LE ROMAN INÉPUISABLE DE PHILIPPE LE GUILLOU

J’avais quitté Philippe Le Guillou depuis un court récit, L’intimité de la rivière, paru chez Gallimard voilà dix ans je crois. Je le retrouve aujourd’hui avec Le roman inépuisable, sous-titré Roman du roman. Le premier m’offrait de profondes résonances avec les lieux et les gens de mon enfance, le Pelem, dans une écriture toute en retenue. Ceux que j’appelle les miens, paysans, pauvres et même très pauvres, les maisons en terre battue, et puis tout autour, les champs, les bois, les collines, les courses, la liberté en somme. Jusqu’à ma rivière, le Faoudel qui tient presque de la sienne, le Faou, en plus modeste et sans la mer au loin. Cependant, je dispose, me semble-t-il, d’un avantage sur lui. J’ai toujours mené une double vie. La Bretagne l’été et la grande ville le reste de l’année, Saint Denis, pour tout vous dire, à l’époque ville ouvrière s’il en est et d’une même et autre pauvreté dans la dignité. Deux lieux magiques, un extraordinaire contraste aussi pour se construire.

ROMAN INEPUISABLE LE GUILLOU

Mais venons-en à ce Roman du roman. Il fait écho à celui presqu’éponyme de Jacques Laurent, Prix Goncourt pour Les Bêtises, académicien, écrivain prolifique aux multiples pseudonymes dont l’un, Cecil Saint-Laurent, fera sa fortune pour une suite commencée par Caroline Chérie, portée ensuite au cinéma, et la fortune des adolescents devant les décolletés de Martine Carol pour le moins provocants.

S’il s’agit pour Philippe le Guillou dans ce livre d’une promenade en littérature en ouvrant en quelque sorte sa bibliothèque de romanciers, le propos en déborde largement comme nous le verrons. Dans l’immédiat, tentons d’en faire le tour. Impossible bien entendu de tous les citer.

livres ACTUS LITTERAIRES

Personne ne sera surpris de trouver parmi les plus anciens des lectures de Rabelais, Laclos, Chateaubriand, Stendhal, Balzac, Hugo, Flaubert, Sand, Verne. Philippe Le Guillou a une préférence pour les cathédrales assurément et les changements de siècle ne le changent en rien. Nous voilà avec Proust, Déon, Gide, Tournier, Drieu la Rochelle, Céline, Mauriac, Perec, Malraux. Julien Gracq et Patrick Grainville, deux de ses proches, vont et viennent au fil des pages comme s’il étaient chez eux, Pascal Quignard aussi, les affinités sont bien là. Et puis, comment oublier Duras, Yourcenar, Modiano, Sallenave, Rouard, Viel, Ernaux, Orsenna, Houellebecq et toute une vague de jeunes écrivains auxquels vers la fin du livre il prédit le meilleur ?

Ce qui est frappant dans ce Roman de roman (qui pourrait être un prédicat récursif dans une autre langue, celle de la logique formelle), c’est la facilité de Philippe le Guillou à revivre et faire revivre les livres dont il parle. Au point que je me suis demandé comment il pouvait s’endormir le soir avec autant de personnages et d’histoires en tête. Je me laisse imaginer, comme il le fait ici dans son livre, la foule, les conversations interminables, la cacophonie des voix, les débats agités, confus de ses premiers sommeils et jusqu’à tard dans la nuit. C’est, avec cette fringale de lectures, en quelque sorte le lecteur idéal. Chacun son cadastre certes (et ses pèlerinages), chacun sa bibliothèque aussi (pas une ne se constitue en toute innocence), mais les visiter et les revisiter à ce point, acheter et racheter un même livre avec une jubilation aussi heureuse, n’est pas donné à n’importe quel quidam.

le faou
Rivière le Faou

Si j’évoquais ma jeunesse citadine au début de cette chronique, c’est qu’elle m’a définitivement ouvert à un monde dont Philippe Le Guillou se sent étranger, littérairement du moins. Ainsi en va-t-il de Louis Guilloux que je regrette lors de mes arrêts à Saint Brieuc de n’avoir jamais dérangé en allant frapper à sa porte avant de rejoindre le Pelem et de mettre ma lourde valise dans la brouette de ma grand-mère. Fallait-il vraiment l’intercession de Mona Ozouf pour aimer un peu le Pain des rêves et le Sang Noir ? Pour continuer dans la même parenté, j’aurais aimé aussi que Zola puisse être, à défaut d’une cathédrale pour lui, un visiteur plus assidu de ses lectures et même un de ses compagnons d’enfance. Je n’ai trouvé qu’un mot, un seul, pour Aragon. L’auteur m’objectera peut-être qu’il ne méritait pas mieux et que ce seul mot n’est que justice, le romancier ne valant pas le poète. Peut-être. Il est un autre absent dans cette galerie de portraits affichés sur son mur à la façon des sœurs Yvette et Jeanne Denieul de la librairie des Nourritures terrestres que nous avons fréquentée tous les deux à Rennes. Je veux parler de Michel Le Bris. Trop essayiste, trop écrivain-voyageur, trop engagé par ailleurs ?

Il est temps à ce stade de tenir ma promesse sur le propos du livre de Philippe Le Guillou : la défense du roman, mais pas que. Aurait-il été menacé ? Diable ! Et par qui ? Par ces monuments d’ennui, ces niaiseries de l’époque prétendant au statut de livres qui nous encombrent et nous accablent autant ? Par d’infects sorbonnards penchés sur leurs tables de dissection ? Par une littérature trop mâtinée de philosophie, d’idéologie et, disons-le, de politique ? Est-ce le pourquoi d’un Camus apprécié du bout des lèvres ? Quant à Sartre, n’en parlons même pas. Non, non. Que nenni. Nous sommes là face au néant du nouveau roman, à ces robots-grillés (expression tirée de Jean Ricardou), à ces petits marquis compassés qui cérébralisent et dévitalisent l’espace littéraire, à des romans aussi secs et nus que les alvéoles des clapiers de Le Corbusier. La dent est dure. Quelques Robbe-Grillet, Butor et Claude Simon passent encore. Dans ce contexte, et pour cause, pas un mot sur Les Temps Modernes, Tel Quel, Change, ont-ils seulement existé ? J’ai dû manquer une partie de mes cours d’histoire et de culture contemporaines car face à l’orage, que dis-je, à l’ouragan sur le point de balayer la littérature française, se serait élevée une littérature de résistance, menée par les Hussards ? Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et Michel Déon seraient ainsi de cette constellation allègre, joyeuse, vivante… Libre à vous d’y croire.

Allons, la littérature et le roman ont été pour l’instant sauvés des eaux. Certains, de mauvaises langues n’en doutons pas, diront qu’ils restent empêtrés dans la glu de leur temps comme Zola avant nous. Et qu’il faudrait bien que nous bousculions un peu les belles lettres afin de nous redonner une place au soleil du monde. Lisez Le roman inépuisable, il est savoureux. Mais rappelez-vous, une bibliothèque choisie n’est jamais innocente. Philippe Le Guillou, s’il lit jamais ce billet, me comprendra puisqu’il prône la vraie critique, libre et passionnelle.

Jean-Louis Coatrieux, ancien élève de terminale C.

Le roman inépuisable de Philippe Le Guillou. Roman du roman. Collection Blanche, Gallimard. Parution : 12-03-2020. Prix : 22,50 €.

Philippe Le guillou
Philippe Le Guillou. Photo issue de la page Facebook de Philippe Le Guillou.

Philippe Le Guillou est un écrivain et critique littéraire né le 12 août 1959 au Faou (Finistère). Baccalauréat en poche en 1977, Philippe Le Guillou entre en classe préparatoire au lycée Chateaubriand de Rennes, puis études de lettres à Rennes.

Professeur de lettres, il passe l’agrégation en 1985 puis enseigne jusqu’en 1995 à Brest puis à Rennes (notamment dans les classes préparatoires du lycée Chateaubriand) avant d’être nommé, au printemps de la même année, inspecteur pédagogique régional et affecté à l’académie de Versailles. Philippe Le Guillou s’installe alors à Paris, ville qui occupera une place importante dans ses romans.

Philippe Le Guillou est auteur de plus de quarante ouvrages. Récits, romans, essais et critiques. L’inventaire du vitrail, son premier roman, a été publié en 1983. Il a reçu le Prix Médicis en 1997 pour Les Sept Noms du peintre et le Prix Méditerranée en 1990 pour La rumeur du soleil (1989). Ses romans sont marqués par les légendes celtiques et le christianisme, dans un style rappelant Julien Gracq. Les oeuvres de Philippe Le Guillou sont d’inspiration et de facture très traditionnelles, à l’écart de toute tentative de recherche novatrice. Se réclamant volontiers de Julien Gracq, Le Guillou accorde une grande importance aux paysages et aux légendes de sa Bretagne natale. Son écriture est souvent maniérée et volontiers emphatique. Philippe Le Guillou préside avec Claudine Glot le Centre de l’imaginaire arthurien basé au château de Comper, et, depuis 2012, le jury du Prix Bretagne.

Page Facebook de Philippe Le Guillou

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Jean-Louis Coatrieux
Jean-Louis Coatrieux est spécialiste de l’imagerie numérique médicale, écrivain et essayiste. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment aux éditions La Part Commune et Riveneuve éditions.

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