer en le pensant très fort, à son premier baiser. Il fait de nous son copain, celui qui joue aux osselets avec lui dans la cour de récréation. Le style fait tout et le ton est toujours juste, entre tendresse et humour, paroles de grands et paroles de petits, réel et imaginaire, innocence et profondeur. Voir grandir mot par mot, ligne par ligne un bébé sous pénicilline jusqu’à la porte du collège où son père enseigne est un parcours émouvant qui nous renvoie par un mot ou un autre à notre propre histoire.
« Je suis grand maintenant, j’ai dix ans. À dix ans, on ne donne plus la main à son père. Mais parfois, j’aimerais qu’on se dise des trucs. Je ne sais pas trop comment lui parler. J’ai l’impression que toutes les choses que j’aimais bien avant sont en train de partir sans qu’on puisse rien faire pour les retenir, comme l’eau par le trou du lavabo. »
Heureusement l’écriture peut servir parfois de bonde et empêcher la vie de s’écouler, ou du moins les souvenirs de se perdre. C’est même parfois mieux car les mots filtrent les souvenirs pour n’en conserver que l’essentiel, qui peut expliquer ce qu’est la vie d’un homme quand il a atteint soixante ans.